FACE À L’ÉPIDÉMIE DE CORONAVIRUS, LES AUTORITÉS COMMUNIQUENT ABONDAMMENT ET FINISSENT PAR DIRE TOUT ET SON CONTRAIRE. QU’EN DISENT LES TRAQUEURS DE « FAKE NEWS », CHECKNEWS DE LIBÉRATION, LE FACT-CHECKING PAR L’AFP ET LES DÉCODEURS DU MONDE ? GLOBALEMENT, SI ON EXAMINE LES BOBARDS GOUVERNEMENTAUX, CES MÉDIAS SEMBLENT ASSEZ PEU BAVARDS DANS L’ENSEMBLE, MÊME SI LIBÉRATION S’EN SORT MOINS MAL QUE LES AUTRES. AVEC L’OJIM, FACT-CHECKONS LES “FACT-CHECKERS” EN REVENANT SUR CINQ BOBARDS.
1. “C’EST UNE PETITE GRIPPE, ÇA VA PASSER, CONTINUEZ À SORTIR”
Avant le réel début de l’épidémie en France, était repris le refrain “c’est une petite grippe, ça va passer, continuez à sortir”. Fréquemment répété sur les plateaux de télévision au début de l’épidémie, une grande partie du gratin médiatique s’est fait l’écho de cette posture, dont Michel Cymes, à qui cela a valu un flot de critiques.
Cette insouciance s’est incarnée dans un tweet d’Emmanuel Macron du 11 mars :
Nous ne renoncerons à rien.
Surtout pas à rire, à chanter, à penser, à aimer.
Surtout pas aux terrasses, aux salles de concert, aux fêtes de soir d’été.
Surtout pas à la liberté.
Surtout pas à notre esprit de résistance qui fait la République si grande, la France si forte. pic.twitter.com/SoBnuWqcof— Emmanuel Macron (@EmmanuelMacron) March 11, 2020
Quelques jours plus tôt le Président était allé au théâtre avec Brigitte, “pour inciter les Français à sortir malgré le coronavirus”.
Le 15 mars, peu avant le début du confinement, les parisiens s’étaient massivement regroupés dans les parcs alors que le risque était de plus en plus grand, engendrant a posteriori, des fortes critiques du Président à leur encontre. Au même moment, Brigitte Macron aussi était de sortie dans les rues parisiennes cette après-midi.
Les Décodeurs du Monde sont revenus le 10 mars sur cette question du coronavirus qui ne serait qu’un “gros rhume monté en épingle”, disant qu’il n’est pas approprié de le considérer ainsi. Mais, en évoquant le gouvernement, au lieu de parler des minimisations de l’épidémie par ce dernier, ils relatent les paroles de l’infectiologue François Bricaire qui considère qu’il en fait “probablement un peu trop” (!).
2. “PAS DE DÉFAUT D’ANTICIPATION CONCERNANT CETTE CRISE”
Autre refrain, directement prononcé par Sibeth N’Diaye, porte-parole du gouvernement, le 23 mars :
#SibethNdiaye, porte-parole du gouvernement, sur la gestion de l’épidémie de #Covid19 : «On ne peut pas dire qu’il y a eu un défaut d’anticipation de cette crise bien au contraire». pic.twitter.com/HC81fvhx8y
— CNEWS (@CNEWS) March 23, 2020
D’ailleurs, ce n’est pas le ministre de la santé qui dira le contraire, le 10 mars, il affirme “[qu’]il n’y a pas de pénurie de masques”.
Une semaine avant, Libération avait bien démontré le manque d’anticipation quant aux masques. Après la commande massive de ces derniers pour la grippe aviaire en 2005, il a été décidé par les gouvernements successifs de ne pas renouveler les stocks. Le choix a été fait de “désormais se réapprovisionner en cas de besoin, en comptant sur les exportations chinoises et les forces de production françaises”.
Sans oublier Agnès Buzyn qui a déclaré, le 17 mars :
“Quand j’ai quitté le ministère [le 16 février 2020], je pleurais car je savais que la vague du tsunami était devant nous.”
Pourtant, mi-février, peu de mesures drastiques étaient prises pour anticiper.
