Il est indéniable que le Covid a été, à défaut d’être imprévisible, inattendu vu notre niveau d’impréparation et de sidération. Mais on ne peut qu’être stupéfait de la réaction tant de notre pays que de la majorité de nos voisins européens, dont on peut se demander si elle ne s’apparente pas à un suicide économique.
Une grippette qui ne touche que les vieux ?
Cette réaction initiale de certains au début de l’épidémie est désormais considérée comme le summum de l’idiotie. Et pourtant… Que nous montrent les chiffres, connus depuis le premier rapport de l’Institut Supérieur de Santé italien (iss.it) sur les 3500 premiers morts du Coronavirus le 18 mars, confirmé par les rapports hebdomadaires de santepubliquefrance.fr ?
- Moyenne d’âge des décès : 80 ans (pour mémoire l’espérance de vie en France est de 82 ans). Plus de 85% des morts ont plus de 65 ans
- Seuls 2% des décès sont observés chez des personnes sans facteur de risque (affection cardiaque ou respiratoire, diabète,…)
- A ce jour, 13000 morts « du Covid » (sachant que la moyenne des décès en France est de 11500 par semaine toutes causes confondues)
La grippe 2016-17 a provoqué 14500 décès (santepubliquefrance.fr) dans l’indifférence générale, en touchant également essentiellement les personnes âgées.
L’épidémie de Covid se stabilise depuis une semaine et va sans doute se finir à 20000 décès sachant que vu l’âge moyen des décès, une partie des victimes serait malheureusement sans doute morte dans les prochaines semaines. Et qu’en Ehpad, les décès « coronavirus » seront probablement dus autant au sentiment d’abandon lié au confinement qu’à la maladie. On est donc probablement en présence non pas d’une grippette, mais d’une très mauvaise grippe… Qui est fatale essentiellement pour les plus âgés voire les très âgés. Mais entre-temps, le monde s’est arrêté de tourner… On a mis à l’arrêt l’économie française et européenne pour une maladie qui touche essentiellement les retraités. Que s’est-il passé ?
Combien de chômeurs valent deux ans de vie en Ehpad ?
La question est atroce, et d’une certaine manière je suis lâchement heureux de ne pas avoir à y répondre personnellement. Laissons à César ce qui est à César : gouverner c’est prévoir et agir. Et agir, c’est choisir. Et la compassion est la pire chose pour César dans cette affaire. C’est en fait le côté moins confortable du management que de ne pas pouvoir profiter que des ors de la république et de devoir de temps en temps prendre des décisions difficiles. En faisant montre alors de ce qu’on appelle souvent le courage managérial.
Un message clair, mettant en perspective la situation, lançant dès fin janvier des mesures préparatoires pour gérer l’épidémie, et annonçant que l’on assisterait à un pic de mortalité parmi les personnes les plus âgées et les plus fragiles comme pour les épidémies de grippe sévère que nous rencontrons tous les 5 ou 7 ans (en sous entendant qu’il y aurait peut-être si nécessaire un tri pour les lits de réanimation en écartant les personnes très âgées et fragiles dont la probabilité de survie à une intubation est très faible) aurait-il été possible et audible ? Nous ne le saurons pas car la communication du gouvernement a été nullissime dans cette affaire, le sujet des masques étant le summum. Prenant les français pour des imbéciles, il s’est étonné qu’ils se comportent parfois en imbéciles (bien moins cependant qu’on n’aurait pu s’y attendre). Il est vrai qu’il a été bien aidé par les medias et notamment les chaines d’information continue et les réseaux sociaux qui ont relayé sans relâche et sans recul des informations moyennement pertinentes (nombre total de morts alors que l’information important est l’évolution journalière de la surmortalité, taux de gravité qui dépend essentiellement du nombre de personne testées, « oubli » que le confinement ne changera pas le nombre total de cas mais réduit seulement le pic…) et sans se souvenir de la prudence qui aurait été de mise au vu des précédentes prévisions non réalisées comme celles du H1N1 ou la maladie de la vache folle.
Et l’on a assisté dans les faits à une course entre gouvernements, sachant qu’une fois qu’un gouvernement voisin a pris des mesures, il faut effectivement bien du courage pour agir en montrant qu’on n’en fait pas autant. Et on arrive à cette situation ubuesque où l’Europe se suicide économiquement, la France la première, là ou d’autres pays notamment asiatiques comme la Corée – bien mieux préparée il est vrai – ont fait des choix différents. Il est évident qu’il faut protéger les populations à risque, mais l’immense majorité de la population active n’en fait pas partie. Et l’exemple asiatique montre qu’à priori le port de masques même imparfaits a le même effet que le confinement.
» Le Titanic coule, mais on interdit l’usage des canots de sauvetage car leur peinture contient du plomb » (M Onfray)
Cette image traduit bien le sentiment d’étonnement que l’on est forcé de ressentir face à la réaction de nos gouvernants et de notre administration, omniprésente, routinière et incapable de la moindre imagination. Les exemples sont innombrables.
