Faute de traitement efficace contre le coronavirus, le gouvernement français a commandé en urgence, auprès de quatre fleurons de l’industrie française, des milliers de respirateurs à destination des patients sévèrement atteints par le Covid-19. Mais selon une enquête de la cellule d’investigation de Radio France, ces respirateurs seraient totalement inadaptés pour ces cas graves.
85% de la commande est inadaptée
30 millions d’euros. C’est la facture particulièrement salée que vient de verser l’état français à Air Liquide, associé à PSA, Valeo et Schneider Electric, pour la fabrication de 10 000 respirateurs artificiels destinés aux patients atteints du Covid-19.
Une commande réalisée dans l’urgence, les malades continuant à affluer dans les hôpitaux et les critiques se montrant chaque jour de plus en plus véhémentes face à l’impréparation consternante de l’État dans cette crise sanitaire inédite.
C’était le 31 mars dernier. Fier, Emmanuel Macron annonçait une mesure hors-norme : 10 000 respirateurs artificiels seraient produits dans un délai record de 50 jours pour répondre à la demande criante des hôpitaux français déjà en manque de masques et de blouses.
Pour ce faire, Air Liquide Medical Systems, l’unique fabricant français de respirateurs, associé à PSA, Valeo et Schneider Electric, allait mettre les petits plats dans les grands : six jours sur sept, 24 heures sur 24, des ouvriers se succéderaient pour créer et livrer 8 500 Osiris 3 (modèle basique de respirateur artificiel) et 1 600 T60 (respirateur artificiel sophistiqué, mais plus complexe à assembler). Les appareils facturés à prix coûtant sont chers : environ 3 000 € pièce.
« Face au besoin de respirateurs pour traiter les patients les plus sévèrement atteints par le Covid-19 Air Liquide, PSA, Schneider Electric, Valeo relèvent le défi de produire 10 000 respirateurs », pouvait-on lire sur le site d’Air Liquide. Sauf que voilà… selon une enquête de Radio France, les 8 500 Osiris 3 commandés par Macron sont totalement inadaptés aux patients atteints du Covid-19.
Un appareil destiné aux ambulances
De fait, les 8 500 respirateurs Osiris qui doivent être fabriqués sont des respirateurs destinés à gérer l’urgence. Sur son propre site, Air Liquide décrit d’ailleurs ce modèle comme un « ventilateur de transport léger et simple d’utilisation ». Autrement dit, un appareil qu’on utilise dans les ambulances, mais pas dans les salles de réanimation.
Selon France Info, « le 3 avril dernier, un message transmis aux milieux hospitaliers par le ministère de la Santé et le centre de crise sanitaire précise ce que doit être l’usage de chaque modèle de respirateur dans la crise du Covid-19 ». Et dans cette liste « l’Osiris 3 n’apparaît que dans la cinquième catégorie (la toute dernière) des appareils pouvant être utilisés pour traiter des patients malades ».
« Cet appareil n’est jugé utile que dans les cas de transports les plus simples, mais pas pour une salle de réanimation où sont traités les malades à risques », souligne l’enquête.
Pire encore, selon un médecin interrogé par la cellule d’investigation de RadioFrance, utilisé à mauvais escient, l’Osiris 3 « risque de tuer un patient atteint du Covid-19 au bout de trois jours ». « Les malades du Covid ne sont pas faciles à ventiler. Il faut des respirateurs performants avec des systèmes de contrôle des pressions et des volumes » explique ainsi Yves Rebufa, anesthésiste et réanimateur au CHU de Nantes.
Éteindre la polémique
Enlisé dans la polémique depuis ce jeudi, le gouvernement a rapidement et vivement contesté ces affirmations. « La commande passée à Air Liquide l’a été à un moment où le nombre de patients admis en réanimation continuait de croître très rapidement, et où il apparaissait absolument nécessaire de sécuriser la capacité à armer un nombre de lits de réanimation beaucoup plus important », expliquent dans un communiqué les cabinets de la secrétaire d’État à l’Économie Agnès Pannier-Runacher et du ministre de la Santé Olivier Véran.
Essayant non sans mal de se raccrocher aux branches, ces derniers ont par ailleurs rappelé que la commande de 10 000 respirateurs comprend 1 500 appareils du modèle Monal T60, « largement utilisé dans les hôpitaux français et internationaux » pour les patients atteints de Covid-19.
L’utilisation de machines Osiris « en cas d’indisponibilité de respirateurs plus lourds et en dernier recours avait été validée par les deux sociétés savantes françaises de réanimation », indique le communiqué ministériel. Le gouvernement y voit un « choix de prudence et de responsabilité ».
L’heure est à la mobilisation de tous pour sauver des vies, alors que plus de 5.000 malades sont toujours en réanimation. Pas aux polémiques vaines et malvenues. Les 10.000 respirateurs commandés à Air Liquide sont utilisables. Précisions ? pic.twitter.com/dzrrYjsFK6
— Olivier Véran (@olivierveran) April 23, 2020
« Il fallait une bouée de secours »
Si le Pr Xavier Capdevila, président de la Société française de réanimation (SFAR) a confirmé, comme l’indique Le Télégramme, à l’AFP qu’aux environs de la mi-mars, « les deux sociétés savantes, la SFAR et la Société de réanimation de langue française (SRLF) ont validé l’utilisation des respirateurs de transport de type Osiris, uniquement en dernier recours et avec des conseils d’utilisation, de crainte de voir mourir des patients à la porte des réanimations », Eric Maury, président de la SRLF, ajoute que ce ne sont pas les sociétés savantes qui ont choisi la production d’Osiris.
« Air Liquide et le gouvernement ont choisi la solution de ce type d’appareil », explique t-il. Et Eric Maury de rajouter : « En dernier recours, le respirateur Osiris était le seul respirateur qui pouvait être fabriqué en quantité dans les temps impartis. Il fallait une bouée de secours ».
AK
Crédit photos : Wikimedia Commons (CC/Blogotron) (Photo d’illustration)
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Une réponse à “Coronavirus. La France a-t-elle commandé en urgence des respirateurs artificiels inadaptés pour les patients atteints du Covid-19 ?”
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