Coronavirus : les étranges souffrances de Bernard-Henri Lévy

Le coronavirus  met à mal les convictions du « philosophe » : mondialisation, Union européenne, migrants… Même Emmanuel Macron est obligé de composer avec le réel : « quoi qu’il en coûte ».

Propriétaire du Point, François Pinault y héberge Bernard-Henri Lévy. Geste humanitaire qui permet au « philosophe » de bénéficier d’une tribune et d’un salaire. Le gîte et le couvert en quelque sorte. Il serait excessif d’écrire que la chronique de ce dernier dynamise les ventes et enthousiasme les lecteurs. L’utilité de notre homme sur le plan commercial reste à démontrer. Ce n’est pas ce que Pinault attend de lui ; la présence de BHL est davantage « idéologique » et « politique ». En effet le patron d’un grand groupe se doit non seulement d’assurer ses arrières, mais encore de se protéger de toutes les offensives malveillantes que pourrait alimenter tel ou tel groupe de pression. Or, derrière M. Lévy, se dissimulent plusieurs lobbys dont la puissance et l’influence dans les médias ne sont pas à démontrer. De ce fait, avec BHL, Pinault s’achète une assurance tous risques sur plusieurs « secteurs » dans lesquels le chroniqueur du Point possède ses entrées ; ça peut toujours servir, doit penser Pinault. Les écrits de BHL, l’homme de Kering s’en fiche royalement, ce qui compte à ses yeux ce sont l’influence et l’entregent de M. Lévy. Et comme BHL parle à merveille le « politiquement correct », il n’y a aucun dérapage à craindre.

« Sauver Bruxelles ou mourir »

En ce moment, le bloc-notes de BHL porte évidemment sur la propagation du coronavirus. Et tout ce qui peut « conforter les réflexes xénophobes » inquiète ce dernier car il craint «  le pire : la tentation du repli, de la forteresse » (Le Point, 26 mars 2020). Tout le monde aura remarqué que, dès le démarrage de l’épidémie, on a eu droit au chacun pour soi. Pas de véritable concertation entre les dirigeants européens et quasi-disparition de la Commission européenne du circuit ; elle s’est contentée d’autoriser les aides d’État (massives) pour soutenir les entreprises et les ménages, de décider la suspension des traités budgétaires et de fermer les frontières extérieures pour trente jours. Dans une large mesure, les États retrouvent leur souveraineté et on est loin de l’Europe triomphante. Voilà qui ne va pas réjouir BHL pour qui « les ripostes, les résistances ne peuvent se faire qu’au niveau de l’empire européen au sens où l’entendaient Dante et Machiavel. La bonne agora, en d’autres termes, est aujourd’hui à Bruxelles. Eh oui ! Ça ne veut pas dire que Bruxelles marche bien. Et il y a, évidemment, un énorme travail de démocratisation à opérer. Mais ça veut dire qu’il faut sauver Bruxelles ou mourir. » (Les Échos, 11- 12  janvier 2019).

Mais les circonstances exceptionnelles ont leurs exigences. « La France n’a pas d’amis, elle n’a que des intérêts », disait de Gaulle. Les autres pays européens pourraient également reprendre à leur compte ce principe, ce qu’ils font en prenant les décisions qu’ils jugent les meilleures pour juguler cette crise sanitaire sur leur territoire. Et on ne demande pas l’avis du voisin… et encore moins celui de Bruxelles. Seule la priorité compte : sauver la vie des nationaux. Évidemment, BHL n’avait pas songé à tout cela. Lorsque l’essentiel est en jeu, on oublie même les traités : traité sur l’Union européenne, traité sur le fonctionnement de l’Union européenne et traité de Lisbonne (loi du 13 février 2008).

Le début du déclin du commerce mondial

BHL n’est pas seulement européiste, il est également mondialiste. Ce qui l’autorise à déclarer sans sourciller : « Il faut rompre avec l’idée d’une relation de cause à effet entre mondialisation et épidémie. » (Le Point, 26 mars 2020). Pourtant tout le monde croyait savoir que la pandémie avait démarré à Wuhan… Daniel Cohen, directeur du département d’économie de l’École normale supérieure, analyse – à l’intention de Bernard-Henri Lévy et des autres – la nouvelle donne qui ne va pas dans le sens du renforcement de la mondialisation « C’est à l’origine une nouvelle crise de la mondialisation. Née en Chine, elle a donné la mesure de l’extraordinaire vulnérabilité de la chaîne de valeur mondiale. Pour faire une Renault, il y a 2 100 pièces qui peuvent être fabriquées par autant de sous-traitants partout dans le monde. C’est la même chose pour les produits pharmaceutiques. À force de chercher des économies, des poches de réduction des coûts, on s’est mis dans une situation de trop grande dépendance à l’égard du commerce international. C’est allé trop loin. Le réchauffement climatique d’abord, et maintenant ce virus, nous rappellent à l’ordre. Cette crise va être l’accélérateur d’une tendance déjà à l’œuvre : raccourcir les chaînes de valeur, relocaliser les activités. Ce changement d’attitude a d’ailleurs commencé l’an dernier avec le coup de boutoir qu’a donné Trump au commerce mondial. Les Chinois ont compris qu’ils ne pouvaient plus miser sur l’interpénétration technologique de leur économie avec celle des États-Unis. Ils vont avoir un fonctionnement plus autarcique. Nous en faisons aussi l’expérience en Europe, avec la 5G. Plus personne n’a envie de dépendre, ni d’un Américain, ni d’un Chinois. C’est le début du déclin du commerce mondial. » (L’Obs, 19 mars 2020).

Heureusement pour BHL, il a quelques alliés. Ainsi Jacques Delors. Mise en garde solennelle de l’ancien président de la Commission européenne : « Le climat qui semble régner entre les chefs d’État et de gouvernement et le manque de solidarité européenne font courir un danger mortel à l’Union européenne. » (L’Obs, 2 avril 2020). Lors d’une fameuse conférence de presse remontant au 15 mai 1962, Charles de Gaulle lui avait par avance répondu : « C’est sur des éléments d’action, d’autorité, de responsabilité qu’on peut construire l’Europe. Quels éléments ? Eh bien, les États ! Car il n’y a que les États qui soient à cet égard valables, légitimes et capables de réaliser. J’ai déjà dit et je répète, qu’à l’heure qu’il est il ne peut y avoir d’autre Europe que celle des États, en dehors des mythes, des fictions, des parades. » Voilà qui est dit avec clarté.

Les événements actuels vont peut-être contraindre Lévy et Delors à comprendre, qu’en politique, seules les réalités comptent.

Bernard Morvan

Crédit photo : The nexus Institute/Wikimedia (cc)
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