Retour sur les surprenants parrainages de Philippe Poutou, le candidat anti-flic, pour les élections présidentielles 2017

Le 28 mars dernier, dans un tweet plutôt agressif, Philippe Poutou a rompu l’union sacrée autour de ceux qui luttent contre le coronavirus, en ciblant une nouvelle fois les policiers. Il y a 3 ans, à la présidentielle, le candidat du NPA (le parti de Besancenot) était moins sectaire pour demander des soutiens : le nom des élus qui lui ont permis de se présenter réserve même quelques surprises. Le tableau complet est en fin d’article.

Parmi les parrains de Poutou : un partisan du rapprochement avec Kim Jong-Un, une invitée de l’émir du Qatar, un demandeur de renforts de police et pas mal de macronistes de cœur ou de raison

La plupart des 573 parrains de Poutou 2017 sont des maires de petites communes de la France profonde et ne sont pas traçables politiquement. Seuls le sont 40 parrains, conseillers départementaux, conseillers régionaux, parlementaires, conseillers de métropoles.

Parmi ces parrains, on trouve 8 communistes infiltrés dans les institutions bourgeoises. De vieux staliniens ont ainsi fait la courte échelle à un camarade trotskyste.

L’un d’eux au moins est un vrai de vrai. Le député PCF Jean-Jacques Candelier a déposé en 2014 une proposition de loi « tendant à la reconnaissance diplomatique de la République démocratique populaire de Corée ». Dans l’exposé des motifs, il fait allusion au dynamisme économique de cette partie du monde. « Les droits de l’homme », ajoute-t-il, ne doivent pas servir de « prétexte ». La Corée du Nord est pourtant le dernier pays au monde à posséder un système concentrationnaire : à Yodok, des enfants travaillent jusqu’à épuisement ; comme dans le goulag de Staline, la ration alimentaire dépend du respect des normes.

Parmi les parrains communistes de Poutou, on trouve des gens plus présentables : ainsi Patrick Abate, sénateur apparenté communiste, macroniste du second tour, a donné ses consignes de vote à Radio France Bleu Moselle : « Je voterai sans hésiter pour Emmanuel Macron » (26/4/2017).

Il y a aussi un sénateur du Parti populaire martiniquais, Serge Larcher. Ce parti regroupe des « indépendantistes » qui ne vont pas jusqu’à vouloir être indépendants des subventions de la métropole. En toute logique, ces anticolonialistes marxisants ont appelé le peuple martiniquais à voter pour Macron au 2ème tour : « on est plus à l’aise de voter Macron parce que ce n’est ni Fillon ni Le Pen », a indiqué le président du PPM dans la presse martiniquaise.

Autre notable des « colonies » : Alain-Tien Long, ancien président du département de Guyane, militant indépendantiste dans sa jeunesse : en 2017, avec le collectif Pour Lagwiyann dékolé, il réclame des renforts de police à Macron. Ce qui est bon pour les Guyanais ne l‘est pas pour les métropolitains !

C’est Europe Ecologie Les Verts qui a fourni le plus de parrains politiques à Poutou (15). A l’instar de Daniel Cohn Bendit, ils ont souvent des racines gauchistes. Avec l’âge, les libertaires font de bons libéraux, mais ils n’oublient jamais leurs premières amours.

Parmi eux, citons Mohammed Mechmache, élu écologiste de Seine Saint-Denis, qui a été nommé en 2017 membre du conseil des banlieues par Emmanuel Macron.

Plusieurs parrains sont des figures politiques de la banlieue : les pieds solidement ancrés à leur quartier, ce sont politiquement parfois des girouettes. Certains, comme Haouria Hadj-Chikh, des quartiers nord de Marseille, font même le grand écart entre une profession de foi « marxiste-léniniste » et l’amitié pour le pas très progressiste Qatar.