« Il va y avoir des milliers de morts »: Agnès Buzyn déclare avoir lancé l’alerte dès janvier pic.twitter.com/J0cOoCx2N4
— BFMTV (@BFMTV) March 17, 2020
N’oublions pas non plus les suppressions de postes prévues dans certains CHRU, comme celui de Nancy. Objet d’une question à Checknews de Libération, le 8 avril, l’article rappelle qu’il était bien prévu, en “application du projet stratégique du CHRU de Nancy pour revenir à l’équilibre financier, validé en 2019 par le Comité interministériel de performance et de la modernisation de l’offre de soins hospitaliers (Copermo)”, de supprimer “179 lits et 598 postes en équivalents temps plein d’ici 2024”. Une manière particulière d’anticiper une possible crise.
Libération évoque aussi, le 15 mars, les élections municipales que le gouvernement avait décidé de maintenir, en accord “avec une décision du conseil scientifique”.
Concernant les tests de dépistage, Olivier Véran assurait le 9 mars, que la France en pratiquait plus, par rapport à l’Italie :
“Si l’Italie a un taux de mortalité qui est élevé, c’est qu’ils testent moins. Moins vous testez de malades, plus vous passez à côté de patients qui ne sont pas ou peu symptomatiques, et donc plus les malades sévères vont représenter une proportion importante des gens que vous avez dépistés. En France, on dépiste plus large. Depuis le début, j’ai demandé à ce qu’on teste plus large que les recommandations de l’Organisation mondiale de la santé. Un exemple : j’ai demandé à ce qu’on teste tous les malades de réanimation qui ont des troubles respiratoires ou une fièvre inexpliquée.”
Mensonge sur lequel est revenu Libération, le 10 mars. Dans l’absolu, l’Italie teste plus et “contrairement à ce que suggère Olivier Véran, l’Italie a procédé dès le début de la crise à un très grand nombre de tests, sur des profils très peu ciblés, allant au-delà de ce qu’a fait la France”.
Pas de signe de vie de l’AFP ou du Monde concernant ce sujet.
3. “LA FERMETURE DES FRONTIÈRES N’EST PAS UTILE”
Ce bobard a été fortement symbolisé par une déclaration d’Agnès Buzyn, le 20 janvier :
Il faudra le rappeler. Ce ne doit pas être oublié. #COVIDー19 pic.twitter.com/PpLsPghYZn
— Gabriel Robin (@gabirobfrance) March 14, 2020
C’est France Info qui s’est occupé de dire si cela était “vrai ou fake”, le 9 mars. Le média n’a rien trouvé à redire aux propos de la ministre, argumentant qu’à l’époque, le “risque d’importation était estimé entre 5% et 13%”.
Lorsque Marine Le Pen a réclamé la fermeture de ces dernières fin février, Le Monde a attaqué ses dires, tout en rappelant les propos du directeur de l’Institut de santé globale à l’université de Genève, jugeant que c’était “inefficace et illusoire”.
Macron a ironisé sur ses propos en disant le 27 février : “N’en déplaise à certains, le virus ne connaît pas ces limites administratives.”
Sibeth Ndiaye, de son côté, a déclaré le 12 mars :
“manifestement cela n’est pas ce qui a freiné l’épidémie [la fermeture des frontières] (…). Dès lors qu’il était possible d’effacer la trace de la fièvre en prenant des médicaments antipyrétiques, c’est-à-dire permettant de lutter contre la fièvre, c’est une mesure qui n’a pas d’intérêt (…) La fermeture de ses frontières (italiennes) avec la Chine n’a pas permis de freiner l’épidémie.”
Le 13 mars, Olivier Véran abondait toujours dans le même sens :
“Fermer les frontières, une réponse qui scientifiquement n’a pas d’intérêt.”
L’histoire leur aura finalement donné tort, puisque le 17 mars, l’Union européenne ferme ses frontières extérieures. Celles de la France restent ouvertes, contrairement à ses voisins, “avec des contrôles renforcés prolongés jusqu’au 30 octobre 2020.” L’AFP se contente de le rappeler dans un article de “fact-checking” du 4 avril. Pas d’article ultérieur pour Libération ou Le Monde.
Mais Emmanuel Macron a peut être changé d’avis entre temps, puisqu’il déclare finalement le 31 mars :
“Le jour d’après ne ressemblera pas au jour d’avant. Nous devons rebâtir notre souveraineté nationale et européenne.”
