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Les aventures d’Obélix en Keynésie

Avec Astérix, René Goscinny et Albert Uderzo ont créé une œuvre dont la principale force est de relier les générations. Des arrière-grands-parents aux petits-enfants, tout le monde a lu Astérix et a tiré de ces histoires des moments de plaisir. Très rares sont les œuvres qui ont réussi cet exploit. Les albums peuvent se lire avec plusieurs degrés de compréhension. Obélix et compagnie n’est pas forcément le plus connu ni le plus cité, mais le plus instructif sur le plan économique. C’est un véritable traité d’économie politique, qui démontre de façon burlesque la faillite du keynésianisme. Je m’en sers régulièrement comme introduction à l’économie pour mes étudiants.

Paru en 1976, l’album sort trois ans après le premier choc pétrolier. C’est le début de la crise économique et les tentatives de redressement de l’économie française par des politiques qui appliquent le catéchisme de la relance par la consommation. L’ont-ils fait de façon intentionnelle ou non ? Toujours est-il que les deux auteurs torpillent le principe des politiques de relance à travers l’exemple absurde de l’achat en masse de menhirs. Le personnage principal est le néarque Caius Saugrenus, caricature de Jacques Chirac, alors Premier ministre. Saugrenus propose à César un plan infaillible pour terrasser le village gaulois : les occuper en leur achetant des menhirs. En leur fournissant ce travail artificiel, les Gaulois ne penseront plus à la guerre et César aura la paix. Mais César semble davantage convaincu par l’assurance du jeune néarque que par la pertinence de son plan.

Le multiplicateur keynésien

C’est l’une des idées principales de Keynes : relancer l’économie grâce à la dépense de l’État, chaque euro dépensé par celui-ci rapportant davantage à l’économie générale. Un multiplicateur dont l’inexistence a été maintes fois démontrée, mais dont la croyance continue d’être partagée. Nous n’échapperons pas à un plan de relance après la fin du coronavirus. Saugrenus achète donc un menhir à Obélix grâce à l’argent fourni par César. Le Gaulois, tout content, se met à en produire davantage. Saugrenus augmente ses achats et le prix d’achat, afin d’inciter Obélix à produire plus. Les caisses de César se vident, le déficit augmente, mais c’est pour la bonne cause : créer une économie qui ne rapporte rien, qui n’est fondée sur rien, si ce n’est sur un marché artificiel.

Mais ce n’est pas assez au goût de Saugrenus, qui encourage Obélix à embaucher des chasseurs de sangliers afin de se dégager du temps pour travailler davantage dans sa carrière. Lors d’un déjeuner d’affaires dans l’enceinte du camp romain, Saugrenus fait remarquer à Obélix que son vêtement ne convient pas à quelqu’un « qui a fait fortune dans le menhir ». Il doit donc avoir une vie à la hauteur de son standing. C’est justement le moment où arrive Prisunix le marchand ambulant, avec ses soieries de Lugdunum, dont Obélix achète tout le stock. Crise de jalousie chez les dames du village. Ordralfabétix avec ses poissons et Cétautomatix avec sa forge se font tancer par leurs dames. Il est donc décidé par beaucoup d’abandonner leur activité et se consacrer au menhir. En quelques semaines, la diversité économique du village disparaît pour devenir entièrement monothématique. C’est là le chemin de toute économie subventionnée : là où les subventions pleuvent, les plantes poussent, éradiquant les autres espèces florales. On devine à l’avance qu’en cas d’arrêt des subventions, il y aura une crise du menhir et un effondrement total de l’activité économique du village. C’est un très bel exemple de la faillite des économies monogames des pays du Tiers monde de l’époque.

Le phénomène illustre un effet économique bien connu : l’effet d’éviction, conséquence de tout secteur artificiellement stimulé : le chariot du marchand se transforme en chariot à menhirs, la poissonnerie perd ses ressources humaines au profit de l’industrie de carrière. Même les porteurs d’Abraracourcix abandonnent le chef pour aller tailler des menhirs, l’obligeant à marcher à pied dans le village. La bulle du menhir a des effets désastreux.

Que faire du menhir ?

Pour stimuler la demande, Saugrenus est sans cesse contraint d’alimenter la bulle en augmentant le prix d’achat du menhir, ce qui creuse davantage le déficit. Il a donc une idée lumineuse : il va créer un marché de la demande en menhir, afin de trouver des débouchés à cette production. Le voilà qu’il se lance dans une vaste campagne de publicité et de réclame afin de convaincre les Romains d’acheter un menhir. Saugrenus explique cela grâce à une série de power point en plaque de marbre, aussi convainquant que les PPT d’aujourd’hui.

Les gens achètent ce qui rend jaloux leurs voisins. Voilà donc la cible du menhir. En quelques cases, les auteurs illustrent le principe de la société de consommation et la théorie de l’effet mimétique de Veblen. « Notre plus cher désir, un menhir » dit la publicité placardée sur les murs de Rome. Dans le stade, une dame se penche vers son mari pour lui susurrer à l’oreille : « Tu sais, nos voisins, les Incongrus, ont déjà acheté un menhir ; ils en sont très contents. » Comment résister à cet appel ? Non seulement les voisins ont un menhir, mais ils en sont très contents. Uderzo et Goscinny montrent les ressorts profonds du marketing et cette angoisse sociale de ne pas posséder la même chose que son voisin. La consommation ostentatoire atteint son paroxysme avec ces riches Romains qui achètent un objet totalement inutile, si ce n’est pour se positionner socialement. La consommation n’est plus un moyen de satisfaire des besoins, mais une façon à la fois de se différencier et d’éviter la différenciation en achetant la même chose que la masse. En prenant l’exemple du menhir, Goscinny et Uderzo poussent l’exemple jusqu’à l’absurde.