On trouve 7 membres du Parti socialiste, la gauche rose pâle et macron-compatible : parmi eux, Jean-Dominique Gonzalès. Ce dernier est un macroniste du premier tour qui a tenté de devenir candidat LREM aux législatives de juin 2017 – on lui a claqué la porte au nez : pas assez frais. On peut citer également Catherine Joffroy, avocate PS du Lot-et-Garonne, qui défendait à Villeneuve-sur-Lot l’héritage politique de Jérôme Cahuzac.

On trouve mieux encore : 2 élus de partis officiellement macronistes.

Francis Wilsius (conseiller régional, Gironde), est membre du Parti radical de gauche. Après avoir fait partie de la majorité présidentielle, le PRG a évolué vers une position plus en retrait depuis que Macron a perdu de sa popularité. Poutou l’avait sans doute déjà prévu.

Isabelle Pargarde, de l’UDI, de centre-droit, parti-frère de La République en Marche, a également parrainé Poutou. On atteint là les limites ultimes de ce qu’un trotskyste peut tolérer. Le fait que cette élue d’Hasparren soit basque a dû faire passer la potion amère : le NPA soutient officiellement le « peuple basque toujours en lutte contre les franquistes de l’Etat espagnol ».

Si, les limites du supportable ont bien été dépassées : Jean Lassalle, centriste évadé du système, et Ariane Blomme, élue dissidente du Rassemblement national, se sont également penchés comme de bonnes fées sur le berceau du candidat Poutou (peut-être à son insu).

Poutou 2017 : avant tout une candidature anti-Mélenchon, donc utile à Macron

Malgré les apparences, en cherchant dans la campagne de 2017, on peut trouver une logique à ces soutiens hétéroclites, de même que les provoc’ de Poutou, en apparence spontanées, sont très réfléchies et ont un but politique.

Les policiers sont une cible répétée de Poutou. C’était déjà le cas lors de la campagne de 2017. Pour Poutou et le Nouveau parti anticapitaliste, les policiers sont en effet « des chiens de garde » de la bourgeoisie (1). En s’attaquant à eux, Poutou sait bien qu’il ne sera pas majoritaire, mais ce n’est pas cela qu’il cherche.

Lors du débat présidentiel des 11 candidats, Poutou avait utilisé la provocation sur d’autres sujets, avec un niveau de violence verbale jamais atteinte sous la Vème République. Il avait alors allumé Marine Le Pen et François Fillon sur les affaires judiciaires. En comparaison, il avait seulement égratigné Macron et sans oser le regarder dans les yeux.

Cela rejoint le profil politique de la plupart de ces 40 parrains de Poutou en 2017 : un pied dans la contestation, un autre dans les institutions. Ils appartiennent à des partis passerelles entre les marges et le centre du pouvoir. Si on les caractérise plus précisément, on s’aperçoit qu’ils appartiennent presque tous à la gauche anti-Mélenchon.

Par-delà la politique spectacle, tel est le sens le plus fort de la candidature Poutou en 2017 : torpiller Mélenchon sur sa gauche. Sans aucune chance de faire un bon score, Poutou a fait au moins baisser le score de Mélenchon pour l’empêcher d’accéder au second tour. Macron peut dire merci au NPA et à ses parrains.

Collusion entre ultra-gauche et pouvoir : le précédent de Jules Vallès lors des élections de 1869

Alors faut-il envisager une collusion entre l’extrême-gauche et l’extrême-centre du pouvoir, au moment de la présidentielle 2017 ? Cela semble incroyable mais, dans l’histoire du mouvement ouvrier, une situation identique s’est présentée.

Journaliste et écrivain talentueux, Jules Vallès (1832-1885) était une figure médiatique du Paris de l’empereur Napoléon III. Sa carrière avait eu des hauts très hauts (il gagnait alors une véritable fortune) et des bas très bas ; il écrivait des articles sur les exclus du système mais aussi donnait des conseils boursiers sous pseudo. Adhérent à la Franc-Maçonnerie, son carnet d’adresse était très large, avec des personnalités de tous les bords (y compris des partisans du régime, comme Sainte-Beuve) et il critiquait tout le monde, y compris des opposants (comme Victor Hugo).

