Premier pays européen touché, l’Italie a dû faire face dans l’improvisation la plus totale à l’épidémie de Coronavirus. Comment ont réagi nos cousins transalpins ? Le point par notre correspondante en Italie, Anne Lechat.
Au départ, panique et psychose…
Dans un premier temps, avec la panique et la psychose qui s’installent, les Italiens s’enferment d’eux-mêmes chez eux. Tout le monde se pose la question de ce qu’il peut faire et ne peut pas faire, face au flux d’informations contradictoires et peu claires. Outre la peur, chacun se demande comment il va s’organiser pour survivre d’autant que les médias martèlent que nous sommes « en guerre contre un ennemi invisible ». Les gens se précipitent dans les supermarchés pour acheter en quantité les vivres de premières nécessités tels que les pâtes et… le papier toilette.
Dans les premières semaines de mars, les ventes dans la grande distribution enregistrent une hausse de 11,02%. Fin février, la hausse des ventes se concentraient plutôt sur le nord et le centre de l’Italie, début mars c’est plutôt au sud, ce qui démontre la rapidité avec laquelle la panique s’est répandue sur le territoire. Les gens se ruinent en faisant des réserves de nourriture. Résultat : le confinement accroît rapidement la pauvreté.
« Je n’ai plus d’argent pour manger et pour acheter du lait à mon petit, Monsieur Conte… »
Mi-mars, en Sicile, menaçaient déjà les premières émeutes. Il Corriere della Sera, raconte qu’une page Facebook avait été créée avec comme titre Rivoluzione Nazionale sur laquelle des centaines d’habitants de Palerme parlaient d’un « samedi de feu » appelant à descendre dans les rues « prêts à faire la guerre » et autres actions violentes. Selon le quotidien milanais, les décrets de confinements ont en effet stoppé notamment le travail au noir qui représente une part très importante de l’économie locale. Les gens sont habitués à survivre avec des petits boulots, ils s’arrangent entre eux.
Un père de famille avait ainsi posté sur Facebook un message vidéo à l’adresse du Premier ministre Giuseppe Conte. « Je n’ai plus d’argent pour manger et pour acheter du lait à mon petit, Monsieur Conte… », expliquait-il, en compagnie de son bébé. Une réalité en effet en Sicile, mais aussi dans beaucoup de régions du sud, comme la Campanie (région de Naples), etc.
Le jeudi 19 avril, c’est même une trentaine de personnes qui décident de passer en force les caisses du plus grand Lidl de Palerme sans payer, pourchassés d’abord par les vigiles puis par la police. À la suite de quoi des unités anti-émeutes ont été placées devant les plus grands centres commerciaux dans les zones dites « à risques » – entendre par là les zones les plus pauvres.
Au niveau national, la Banque alimentaire italienne estime à 20% l’augmentation des demandes d’aides de la part des familles italiennes et même à 40% quand on parle de régions comme la Campanie ; idem pour l’association Caritas, gérée par les diocèses, qui vient en aide aux plus démunis. Toutefois, il n’y aura jamais de véritable révolte sociale pour plusieurs raisons : d’abord parce que les Italiens, par nature, ne sont pas un peuple révolutionnaire ; ils cherchent plutôt à se débrouiller par des moyens détournés, ensuite parce que comme nous dit un Italien lui-même, « l’Italien s’occupe d’abord de lui » et l’entraide se fait par réseaux de connaissances, parfois assez impressionnants.
« Rester à la maison pour sauver des vies »…
Les premières semaines, on pouvait dire en souriant que « l’Italie au temps du coronavirus, c’est le carnaval au balcon », mais cela aura duré deux semaines et demie. Il est déjà loin le temps où les Italiens se sentaient très patriotes, orgueilleux de leur gestion du coronavirus et de « l’effort de guerre » qu’ils faisaient tous en chantant à tue-tête leur hymne national en chœur avec toute leur rue ou barre d’immeuble. L’heure est maintenant à l’exaspération et à la colère étouffée par les quelques « bien-pensants » qui ont seuls le droit de parole et qui martèlent en permanence « qu’il faut rester à la maison pour sauver des vies » ou encore que « qui sort est un assassin ». A Cagliari (Sardaigne), le maire a même fait poser de grandes affiches avec des phrases chocs telles que : « quand mon fils a été contaminé, j’ai compris que je devais arrêter les courses inutiles » ou encore « quand ma mère a été hospitalisée, j’ai compris que je devais renoncer à mon jogging » et tant d’autres, afin de faire culpabiliser le plus de monde possible. La télévision continue de vanter la gestion italienne de la crise sanitaire par rapport aux autres pays en brandissant des chiffres exorbitants sortis de leur contexte.