La débauche romaine

L’évolution physique du camp romain est elle aussi très instructive à analyser. Au début de la BD, le camp et les soldats sont rutilants. Tout brille, tout est astiqué, tout est en ordre et le centurion fait régner la discipline et l’ordonnancement de la règle. Au fur et à mesure de l’histoire, la discipline et les mœurs se relâchent, pour finir dans un abandon complet de la règle militaire. Les soldats ne se rasent plus et ne revêtent plus leur uniforme, le camp n’est plus entretenu, certains transforment les allées en cultures de légumes. À travers ces vignettes, on aperçoit la conséquence physique du socialisme : la laideur. Les soldats n’étant plus régis par l’éthique personnelle et la règle collective, mais étant inféodés à une administration, ils relâchent complètement leurs comportements et leurs manières de vivre. Le chien a succédé au loup, pour reprendre l’image de la fable de La Fontaine.

Le langage aussi s’est relâché, devenant de plus en plus vulgaire. Quand les Gaulois attaquent le camp, à la fin de l’histoire, les Romains n’ont même plus la force morale de prendre les armes et de résister. Leur défaite militaire n’est que la conséquence de leur défaite intellectuelle préalable. Eux aussi sont des victimes du socialisme et de l’assistanat.

L’explosion de la bulle

Le pire arrive quand Saugrenus se prend à croire à son propre jeu. La machine administrative est lancée et personne ne peut l’arrêter. Il crée toute une série de produits dérivés afin de maintenir l’engouement autour du menhir. Mais ce qu’il n’avait pas prévu, c’est que d’autres se mettent à en produire, notamment les Égyptiens. Le menhir gaulois est donc directement concurrencé. Des ouvriers romains se mettent en grève et bloquent les approvisionnements en menhir d’Armorique, brandissant le slogan « Achetez romain ». Pour maintenir son système économique artificiel, Saugrenus est donc obligé de prendre une série de règlements contraignants afin de pénaliser les autres régions pour favoriser le menhir gaulois. De l’économie subventionnée, on glisse vers la corruption et le capitalisme de connivence.

Saugrenus est pris à son propre piège. En Armorique, les Gaulois continuent de produire et de vendre des menhirs, ignorant l’explosion de la bulle. César n’en peut plus. Il cesse de subventionner ce secteur et coupe les vivres au jeune néarque. Celui-ci est renvoyé en Gaule pour mettre un terme à l’expérience. Lorsque le village l’apprend, les habitants s’insurgent et attaquent le camp romain. Il n’est jamais aisé de mettre un terme aux « acquis sociaux » et aux privilèges : cela provoque une irruption des grèves et des révoltes. Le cours du sesterce s’effondre et les Gaulois se retrouvent avec une masse monétaire qui ne vaut plus rien.

La vis comica

Cette bande dessinée est une torpille lancée contre le keynésianisme et tous les plans de relance de l’économie par la consommation et la dépense. Elle décrédibilise à l’avance le traitement social des problèmes, comme les nombreux plans banlieues que la France connaît depuis les années 1980 et qui se caractérisent toujours par des douches d’argent public. Le génie de Goscinny et d’Uderzo est d’avoir proposé un cours d’économie de façon ludique et détournée. Nombreux sont les enfants à avoir lu cette BD et à ne pas avoir perçu la profondeur de la démonstration. Obélix et compagnie est à rapprocher d’une autre aventure à dominante économique et sociale, Le domaine des dieux, parue en 1971. Là aussi, l’État essaye de planifier et d’organiser la population en faisant construire un complexe architectural dans la forêt jouxtant le village. Là aussi, la planification échoue et le jeune architecte ambitieux Anglaigus est renvoyé penaud à Rome. La zizanie (1970), avec le personnage central de Tullius Détritus, est excellent pour comprendre l’œuvre de René Girard. On y voit mis en scène le désir mimétique, le bouc émissaire, la haine et la désunion. C’est la force des grands auteurs, et Uderzo et Goscinny sont des très grands, que d’arriver à exprimer dans des histoires d’enfants les thèmes fondateurs de l’humanité et ainsi de pouvoir être lus à tous les âges. C’est la vis comica défendue par Plaute : derrière le rire et le comique, le sérieux des situations et des démonstrations. Dans cette aventure les choses finissent bien : Obélix est revenu victorieux de son séjour en Keynésie.

Jean-Baptiste Noé

Jean-Baptiste Noé est docteur en histoire économique. Il est directeur d’Orbis. Ecole de géopolitique. Il est l’auteur de plusieurs ouvrages : Géopolitique du Vatican. La puissance de l’influence (Puf, 2015), Le défi migratoire. L’Europe ébranlée (2016) et, récemment, un ouvrage consacré à la Monarchie de Juillet : La parenthèse libérale. Dix-huit années qui ont changé la France (2018).

Source : Institut des Libertés

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