Coronavirus, pandémie. Nous avons la mémoire courte ! [L’Agora]

Pour les plus jeunes génération, cette épidémie mondiale est un événement encore jamais connu, jamais vécu. Mais fichtre ! Nous avons la mémoire courte. Sans remonter au Moyen Âge, ni même à la grippe espagnole qui, en 1919-1920 fit pas loin de 50 millions de morts, il y eut des pandémies très mortelles.

Deux épidémies qui ressemblent fortement au coronavirus, ont frappé le monde en 1957 et en 1969.

En 1957, la « grippe asiatique » se répand dans le monde. Certains s’en souviennent encore et cette grippe fera 100 000 morts rien qu’en France.

En 1969, de nouveau venue d’Asie, la grippe dite « de Hong Kong » frappe le monde. Elle va faire 31 000 morts en France et plus 1 million de morts dans le monde.

Dans Libération, un article sur la « grippe de Hong Kong » nous dit de la situation en 1969 :

« “On n’avait pas le temps de sortir les morts. On les entassait dans une salle au fond du service de réanimation. Et on les évacuait quand on pouvait, dans la journée, le soir.” Aujourd’hui chef du service d’infectiologie du centre hospitalo-universitaire de Nice, le professeur Dellamonica a gardé des images fulgurantes de cette grippe dite “de Hongkong” qui a balayé la France au tournant de l’hiver 1969-1970. Âgé alors d’une vingtaine d’années, il travaillait comme externe dans le service de réanimation du professeur Jean Motin, à l’hôpital Edouard-Herriot de Lyon. “Les gens arrivaient en brancard, dans un état catastrophique. Ils mouraient d’hémorragie pulmonaire, les lèvres cyanosées, tout gris. Il y en avait de tous les âges, 20, 30, 40 ans et plus. Ça a duré dix à quinze jours, et puis ça s’est calmé. Et étrangement, on a oublié”. »

Et c’était il y a 50 ans ! Étrangement, on a oublié.

Encore plus étrange furent les traitements politiques et médiatiques qui en furent faits. Alors que l’hôpital fait face à une crise sanitaire majeure : afflux brutal de malades, impossibilité de les soigner, mortalité par dizaine de milliers, nul ou presque n’en parle. La presse de l’époque parle essentiellement de la mission Apollo sur la Lune, de la guerre du Vietnam, des suites de mai 1968… mais pas ou peu des dizaines de milliers de personnes qui meurent dans des hôpitaux surchargés. Pire, le monde continue de tourner, presque comme si de rien n’était.

Alors que nous enseigne l’Histoire ?

D’abord et c’est une bonne nouvelle, que nos sociétés en ont « connu d’autres » et qu’elles se remettent de ces épidémies. Malgré la mortalité de masse provoquée par elles, nous n’allons pas tous mourir et la vie gardera le dessus.

En 1969 encore, la mort de millions d’individus semblait une fatalité alors qu’aujourd’hui elle nous paraît inacceptable. Nous attendons de la science qu’elle nous protège de toutes ces maladies, qu’elle arrive à les vaincre, voire peut-être un jour, vaincre la mort elle-même. Je parle bien sûr pour nos sociétés occidentales car 100 000 morts nous paraissent un choc majeur et inacceptable en Europe ou en Amérique du Nord alors que personne ou presque ne semble hélas s’offusquer que le paludisme puisse tuer chaque année un demi-million de personnes en Afrique…

L’Histoire nous enseigne encore que nos exigences vis-à-vis de l’État ont beaucoup changé. Nous sommes désormais, et c’est le prix de l’État-providence, dans une société qui « attend tout de l’État ». En 1969, personne n’attendait de Pompidou qu’il arrête la « grippe de Hong Kong » ou encore organise le confinement de la population pour sauver des vies. Aujourd’hui, le moindre accident est nécessairement lié à la responsabilité d’une autorité publique et si l’on n’arrive pas à un résultat immédiat et satisfaisant, c’est forcément que les élites ont failli.

Enfin, l’Histoire nous enseigne que la sphère médiatique a beaucoup changé et influence terriblement le regard sur les événements. En 1969, comme on ne pouvait pas arrêter la maladie, on n’en parlait quasiment pas. Et la vie continuait tant bien que mal. À l’ère des médias d’info en continu on ne parle plus que de la maladie, du traitement sanitaire, politique, économique. Tout devient très vite sujet à polémique et à scandale. Pire, on a l’impression que notre vision du monde se limite désormais à ce qui défile sur nos écrans. Et comme il n’y a plus que la maladie sur nos écrans on oublierait presque que la vie continue, avec ce qu’elle a de bien, mais hélas aussi avec ce qu’elle à de pire.

Prenons conscience que les épidémies ont toujours existé et existeront probablement toujours. Elles ne sont pas forcément issues de complots de savants fous manipulés par des militaires dans des labos secrets, mais simplement des virus qui font partie de la Nature, au même titre que nous.

Que l’on pourra déployer toute la science et posséder les meilleurs gouvernements du monde, il y aura toujours un événement naturel que nul n’avait prévu et que l’on ne pourra pas totalement éviter.

Essayons donc de ne pas perdre nos nerfs et notre moral rivés sur le compteur des morts qui monopolise nos écrans, restons unis plutôt qu’à accuser déjà les uns et les autres, concentrons-nous sur les vies que l’on peut sauver chacun dans son rôle et à sa place, continuons de vivre, d’aimer, d’inventer car ni le monde ni la vie ne se sont arrêtés et profitons peut-être, pour ceux qui en ont, d’utiliser le temps pour imaginer le monde meilleur dans lequel nous voudrions vivre à la sortie de cette crise.

Regarder le passé, c’est parfois prendre le recul nécessaire qui permet de mieux construire l’avenir.

Luc Arbogast, chanteur de rue alsacien

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