La pauvreté s’installe partout
La pauvreté s’installe de partout, les commerces ne savent pas s’ils vont rouvrir. Un tenancier témoigne : « Après 46 ans d’activité, je suis obligé de fermer mon bar. Trop de taxes, pas de rentrée d’argent, le loyer à payer. Il aura suffit d’un mois de blocage… ». Et de fait c’est le dilemme de la population, entre protéger coûte que coûte sa santé, et la peur de ne plus pouvoir nourrir sa famille. Le résultat d’un mois de confinement total est saisissant par le spectacle des queues rassemblant des centaines de personnes devant les boutiques permettant de vendre l’or, les bijoux et les biens de famille. Certains reviennent jusqu’à cinq jours de suite pour essayer de pouvoir enfin rentrer dans la boutique dont les horaires sont très réduits et qui n’accepte que deux clients en même temps. Voici quelques témoignages recueillis par La Stampa : « Je suis arrivée à 5h30 ce matin, je dois vendre de l’or. Je suis venue en cachette, si mon mari le découvre il va me tuer, mais nous avons besoin d’argent. Maintenant… On ne peut pas remettre les courses à plus tard ». Et bien sûr cette situation provoque des tensions entre les gens qui font la queue surveillée par la police et les équipes de sécurité privées : le besoin rend agressif.
L’économie au bord du gouffre
Entre temps, le gouvernement commence à s’apercevoir du gouffre économique qu’est la crise du coronavirus. Il se débat avec l’Union européenne pour négocier quelques aides afin de tenter d’enrayer la chute du pays. Il commence à précipiter la réouverture progressive des activités, mais chaque région n’en fait qu’à sa tête et personne n’arrive à se mettre d’accord. On en arrive à des absurdités telles que la réouverture des librairies et magasins de vêtements pour enfants. Mais les gens n’ont plus d’argent et encore moins pour acheter des livres ou des vêtements. De plus l’attestation de déplacement n’a pas encore changé donc les buts de sortie ne pouvant être que l’achat de biens de première nécessité, le travail ou la santé, à moins d’avoir ces commerces sur la route du supermarché, très peu de personnes y auront accès. Ce qui ressort du débat sur la réouverture c’est que les rapports de santé en sont toujours plus absents : alors que début mars le discours était axé sur la santé à tout prix, aujourd’hui le discours est plutôt l’économie à tout prix. Et pourtant les familles italiennes n’ont toujours pas reçu un centime des aides promises et qui de fait sont plutôt des aumônes, dans le sens que comme le souligne quelqu’un, « on ne vit pas avec 600 euros ». C’est en effet le montant de l’aide promise et seulement 1,4 millions de foyers pourront la recevoir sur les 5 millions de demandes.
De très nombreux dysfonctionnements
En outre, de très nombreux dysfonctionnements ont été mis en évidence par la crise du coronavirus. On a tout d’abord le problème des hôpitaux qui se sont retrouvés saturés et dépassés alors que la crise touche moins de 1% de la population italienne : selon les chiffres du 15 avril 2020, ce sont 21.643 personnes qui sont à l’hôpital pour symptômes, soient 0.05% de la population italienne et 3.079 personnes en thérapie intensive (chiffre qui n’a pas dépassé les 4 000 personnes même lors du pic), soit 0.01% de la population. En effet, on s’aperçoit qu’il y a un manque de lits dans les hôpitaux, un manque de place en thérapie intensive, manque de moyens, de matériel et de médecins…
Cela s’explique par les très nombreuses coupes faites dans le budget alloué à la Santé : depuis 2010, ce sont près de 37 milliards d’euros qui ont été supprimés. L’État ne consacre que 8,8% de son PIB pour ce secteur. En outre de profondes disparités existent entre le nord, où la situation est bien meilleure, et le sud. Et pourtant, nous explique par exemple un Piémontais, « on a un vieil hôpital à Moncalieri [périphérie de Turin], ça fait 15 ans qu’ils parlent d’en faire un neuf. Il n’a jamais été construit. Chaque nouveau maire promet de le construire même si cela dépend de la région qui ne veut pas le refaire. Ils préfèrent que les gens meurent… ».
A propos du matériel, on peut citer le témoignage d’une mère de famille de Florence, qui en dit long sur la situation des hôpitaux de la Péninsule : « Ma fille est médecin à l’hôpital de Florence – nous explique celle-ci. Ils avaient besoin d’un échographe mais celui qu’on leur a fourni était défectueux et l’on ne voyait rien. Ma fille en a donc acheté un neuf à ses frais. C’est ça la réalité des hôpitaux italiens ».
