Parmi les différents articles qui sortent en ce moment, certains traitent de la grippe de Hong Kong de 68-69. Elle apparaît en Chine à l’été 68, se diffuse à Hong Kong et se propage rapidement dans le monde, notamment aux USA via la circulation induite par la guerre du Viêt Nam.
Elle arrive en Europe en deux vagues, dont la deuxième, au cours de l’hiver 69, fera plus de 30 000 morts dans une France qui comptait seulement deux tiers de la population actuelle. Les trains sont presque à l’arrêt dans certaines régions du sud-ouest, des écoles sont fermées par manque de professeurs, malades.
Pourtant, les médias de l’époque n’en font pas leurs grands titres. Les hommes politiques n’en font pas une priorité. Personne, aujourd’hui pas plus qu’hier, ne se souvient de cette épidémie, et a fortiori ne reproche à Pompidou sa gestion de cette pandémie.
Qu’est ce qui a changé et qui explique l’hyper-réaction française actuelle, frôlant parfois l’hystérie ? Qu’est ce qui fait qu’aujourd’hui la France a choisi – pour la première fois – la vie plutôt que l’économie ? Faut-il s’en féliciter, ce qui assez naturellement serait la première réaction ?
L’une des évolutions majeures sous-jacentes est probablement que nous n’acceptons plus la mort.
Elle a quasiment disparu de notre environnement. On meurt en Ehpad ou à l’hôpital, plus chez soi, de plus en plus de vieillesse et non de maladie. Combien sommes-nous à avoir accompagné un proche encore jeune dans ses derniers instants ? À s’être recueilli devant un mort (pas devant un cercueil) ?
Au contraire, on rêve d’immortalité comme le montrent les recherches sur l’humanité augmentée et le transhumanisme que mènent fort sérieusement et avec parfois notre bienveillance quelques grands patrons californiens emblématiques qui ont fait fortune…
La perspective de mourir d’une épidémie – ou de quoi que ce soit du reste – est progressivement devenue inacceptable.
Cette période d’épidémie met du reste en évidence un vrai paradoxe : nous confinons de plus en plus nos vieux en Ehpad où nous ne voulons pas les voir mourir. Et où ils mourront peut-être dans les prochains jours autant de solitude aggravée par le confinement que du coronavirus.
L’Italie et l’Espagne ont probablement encore des organisations sociétales plus humaines, avec les générations anciennes qui restent à la maison et cohabitent avec les plus jeunes… au risque d’être infectées et de payer un plus lourd tribu à la maladie… Quel est à cet égard le « bon » choix ?
J’ai développé dans un précédent papier quelques éléments qui me font penser que l’épidémie du Coronavirus est intermédiaire entre la grippe de Hong Kong et la grippe de 2016-17 qui a fait dans l’indifférence générale 15 000 morts en France.
Nos gouvernants ont pris la décision d’arrêter quasi totalement l’économie pour une maladie qui est létale, en caricaturant, essentiellement pour les retraités. Loin de moi évidemment l’idée qu’il faudrait les sacrifier allègrement et qu’on pourrait se contenter de danser sous la pluie face à la pandémie.
Mais d’autres pays ont fait des choix différents pour répondre à cette épidémie, plus pragmatiques et courageux, comme la Corée ou plus près de nous l’Allemagne.
Pouvions-nous réagir différemment ?
Plus grave, la présentation compassionnelle et humaniste que nous avons en France pour justifier cet arrêt brutal de l’économie est-elle sincère ou est-elle est avancée pour masquer l’incompétence ? Faute du courage managérial du leadership dont il faut faire montre quand tout commence à déraper ?
N’est pas Churchill qui veut.
Quelles seront les conséquences de cette gestion de l’épidémie pour notre pays ?
Nous verrons très certainement un appauvrissement de tous, avec notamment de très nombreuses défaillances de petites entreprises et d’artisans qui n’auront pas la trésorerie nécessaire pour passer cette longue période d’inactivité et financer le redémarrage.
Ce qui entraînera une augmentation du chômage et une baisse du niveau de vie, surtout des plus précaires, notamment ceux qui ont des métiers où, contrairement à d’autres activités exercées par une « élite » (?) urbaine, on ne peut pas télétravailler…
Cet appauvrissement risque fort de les mener au choix – entre autres – de faire l’impasse sur le paiement d’une mutuelle et donc sur des traitements en cas de maladie. Et de promouvoir le recours accéléré aux produits agroalimentaires à bas prix, la « malbouffe », qui conduit à l’obésité dont on est en train de voir qu’elle est un vrai facteur de risque pour le Coronavirus comme pour la grippe.
Nous verrons aussi une augmentation dramatique de l’endettement de l’État et des collectivités, liée aux mesures prises (bien évidemment toutes ne sont pas inutiles ou stupides), à l’augmentation du chômage et aux mesures de relance qui vont sans doute suivre dans un contexte de forte réduction des rentrées financières publiques.
Se pose alors une question : comment arriverons nous dans ces conditions à financer demain « le meilleur système de santé du monde », dont la crise présente montre qu’il est sans doute le plus cher mais peut-être pas le plus efficace ?
Nous risquons bien de nous retrouver avec une médecine à deux vitesses, l’une privée pour l’ « élite » (?) urbaine et une publique et sans moyens pour les « petites gens », ceux qui se sont pris de plein fouet l’impact des délocalisations en Europe de l’Est et en Chine, la réduction des services publics dans les territoires, et qui subiront demain les conséquences économiques de la crise liée à la pandémie.
Le choix de sacrifier l’économie aura malheureusement probablement pour conséquence de nous rapprocher de la situation de pays du tiers monde, qui ne sont pas forcément tous les mieux armés pour faire face à ce genre de pandémie faute d’une économie forte et d’un gouvernement ou d’une administration efficace, permettant de financer tout le « back office » qui nous est nécessaire.
Je crains que ce choix compassionnel, sincère ou machiavélique, d’un objectif que l’on pourrait qualifier de « zéro mort » et non de mesures sanitaires raisonnables préservant l’économie n’ait des conséquences très lourdes à moyen terme. Conséquences qui pourraient s’avérer beaucoup plus graves en termes de santé publique que l’épidémie actuelle, pour ceux qui n’auront pas les moyens de se payer demain un système de santé privé.
Je souhaite évidemment me tromper.
Et j’espère que nous pourrons relancer au plus vite la machine économique avec des mesures sanitaires adaptées (port de masques, confinement des porteurs du virus et protection des populations à risque), et que nous serons capables de retrouver la raison, de réagir en tirant les leçons de cette crise, qu’elles soient techniques, économiques ou philosophiques.
Car sinon, il ne nous restera vis-à-vis de nos dirigeants que l’humour grinçant en paraphrasant Churchill : « Vous aviez le choix entre sacrifier la vie ou l’économie, vous avez choisi l’économie et vous aurez sacrifié la vie »…
Vincent Terrasson
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