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A propos de la mort de Christophe et du coronavirus…Et j’ai crié, crié, Covid 19…[L’Agora]

Christophe est mort ce 17 avril à Brest. Décès suite à un emphysème sans doute précipité par covid 19 (NDLR : la famille n’a toutefois pas confirmé que le chanteur soit positif au Covid19). Une victime de plus de la pandémie, seulement plus célèbre que les milliers d’autres. Une occasion de tenter de mieux comprendre ce qu’il nous arrive.

Comment d’abord ne pas remarquer que par un jeu de miroir la pandémie nous renvoie aux origines de notre espèce, sa bipédie ? C’est elle qui l’a libéré des arbres. Marcher est devenu l’exercice vital pour conquérir de nouveaux espaces de nourriture. Depuis ces temps immémoriaux, l’Homme a fait du chemin et pas seulement à pieds, mais à cheval, à la barre, au volant…

Or, que reproche-t-on à ce perfide coronavirus si ce ne sont ses déplacements rapides de personne à personne qu’il contamine ? Comme nous, il a la bougeotte. Dans son cas, on parle de contagion, communication par contact, dans le nôtre, on parle de migration. Tout cela reste de la circulation d’individus. Seul change le mode de déplacement : nous nous transportons, le virus est transporté par nous-mêmes. Sommes nous alors fondés à reprocher au microbe de faire ce que nous faisons nous-mêmes ? Oui, parce que toute la différence entre lui et nous est bien dans ce mode de déplacement. Nous n’avons pas besoin de lui pour migrer ici ou là. Il a besoin de nous pour voyager dans le monde entier. Et le coût du voyage s’élève déjà à déjà plus de de 150 000 morts. La note est salée pour Christophe et tous les autres, sans compter les centaines de milliers d’autres qui sont touchés. Heureusement que les autres microbes que nous transportons ne nous coûtent pas si cher.

Seul remède qui vaille, cesser d’être les déménageurs de virus. Et pour cela arrêter de migrer ici ou là pour ne pas échanger le mal avec autrui. La sédentarité s’impose. Nous sommes confinés, assignés à résidence, frappés de l’interdiction formelle de migration, même infime, sauf cas d’extrême nécessité. Bref, faire le mort chez soi pour ne pas être mort. Pour Christophe, comme pour toutes les autres victimes, la dernière migration dans un bistro ou dans la rue a été fatale.

Dans ces conditions l’Etat fait son boulot, même s’il a mis le temps pour le faire en appliquant la politique du confinement. Ce faisant, il reconnaît que pour en fnir avec la contagion du virus, il faut en fnir avec la migration humaine. N’est-ce pas alors clairement désigner de fait le coupable, l’humanité vagabonde ? Sans mots dire, la stigmatisation du nomade refait surface. Chacun est prié de cultiver sa sédentarité. Ne nous répète-t-on pas à qui mieux mieux que la guerre se gagne en restant chez soi à ne rien faire ? C’est le propre du confinement. En compensation, sont exaltées les seules migrations imaginaires pour divertir ou spirituelles pour élever l’âme. Toutes et tous à vos écrans pour suivre les dernières séries ou vous exercer à la méditation ou à la prière avec Jésus et Allah, et bien d’autres ! Histoire de nous faire oublier nos penchants coupables pour la bougeotte. Il ne nous faut pas grand chose pour nous trouver complices, à notre insu de la contagion ! La contagion, voilà l’ennemi !

Car après tout, si un cuisinier des bois s’était régalé tout seul égoïstement du délicat plat qu’il s’était préparé : côtes de pangolin aux fines herbes, servi dans son nid d’hirondelles avec un zeste d’aile de chauve-souris , il se serait certes gavé de coronavirus mais ne l’aurait partagé qu’avec peut-être quelques pandas immunisés en mal de bambous à se mettre sous les crocs. Et on aurait pu conclure : repas tragique dans une bambouseraie , un mort. Finalement, une mutation de virus si nocive soit-elle sans contagion n’est que pipi de chat. C’est chacun d’entre nous qui en faisons une pandémie. Voilà qui nous renvoie à notre responsabilité individuelle. C’est facile de s’en prendre à un petit être vivant inoffensif quand c’est nous qui le rendons si dangereux pour nous et l’humanité toute entière !

Pourtant nous pressentons bien l’injustice à rendre chaque victime responsable de son propre sort, de sa propre mort. Personne ne dit que Christophe, comme les autres, n’avait pas qu’à se balader dans la rue ou trainer dans un bistro !

Imaginons de donner une âme à ce fichu virus pour rendre compte de cette injustice et pour ne pas l’exonérer de toute responsabilité. En poursuivant ce jeu de miroir, cette reconnaissance qu’il a une âme nous autorise à lui distinguer une qualité humaine plus ou mois appréciée, mais bien réelle, la ruse, celle légendaire d’Ulysse. Il ne fait pas seulement comme nous, il se sert de nous pour faire comme nous, avec les conséquences que chacun connaît. Pour faire de nous son monde, il fait de chacun d’entre nous un vaisseau pour le parcourir de fond en comble. Il s’y plaît tant qu’il prospère à son aise. Et qu’importe s’il coule un vaisseau, il en a abordé trois de plus à chaque fois. Et suprême raffinement, il veille jalousement à sa clandestinité. Comment chacun d’entre nous peut-il savoir s’il est ce vaisseau clandestin, ce cheval de Troie introduit au sein de l’humanité toute entière ? Comment pouvons nous alors être coupables dans l’ignorance que nous sommes des armes que nous employons contre nous-mêmes et contre les autres ? Christophe comme tant d’autres n’aurait jamais pu imaginer tout le mal qu’il s’est fait et qu’il a fait aux autres. Alors pour ne plus armer ces vaisseaux fatals, la seule réponse apportée est de les renvoyer à leur port d’attache. Cela s’appelle confinement. Et, bien sûr, quand un vaisseau clandestin est identifié, il est désarmé à l’hôpital, que ce soit par la guérison ou le décès. Encore faut-il pouvoir l’identifier…