En 1869, profitant de son capital médiatique, il se présente dans la banlieue parisienne pour être député, sur une ligne de défense intransigeante de la classe ouvrière. Avec un langage argotique, il dénonce les « roussins » (les policiers), la « députasserie » (les parlementaires), la « municipaillerie » (les élus locaux), les « rats-de-cave » (les agents des impôts), les « baveux du barreau » (les avocats), mais aussi les « fonctionnaires irresponsables », les « magistrats inamovibles » et les « pédants de l’Université », tous ces inutiles qui vivent sur le dos des travailleurs manuels. La campagne est difficile, Vallès se fait même casser la gueule. En effet, il vient gêner le favori Jules Simon, opposant républicain modéré, ce qui arrange les affaires de Lachaud, le candidat officiel du régime bonapartiste.

En 1870, le régime bonapartiste s’effondre avec la défaite. Les républicains s’emparent des ministères et sortent les dossiers compromettants. La campagne de Jules Vallès a été financée par un homme de paille douteux, lié au ministre de l’intérieur de Napoléon III. Vallès est mis en accusation devant la Commune de Paris. Il reconnait l’exactitude des faits, mais plaide l’ignorance et se défausse sur son comité de soutien. Il est relaxé, sans doute parce que du point de vue des communards, il n’a pas trahi le monde ouvrier en gênant un républicain bourgeois comme Jules Simon.

Le vrai visage de Poutou : entre Che Guevara et Gaston Lagaffe

Alors, Philippe Poutou est-il un Jules Vallès de notre temps ? Même pas.

Si l’on regarde les professions et les prises de position de ses parrains de 2017, on s’aperçoit que la lutte des classes dont parle Poutou ne semble pas aussi féroce que cela. De même, étant donnée la sociologie, on peut penser que la majorité des quelques 500 maires qui ont parrainé Poutou appartient à une classe favorisée. Comme beaucoup de Français, ils ont investi dans des assurances-vie, qui sont adossées à la dette publique et aux actions de la bourse. D’autres ont investi dans l’immobilier, et ils attendent que les locataires rentabilisent leur capital. Si le programme de Poutou était appliqué même en partie, tout cela sauterait. Alors pourquoi aider un candidat marxiste ?

En réalité, ces élus ne croient pas que tout cela arrivera un jour. Ils veulent seulement faire vivre la démocratie en accordant sa chance à un petit candidat représentatif d’un courant d’opinion. Poutou, avec son look de Gaston Lagaffe chauve, avec ses envolées d’adolescent faisant la leçon aux grandes personnes, leur fait parfois hausser les épaules et parfois les fait réfléchir. Mais le plus souvent, il les fait beaucoup rire.

E. P.

1) Dans certaines tendances les plus extrémistes du NPA, les policiers perdent toute humanité. Ils y sont systématiquement qualifiés de « porcs ». Plus généralement, dans la littérature du NPA, on condamne sans faire de distinction entre le policier individuel, sa hiérarchie et le ministre. Tous sont également responsables.

A comparer avec le traitement réservé par le NPA aux journalistes. Ces derniers, pourtant des gardiens de l’ordre idéologique, sont considérés comme irresponsables des mensonges qu’ils véhiculent et des « violences médiatiques » qu’ils exercent sur les cibles qu’on leur désigne. Pour le NPA, ce sont des salariés comme les autres, victimes de leur hiérarchie et de leur actionnaire. Dans cet article, Julien Salingue défend ses collègues journalistes contre Mélenchon. https://npa2009.org/actualite/politique/jean-luc-melenchon-et-le-parti-mediatique-critique-des-medias-ou-demagogie-anti

Tableau récapitulatif des 40 parrains -traçables politiquement- de Poutou à la présidentielle 2017, à partir des données du conseil constitutionnel (sont exclus du tableau tous les « petits » maires)

Illustration : DR
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