4. “NOUS SUIVONS LES RECOMMANDATIONS SCIENTIFIQUES”
Vrai dans de nombreux cas, un article d’Alexis Toulet publié sur Agora Vox nous rappelle que ce n’est pas toujours le cas. Macron déclarait le 16 mars :
“Les décisions ont été prises avec ordre, préparation, sur la base de recommandations scientifiques avec un seul objectif : nous protéger face à la propagation du virus.”
Les décisions prises comprenaient, entre autres, le fait de maintenir “toutes les activités économiques qui ne peuvent être organisées en télétravail”. Le jour même, le conseil scientifique publiait un avis où il était mentionné : “seules doivent persister les activités strictement nécessaires à la vie de la Nation”.
Aucun “fact-checking” des grands médias sur cette approximation.
5. “PORTER UN MASQUE N’EST PAS NÉCESSAIRE”
Dernier grand bobard, qui a d’ailleurs particulièrement mécontenté les Français, puisqu’ils sont “76 % à penser que le gouvernement leur a menti”, celui sur le port du masque.
Le 26 janvier, Agnès Buzyn déclare de manière catégorique que cela était “totalement inutile”.
Olivier Véran abonde encore dans son sens, un mois après :
“Aujourd’hui comme demain, une personne asymptomatique [sans symptôme] qui se rend dans des lieux publics, qui se déplace dans les transports en commun, n’a pas à porter de masque… ce n’est pas nécessaire.”
L’AFP évoque le sujet le 2 mars, par le biais de la question de savoir si il était recommandé ou non de se raser pour se protéger du coronavirus, en mentionnant que “le port des masques n’est recommandé que pour une population bien précise : les professionnels au contact de malades ou les personnes présentant des symptômes. Les autorités de nombreux pays ne cessent d’ailleurs de marteler que le port de masques est inutile en dehors de ces cas et que leur achat en masse fait courir un risque de pénurie pour ceux qui en ont réellement besoin.” Les Décodeurs ont repris plus brièvement ce sujet de la barbe et du masque, quelques jours plus tôt, et donné les mêmes informations.
Le 13 mars, c’est Édouard Philippe qui maintient toujours cette ligne :
“Le port du masque, en population générale dans la rue, ça ne sert à rien.”
Deux jours plus tard, Alexandre Mignon, professeur de médecine spécialiste en réanimation à l’hôpital Cochin, affirme que “le port du masque pourrait être extrêmement utile pour renforcer les mesures de confinement.”
Pourtant le 17 mars, l’AFP répète encore que masques et gants sont inutiles.
Pas de changement du côté du gouvernement non plus. Sibeth Ndiaye déclare le 25 mars :
“Il n’y a pas besoin d’un masque quand on respecte la distance de protection vis-à-vis des autres.”
Édouard Philippe, le 1er avril est toujours sur la même ligne (le 31 mars, un scientifique chinois avait déclaré que ne pas porter de masque était une “grave erreur”) :
“Il n’y a pas de preuve que le port du masque dans la population apporterait un bénéfice. Ce serait même plutôt le contraire, à cause d’une mauvaise utilisation.”
Et soudainement, le 3 avril, Jérôme Salomon se met à déclarer :
“Nous encourageons le grand public, s’il le souhaite, à porter […] ces masques alternatifs qui sont en cours de production.”
Après tant de mensonges, quel “fact-checking” des déclarations gouvernementales ? Le 2 avril, Mediapart sort une enquête à charge contre le gouvernement sur ce sujet, intitulée “Masques : les preuves d’un mensonge d’État”. 20 Minutes écrit aussi un article retraçant le “volte-face” du gouvernement.
Du côté de nos grands décodeurs de service, ils sont peu bavards, Libération évoque surtout le port du masque dans le monde, et un peu, les déclarations du gouvernement. L’AFP évoque timidement le sujet en se demandant si les “masques faits maison” sont efficaces ou non. Le Monde mentionne le “virage à 180 degrés” du gouvernement puis met en avant leurs arguments pour l’expliquer en le justifiant, “la priorité était de fournir les personnes en première ligne, les soignants”. Mi-mars, ils s’étaient abondamment faits les relais du gouvernement, en mettant en avant l’argument selon lequel, “tout le monde n’a pas besoin d’un masque”. Compliqué de se “fact-checker” soi-même…
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