- Les règles européennes permettent la libre circulation des personnes… On a maintenu ce dogme pendant plusieurs semaines avant que le bon sens ne reprenne le dessus, là où les pays asiatiques ont très rapidement limité les mouvements, et testé les voyageurs dans les aéroports
- Nous n’avions pas (plus) de stock de masques. Dont acte. Les personnels soignants doivent être protégés plus que les autres avec des masques FFP2, les masques « lambda » ou « de fortune » permettent de ralentir la propagation de façon similaire. Alors que dès février le sous équipement était évident, personne n’a initié de production nationale de ce produit de faible technologie. Les approvisionnements sont passés par les procédures classiques d’appels d’offres, les produits de substitution suivent des procédures d’homologation longues comme si on avait le temps…
- Didier Raoult a probablement un égo surdimensionné, il a aussi une belle expérience dans ce type de pandémie et un solide bon sens. La chloroquine n’est probablement pas efficace à 100%, c’est néanmoins le seul traitement qui marche plus ou moins. Lancer la démarche méthodique habituelle en double aveugle permettra d’avoir des certitudes « quand nous serons tous morts » et que les stocks auront été réquisitionnés par le Maroc, et les Etats Unis qui eux avancent. Là aussi, pourquoi n’a-t-on pas lancé des commandes massives, quitte à les interrompre si les études complémentaires montrent une efficacité inexistante
- L’un des éléments clé est de tester les « suspects » pour confiner ceux qui sont positifs. Nous manquons de capacité de test, mais n’utilisons pas les laboratoires régionaux ou vétérinaires, sous prétexte qu’ils ne sont pas habilités « humain »
- Les cliniques privées ont libéré et mis à disposition des lits de qui sont restés sous utilisés alors qu’on évacue des patients dans d’autres régions, car les ARS (hors quelques exceptions) ne raisonnent que secteur public
Il sera sans doute utile de profiter du confinement pour relire C Northcote Parkinson (l’économiste, pas le médecin) qui, étudiant les administrations, avait démontré leur tendance fondamentale à s’étendre indépendamment de travail effectif à faire, sachant que le temps nécessaire à tout travail à effectuer augmente jusqu’à occuper entièrement le temps qui lui est affecté. Et dans le cas qui nous occupe, personne n’a visiblement pensé à indiquer qu’il y avait urgence… Et qu’il était permis de réfléchir pour être efficace.
Le monde d’après Covid ne changera pas
La mode est actuellement de dire que rien ne sera comme avant après la pandémie. Dani Rodrik dans un éditorial récent dans les Echos a développé une vision inverse que je crois beaucoup plus réaliste. « Les événements historiques majeurs tels que la crise actuelle ont tendance à engendrer leur propre « biais de confirmation » : il est possible que chacun observe dans la débâcle du Covid-19 une confirmation de sa propre vision du monde, et perçoive les signes naissants d’un ordre économique et politique futur auquel il aspirait depuis longtemps. En effet, ceux qui souhaitent davantage d’Etat et de biens publics auront toutes les raisons de penser que la crise confirme leurs convictions. Les sceptiques face au gouvernement, ceux qui dénoncent son incompétence, seront également confortés dans leurs points de vue. Ceux qui aspirent à davantage de gouvernance mondiale affirmeront qu’un système de santé international plus solide aurait pu atténuer les coûts de la pandémie. Enfin, ceux qui souhaitent un Etat-nation plus fort pointeront du doigt les nombreux exemples dans lesquels l’OMS semble avoir mal organisé sa réponse à la crise (en se fiant aux déclarations officielles de la Chine, en s’opposant aux interdictions de voyage, ou encore en désapprouvant le port du masque). En somme, le Covid-19 pourrait bien ne pas changer – et encore moins inverser – les tendances qui étaient évidentes avant la crise. Le néolibéralisme poursuivra sa propre agonie. Les autocrates populistes deviendront encore plus autoritaires. L’hypermondialisation restera sur la défensive face aux revendications de marge de manoeuvre politique des Etats-nations. La Chine et les Etats-Unis maintiendront leur trajectoire de collision. »
Que faire alors ?
Les décisions prises sont maintenant lancées, leurs conséquences difficilement évitables et le Covid fera sans doute à moyen terme plus de morts liés à la crise économique qu’à l’épidémie. Tout comme la maladie de la vache folle a fait – à moindre échelle – plus de morts par suicide chez les agriculteurs dont on a abattu les troupeaux que par effet direct… Nous ne pouvons qu’espérer que notre pays et nos voisins européens sortiront de cette crise sans avoir basculé dans le tiers monde. Les éléments ci-dessus ne réduiront évidemment en rien la douleur de ceux qui auront perdu un proche dans cette épidémie. D’autant plus s’il est jeune. Le fait d’être du mauvais côté des statistiques n’est pas vraiment un élément de réconfort. Mais ils devraient nous permettre de réfléchir. Nos sociétés modernes ont perdu la proximité avec la mort qu’ont connue les générations précédentes, avec les guerres ou les maladies qu’on ne comprenait pas ou qu’on ne savait pas traiter, et la dose de fatalisme qui permettait d’accepter que nous ne sommes pas immortels. Profitons de cette période de confinement, pendant ces semaines surréalistes, pour analyser les défaillances afin de prendre les mesures raisonnables (utilisant sans excès le principe de précaution) nous préparant à une prochaine pandémie, sachant que quoi que l’on fasse, il sera impossible d’éviter totalement les dommages.
Mais surtout essayons de prendre du recul pour retrouver un peu de sagesse afin d’espérer pouvoir à l’avenir analyser avec sang-froid la situation, trouver le courage managérial pour prendre le risque de décider et d’agir dans la gestion des situations difficiles, en faisant preuve de pragmatisme et de réactivité.
Et espérons, en ce week-end pascal où les chrétiens fêtent la résurrection du Christ, que la France renaîtra du tombeau économique où elle semble se précipiter.
Vincent Terrasson
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