A bien y regarder, il est terriblement humain, ce coronavirus. D’abord, il nous habite totalitairement comme nous habitons le monde et le façonnons au point de lui attribuer le nom d’une époque géologique, l’anthropocène. Comme nous le sommes devenus pour la Terre, il est pour nous par sa nature même l’espèce invasive fatale. D’emblée il s’imposera à l’histoire comme l’ère du coronacène. Il nous menace sous le même mode que nous menaçons la Terre, avec à la clé sa propre disparition en même temps que la nôtre. Comme si nous étions pas assez grands pour faire disparaître les conditions vivables de la planète où nous habitons, et donc, faute de maison, nous condamner à disparaître avec elle, voilà que coronavirus nous prend de vitesse et veut nous éliminer avant, en se faisant à l’occasion hara-kiri. Covid 19, c’est l’humanité arroseuse arrosée.

Là s’arrête l’analogie. Dans ce combat à fronts renversés, le triomphe et la gloire de coronavirus sur nous seraient forts fâcheux pour nous, mais pas pour tout le monde. Il n’est que voir la joie de tous ces animaux cachés qui reconquièrent cet espace que nous leur avons volé pour se rendre compte que la vie sur Terre prospère dès que nous lui fichons la paix en ne pas la contaminant plus par nos modes de vie.

Et là coronavirus ne peut pas en dire autant : sans nous il n’est plus rien parce qu’il ne vit qu’à travers nous. Nous sommes son monde à l’exclusion de tous les autres. Il n’en a pas d’autres ! Aucune autre espèce ne le supporte. Comme on le comprend ! Nous aussi nous n’avons qu’un seul monde, la Terre, mais nous sommes condamnés à le partager avec des millions d’autres espèces. La mauvaise nouvelle qui a de quoi nous plonger dans le désarroi le plus profond, c’est d’apprendre que sans nous, ce monde, notre monde partagé se porte mieux. Ce retour à la vie sauvage dans des lieux urbanisés, désaffectés par le confinement, en est l’illustration parfaite.

La pandémie nous a donc révélés à nous-mêmes. Tout d’un coup nous comprenons que nous sommes pires qu’un petit virus qui ne s’en prend à ses risques et périls qu’à une seule espèce quand nous collectivement nous en exterminons des milliers et en menaçons des millions. Tout d’un coup, nous réalisons qu’aucun être vivant ne veut de nous tant il nous craint en dehors de tous ceux que nous avons dressés et formatés pour la satisfaction de nos besoins. C’est l’expérience de cette solitude d’espèce que nous vivons aujourd’hui. D’abord parce que nous sommes la seule victime de la pandémie.

Ensuite parce que la redécouverte à notre porte de formes de vie dont nous avions oublié l’existence nous plonge dans la perplexité d’une communication muette avec elles comme avec toutes les autres. Nous ne savons plus parler la langue des anciens chamanes qui s’adressaient aux animaux et aux arbres. Nous pouvions croire que notre vie collective faisait sens pour elle-même grâce à la richesse et à la diversité de nos cultures. Aujourd’hui, il nous faut admettre que pour que vivent ces cultures en même temps que la maison commune Terre qui les héberge, il faut les enraciner dans la glèbe qui colle à nos souliers vernis.

Que de modes de vie à réinventer pour qu’après confinement, blaireaux et renards continuent à n’être plus exterminés, que poissons et crustacés puissent vivre aussi belles grandes marées que celles de mars 2020, que les arbres d’Amazonie et des villes bretonnes déploient toujours plus de feuilles pour faire ombrage au réchauffement climatique, pour que le bourdonnement des abeilles efface le vacarme mortel de l’épandage des pesticides ! Voilà les premiers mots bleus à écrire après tous ceux de Christophe ! Ce sont les mots simples de réconciliation avec le vivant, tout le vivant, sauf quand même un sale petit virus qui nous en veut tant…

Nous ne savons pas quand nous pourrons chanter : covid 19, c’est fni ! Nous ne sommes pas encore sortis de l’ère du coronacène. Enervement, fatigue, angoisse, chagrin égraineront encore nos vies. Que de décès encore, célèbres et anonymes nous attendent ! Au milieu d’autant d’incertitudes, nous avons au moins gagné une chose, l’humilité tirée du simple constat de notre grande fragilité du moment, à l’échelle personnelle comme collective. C’est la première pierre sur laquelle nous devrons reconstruire l’avenir. Pour que tous les Christophes de hier, d’aujourd’hui et de demain ne soient pas morts pour rien.

Yves-Marie Le Lay

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