En fin d’après-midi mardi, le préfet de Loire-Atlantique aurait pris un arrêté qui interdisait tous les marchés du département – moins de 24 heures après que le Premier ministre laissait la possibilité au maire de demander des dérogations, une situation qualifiée de « amateurisme total » par un maire concerné. A ce titre, plusieurs communes avaient demandé des dérogations, notamment Nantes (pour la halle de Talensac), Saint-Nazaire (pour les halles et Méan), Basse-Indre (pour le marché du mercredi matin), Donges (jeudi matin), La Baule et Le Croisic (les halles). Une situation qui fait tempêter les producteurs, qui devront jeter leur production à la benne.
Ce matin, aux Américains à Nantes, dernier marché maintenu du département, certains vendeurs font grise mine. « J’ai trop acheté de came, maintenant tout ça, ça va partir à la benne ; j’ai une assurance, mais je ne sais pas si elle va marcher », indique un vendeur de fruits et de légumes. « Nous on va essayer de vendre aux hôpitaux pour éviter de donner, mais jusqu’à un mois sans marchés, c’est très dur. Tant que les banques suivent… »
Plus bas, un producteur de fromages, de pain et de gâteaux indique que « ça va être très dur. Les chèvres, elles se fichent du confinement. Elles donnent du lait à plein. On va essayer de stocker pendant une semaine, après le lait, ce sera direct au caniveau. Ou on en donnera aux chevreaux au lieu de leur donner du lait en poudre pour stimuler leur croissance… Quant aux gâteaux et au pain, on va tout arrêter. On n’avait pas besoin de cela ».
Du côté de la poissonnerie Paon, « on a déjà perdu des marchés, comme à Noirmoutier. Là on va se recentrer sur les deux boutiques rue Copernic à Nantes centre et Vertou, et puis on livre aussi. On a une boutique en ligne (www.boutique-paon.fr) où les gens peuvent commander en ligne ». Parallèlement, les débouchés se réduisant, le prix du poisson chute aussi : « la daurade grise, la semaine dernière, on l’achetait 15 € du kilo, maintenant c’est 1€, la crevette grise, maintenant c’est 98 centimes du kilo, donc les pêcheurs sortent moins… même la lotte a perdu 3 € du kilo ».
Un autre poissonnier à Talensac confirme : « là on trouve des maquereaux à 1€ du kilo, ils devraient coûter au moins le double, on achète du poisson à la commission – c’est-à-dire qu’on ne paie que ce qu’on vend, etc. » Du fait de l’arrêt des collectivités locales, des restaurants, de la plupart des marchés, la suspension des exportations – vers l’Italie notamment pour le maquereau – les débouchés se tarissent, le poisson est bradé et les invendus augmentent. Dans certains supermarchés de la côte – notamment Carrefour Market La Baule et Intermarché Guérande – le poisson vient à manquer.
Les prix des poissons dévissent : il y a trois jours en Bretagne les langoustines se vendaient 6,80 € le kilo dans les criées contre 13 la semaine d’avant, la sole 8 contre 17, le turbot 12 contre 35. « En Vendée les grosses flottes arrêtent mais les petits pêcheurs continuent de sortir », relève encore le poissonnier, qui pense que « cette année, les quotas de pêche vont être très très bien respectés ». Les criées vendéennes, ainsi que celles de La Turballe et du Croisic, restent opérationnelles, avec des tonnages débarqués très en dessous de la normale.
Du côté des marchés, avec la fermeture généralisée des marchés, seuls les marchés fermiers – privés – et peut-être des petits marchés dans certaines communes seront maintenus. De quoi faire tempêter Agnès Eskenazi, responsable du groupement des commerçants ambulants de Loire-Atlantique (GECALA). « C’est au bon vouloir des mairies et des sous-préfets, qui ont refusé la dérogation de Pornichet [et celle de Guérande depuis], pour nous c’est la surprise et l’incompréhension totale ! Par exemple le producteur fraisier Burban vient de démarrer sa production, il va se retrouver obligé de tout jeter.
Pendant la campagne municipale tout le monde promettait des approvisionnements en circuits courts, là on supprime tout ce qui est production locale et on donne un monopole sans contrôle aux grandes surfaces. Vu la taille des places de marché dans la région, on peut largement assurer le respect des distances de sécurité entre les clients. » La commerçante « fait appel aux maires des petites communes pour qu’ils organisent régulièrement des petits marchés, afin de pouvoir faire venir au moins quelques producteurs alimentaires, et on cherche des terrains privés pour pouvoir quand même déballer.