Un système carcéral mal en point
Outre le système hospitalier, le système carcéral craquelle lui aussi. En effet, l’apparition du coronavirus a provoqué de violentes révoltes dans les prisons et des scènes de paniques. Les prisons sont en effet surpeuplées et ce malgré le laxisme judiciaire qui gangrène l’Italie. Depuis 4 ans la population carcérale ne cesse de croître : elle est actuellement de 57.846 détenus alors qu’il n’y a théoriquement que 50 000 places. Un taux de surpopulation de presque 20%, qui peut atteindre pour certaines prisons 50%.
C’est ainsi qu’avec l’arrivée du coronavirus, le risque de contagion a déclenché une révolte au sein des prisons italiennes, largement soutenue par les mouvements d’extrême gauche locaux. A ce jour 204 agents pénitenciers ont été contaminés et 94 détenus presque tous asymptomatiques. Près de 4 000 détenus (ceux qui avaient une peine comprise entre 7 et 18 mois de prisons) ont obtenus d’être assignés à résidence pour décharger les prisons. Mais avant que la question ne soit abordée par les juges, le montant des dégâts causés par les révoltes s’élève à 35 millions d’euros. A Modène, la situation avait fait huit morts chez les détenus, non à cause des rixes qui avaient éclatées mais parce qu’ils avaient dévalisé la pharmacie et pris le plus de médicaments possibles. Cette révolte, certes provoquée par le coronavirus pose la question de la criminalité en Italie et de la justice, entre la criminalité mafieuse et celle étrangère (33% des détenus sont étrangers).
La question des migrants
En effet, le troisième problème est celui de l’immigration. De fait, elle avait marqué une pause quand le coronavirus était en pleine expansion sur le territoire italien. Maintenant l’épidémie se répand en Afrique et les flux migratoires ont fortement repris, avec le débarquement d’une centaine de migrants la semaine dernière. Ce sont généralement des personnes contaminées qui arrivent en Italie mettant à haut risque les régions du sud. A bord de l’Alan Kurdy, bateau de l’ONG allemande Sea Eye, ce sont 150 autres migrants qui sont sur le point de débarquer.
Et pendant les mois de confinement, le défi était de faire face au surpeuplement des centres d’accueil et d’y faire respecter le confinement. Il Primato Nazionale rapporte que par exemple dans un centre d’accueil de Bologne, il y a plus de 200 migrants et que ceux-ci dorment en chambrées de 5 et même parfois 10 personnes collées les unes aux autres. De dangereux foyers potentiels donc, et en effet dans un centre à Vérone, sur 140 migrants 100 se sont retrouvés infectés.
En Calabre, le maire du village de San Ferdinando tire la sonnette d’alarme quand au fait que les migrants du grand centre d’accueil implanté dans sa commune ne respectent absolument pas les mesures de confinement prises par le gouvernement. Le maire, Andrea Tripodi, explique au Giornale : « Il y a un jeune Africain qui est arrivé depuis peu dans le centre après avoir fait escale en France, à Paris, mais il ne veut pas respecter la quarantaine. Nous avons mis à disposition des espaces pour l’isolement. Mais ils ne l’acceptent pas… c’est un problème culturel ». Un problème qui se répercute aussi sur leurs conditions de vie, sur le respect des normes d’hygiène qu’il n’y a pas. La commune a tout fait désinfecter, mais comme le souligne Il Giornale, ce fût inutile parce que les habitants ne se préoccupent pas de les maintenir propres. Et de les voir traîner dehors à prendre le soleil, un habitant confie avec mélancolie : « Je les envie presque ».
Et pourtant, comme toujours ils semblent bénéficier d’un traitement de faveur. En effet, alors qu’à Bari une personne âgée sans domicile fixe est secourue par les policiers parce qu’elle n’a pas mangé depuis trois jours, à Bologne des migrants se voient accorder le droit de toucher les bons d’achats distribués aux familles dans la nécessité, comme le rapporte Il Giornale, alors même qu’ils ont déjà le logement et la nourriture gratuits en plus de l’argent de poche qui s’élève à 35 euros par jour.
Un retour à la foi catholique ?
Il résulte pourtant de cette situation que les Italiens, durement éprouvés économiquement, physiquement et moralement, tendraient à retrouver la foi transmise par leurs aînés, les grands-parents et arrières grands-parents plus durement touchés par le virus. Si l’assistance à la messe est interdite, on assiste en effet à une explosion des chaînes de prières et d’initiatives pieuses telles que la consécration de sa ville à la Vierge Marie comme l’a fait le maire de Venise, Luigi Brugnaro.
Si les grandes processions patronales, qui font partie intégrante de la vie des villes italiennes ne serait-ce que d’un point de vue de sauvegarde de la tradition et de l’héritage culturel, ont également été annulées, l’audience des chaînes de télé religieuses a battu des records. TV2000, chaîne religieuse, est ainsi classée en troisième position, juste derrière Rai1 (canal officiel d’État) et Canale5 (son alter ego sur le groupe Mediaset).
Hélène Lechat
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