Vers la disparition programmée des croisières de masse ?

C’était sur la fin du mois de janvier, les Chantiers de l’Atlantique venaient d’engranger une commande record de plus de 2 milliards d’euros auprès de l’armateur italo-suisse MSC Croisière, portant sur la construction de deux gigantesques paquebots des mers. Une vraie consécration pour ce fleuron industriel habitué à essuyer les crises cycliques de la construction navale et qui semblait sortir de l’ornière des années noires (début des années 2000), grâce à l’hégémonie des grands croisiéristes capables de remplir un géant de 6 000 places.

La croisière ne s’amuse plus

Entre temps le covid-19 a fait son œuvre de propagation, s’invitant à bord des mastodontes partis en goguette aux quatre coins du globe. Une fois le mal à bord, le symbole des vacances de rêve tant prisé des reportages TV s’est soudainement transformé en navire d’errance répudié par chaque pays ou retenu à quai dans des conditions de confinement drastiques. L’histoire gardera en mémoire la longue attente des passagers du Diamond Princess et la divagation désespérée du paquebot néerlandais Zaandam au large des côtes sud-américaines.

« Lazarets flottants »

À l’intérieur des bateaux, la grande promiscuité des passagers et l’occupation dense a facilité la haute contagiosité du virus avec un nombre considérable de personnes touchées par la contamination (plus d’une centaine en quelques jours). Pour les passagers, l’insouciance d’une croisière indolente a basculé dans les conditions étouffantes d’un confinement à endurer dans l’intérieur des cabines étriquées, privées de hublot pour un certain nombre d’entre elles.

L’impact de ces incidents sur l’industrie de la croisière parvenue au faîte de sa puissance n’a pas fini de produire ses effets dévastateurs. Outre les images impressionnantes faisant état de la paralysie forcée des bateaux pestiférés, le récit apocalyptique des passagers tenus de rester sur des navires reconvertis en lazarets flottants ne manquera pas de refroidir les ardeurs des prochains candidats…

L’épée de Damoclès

Après un tel traumatisme, comment concevoir une reprise rapide de l’activité ? Il est évident que les navires de croisière ne sont pas prêts d’appareiller tant que la menace ne sera pas définitivement écartée. Seule la mise au point d’un vaccin fiable est en mesure de protéger les populations face à la réapparition du coronavirus  qui a montré l’effroyable fulgurance de sa contamination sur un grand nombre de navires de croisière. Or ce dernier n’est attendu que sur un délai minimum d’un an. Autrement dit, dans le meilleur des cas, le secteur de la croisière de masse risque d’affronter un immense trou d’air d’une année, durant laquelle il devra s’employer à renouer avec une clientèle désormais apeurée par le risque épidémiologique.

Cette clientèle traditionnelle composée de retraités aisés restera durablement marquée par les mésaventures de ses congénères et il est à craindre que leur désertion des quais d’embarquement perdure par le souvenir du scénario catastrophe qui s’est joué notamment sur le Diamond Princess.

Avec cette épée de Damoclès vouée à se balancer pendant plus d’une année, difficile d’imaginer que ce secteur naguère ultra florissant puisse repartir de sitôt.

Bien au contraire, la pandémie du covid-19 a sans doute sonné le glas d’une forme de tourisme mondialisé démunie et sans défense face à un péril qui s’immisce dans les flux de personnes et se renforce en milieu fermé.

La reconversion nécessaire des Chantiers

Dans les prochains mois, s’annoncent en toute vraisemblance les faillites en cascade des grands croisiéristes, battant d’ailleurs pavillon dans les pays les plus impactés par le covid-19 (Italie / États-Unis), faut-il le remarquer… D’ores et déjà lestées par un énorme endettement lié à l’acquisition de leurs coûteux actifs (un navire coûte près d’ 1 milliard), leurs finances ne supporteront pas les gigantesques pertes d’exploitation entraînées par la paralysie de leur flotte pendant toute une année. Une telle défaillance est donc susceptible d’entraîner l’annulation des mirifiques commandes gagnées par les Chantiers en janvier.

La perte de visibilité des carnets de commandes reposera la question de la nationalisation des Chantiers de l’Atlantique détenteurs d’un grand savoir-faire technologique irrigué par tout un tissu de sous-traitants indispensables à la survie industrielle de la région. Toujours est-il que si le destin funeste des croisiéristes n’est pas du ressort de la France, la possibilité d’une reconversion de l’outil industriel des Chantiers sous le giron de l’État peut laisser entrevoir un petit espoir de le sauver.

La fin d’un modèle touristique

Quant au modèle de la croisière de masse, conçu avec l’objectif d’embarquer des milliers de passagers et de les déverser de port en port, il est bien obligé de reconnaître son incompatibilité avec la résurgence possible du risque pandémique.

Mais faut-il regretter la disparition du mode de vacances le plus débilitant au monde ? Uniquement nourri par la seule envie de se vautrer en huis clos dans une débauche de divertissements, au point de rester superbement indifférent à la visite des sites dans lesquels le navire est amené à faire relâche.

Ce qui va disparaître du jour au lendemain n’est que le condensé des pulsions de la société de consommation transposées à l’échelle d’un paquebot, mettant en scène une créativité débordante au service de l’hyper loisir. Mais dans ces navires qui en imposent, tout y est factice : de la démonstration pathétique d’un pseudo-luxe tapageur comme une injure au bon goût, à l’absence d’art de vivre malgré le décorum des salons de réception ou l’on sert une nourriture insipide préparée par une armée d’esclaves de commis philippins et où l’on trinque en toute ignorance  en servant de de la bullasse premier prix confondue avec un champagne (authentique), en passant par les excursions confinées à des « spots touristiques ultra-fréquentés » voués à recevoir les troupeaux de touristes abêtis par les spectacles, les nuits au casino, les dîners du capitaine, les descentes dans les toboggans géants, le shopping dans la galerie marchande, etc.

Ce n’est pas une énorme masse de glace immergée qui aura sonné l’hallali des fastueuses croisières pour touristes désœuvrés, non, l’ironie du sort a voulu qu’un vilain virus entré dans l’intimité des cabines endosse la responsabilité du plus grand naufrage de tous les temps !

Raphno

Photo : DR
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