On demande aussi que les maires prennent leurs responsabilités, car quand il s’agit de nous faire payer, ils sont là – les commerçants paient 300 000 € annuels de frais de place à Pornichet par exemple – mais pour nous soutenir y a plus personne. Aujourd’hui, du fait des abonnements, les commerçants sont mariés à leur marché, les prix étant exorbitants pour les passagers – à Pornichet 75 centimes le mètre pour un abonné, 6,80 du mètre pour un passager en juillet août, mais si le marché ferme, on est à la rue ».
La situation est encore plus catastrophique pour les commerçants non alimentaires, interdits de déballer depuis samedi dernier. « Je fais du linge de maison, j’ai été livrée pour Pâques mais je suis interdite de déballer. En plus, on a très peu déballé cet hiver du fait de la météo catastrophique – deux dimanches du 1er janvier au 15 mars pour moi. On comptait sur avril pour repartir, on a des échéances à payer, des découverts. Si les banques ne suivent pas, on tombe tous. Il y a aussi les salons – ils refusent de rembourser en disant que ça sera reporté d’avril sur octobre, mais en octobre on a d’autres salons. Un de nos adhérents a plus de 5 000 € dehors qu’il ne récupère pas, et interdiction de vendre, c’est ubuesque ».
Revenons aux producteurs : « il faut au moins laisser travailler ceux qui peuvent encore faire tourner l’économie et éviter que leurs produits soient jetés. C’est n’importe quoi. Nous payons tous pour quelques marchés qui n’ont pas respecté les règles en région parisienne. S’il y a des petits marchés, les gens pourront faire le plein avec moins de risques que dans les supermarchés, où ils touchent des tapis de caisse, des produits dans les rayonnages etc. qui ne peuvent pas être désinfectés en permanence ».
Carquefou, Pornic : « pas de dérogation demandée »
À Carquefou, Véronique Dubettier-Grenier (DVD) – réélue au premier tour le 15 mars avec 54 % des voix – veut « respecter le décret. Je ne demanderai pas de dérogation, même si jeudi dernier cela s’est très bien passé. À Carquefou, on a une offre alimentaire de proximité, avec un magasin bio, un fromager, de la vente directe… donc il n’y a plus de marché, le temps du confinement ».
À Pornic, le maire divers droite Jean-Michel Brard – lui aussi réélu, avec 69,6 % des voix au premier tour – ne demandera pas de dérogation pour ses marchés aussi. « On a un afflux de population, on ne peut pas gérer toutes les problématiques du confinement, et notamment celles posées par les marchés. Les gendarmes nous ont demandé de fermer le marché car il y a trop de monde ».
Le Croisic : « le PM veut appliquer le principe de subsidiarité, puis le préfet décide pour tout le monde. C’est d’un total amateurisme »
Au Croisic, comme à La Baule et à Saint-Nazaire, la municipalité a demandé le maintien des halles. Avec l’arrêté préfectoral pris cet après-midi, la municipalité ne sait plus à quel saint se vouer. « Le Premier ministre nous dit qu’il veut appliquer le principe de subsidiarité, donc laisser aux maires le soin de défendre leurs marchés et d’apprécier en fonction de leurs situations locales, puis moins de 24h après le préfet cloque son arrêté qui décide à la place de tout le monde. C’est d’un total amateurisme, c’est du n’importe quoi », s’exclame une source à la mairie du Croisic. Les trois villes côtières devraient être fixées ce soir ou dans la journée de demain pour leurs marchés.
À Basse-Indre, le maire DVG Serge David – en seconde position du premier tour, distancé par une autre candidature divers gauche à 48 % et 140 voix d’avance – a demandé une dérogation pour « maintenir au moins le marché du mercredi. Mais dans la mesure où on a un Leader Price, je ne sais pas ce qui va en sortir. Pour le dimanche, ça me paraît fichu, d’autant que le marché est en bord de Loire et qu’il est nettement plus touristique que le marché de semaine. Déjà, on sait que s’il est maintenu, le poissonnier ne viendra pas car ses autres marchés sont suspendus ».
Louis-Benoît Greffe
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