Dans un entretien accordé au Figaro, l’ancien ministre des Affaires étrangères (1997 – 2002) Hubert Védrine analyse ce que révèle la crise du covid-19. Un regard lucide sur l’état du monde d’aujourd’hui, mêlé à une confiance étonnante dans la capacité du Système à se réformer et surmonter cette crise sans précédent.
Pour Hubert Védrine, la crise actuelle « révèle ou confirme qu’il n’existe pas encore de réelle communauté internationale ou qu’elle n’est pas préparée à faire face à une pandémie mondiale. ». Notant que « la mondialisation a été essentiellement (…) une déréglementation financière et une localisation des productions industrielles là où les coûts salariaux étaient les plus faibles, en Chine, et dans les autres pays émergents », il constate également que « l’Union européenne, le marché unique, et la politique de la concurrence ont été conçues pour un monde sans tragédie. »
« L’idée de mondialisation heureuse va être mise à mal »
La crise confirme, souligne l’ancien ministre, qu’aujourd’hui « la Chine est numéro un bis et ne s’en cache plus. » Selon lui, « il n’y a pas à reprocher aux Chinois d’avoir tiré parti de la mondialisation », mais par contre « c’est à nous, Européens, de nous interroger sur notre stratégie, sur notre naïveté. » Un constat « très dur pour les Européens qui se voyaient encore comme l’avant-garde civilisationnelle du monde. » Et de s’interroger : « N’est-ce pas tout un mode de vie insouciant, hédoniste, individualiste et festif, qui est mis en cause ? Ce mode de vie se traduit par une mobilité permanente sans limite ni entraves ».
Bien entendu, cette crise sans précédent ne devrait pas rester sans conséquence. Hubert Védrine est convaincu que c’est « l’idée de mondialisation heureuse » va être mise à mal. C’est « tout un mode de vie insouciant, hédoniste, individualiste et festif, qui semble devenu le premier des droits de l’homme, » qui est remis en cause. Un mode de vie qui se traduit, selon lui, « pour tout ou partie de l’humanité, par une mobilité permanente sans limite ni entraves, type mouvement brownien. »
L’économie casino
L’ancien diplomate estime qu’« il faudrait également remettre en cause aussi « l’économie casino » financièrement sans borne (…). Tout cela ne remet pas seulement en cause un mode de vie mais toute une civilisation. La nôtre, sauf parade absolue. » Un constat « vertigineux ».
Autre dogme mis à mal par la crise, celui de l’ouverture des frontières. Pour Védrine, « ce dogme a déjà été sérieusement remis en cause au sein de Schengen face à la vague migratoire des dernières années, consécutive à la guerre de Syrie. Mais le choc du coronavirus est en train de pulvériser un certain nombre de réflexes, d’idéologies et de croyances très enracinées. »
Selon lui, « comme on avait autrefois évangélisé, colonisé, civilisé, on a pensé qu’on allait ouvrir le monde. Démarche émouvante, sympathique, naïve, prétentieuse et dangereuse tout à la fois. »
Beaucoup de leçons à tirer et de changements à opérer
A la question : quelles leçons à tirer après la crise ?, Hubert Védrine affirme que, même si « de puissantes forces d’inertie économiques, commerciales et sociétales vont exiger le retour à la «normale », il y aura « beaucoup de leçons à tirer et de changements à opérer. »
La prévention des futures pandémies – « inévitables » – implique, selon lui, de « créer un système opérationnel de coopération internationale entre gouvernements – plus sûr qu’une fumeuse «gouvernance mondiale» – pour détecter immédiatement, alerter, organiser les mesures de précaution et les traitements ».
Tout écologiser
Pour l’ancien patron du Quai d’Orsay, « il faudra aussi tout écologiser: agriculture, agro-industries, industries (y compris chimiques), transports, construction, énergie, modes de calculs macroéconomiques (type PIB). Cela conduira à rerégionaliser davantage les courants économiques. À rendre la production et l’économie circulaires (plus de recyclage, moins de déchets). Cela mènera à une mutation en dix ou quinze ans de l’agriculture et de l’agro-industrie. À une révolution dans les transports, et dans d’autres domaines. »
En conclusion, Hubert Védrine affirme que si « l’urgence est bien sûr de stopper la pandémie et d’éviter le collapse économique (et donc social) », il attend d’Emmanuel Macron « qu’il orchestre « l’après », à tous les niveaux. C’est une occasion historique. ». Mais l’hôte de l’Élysée sera-t-il à la hauteur de l’enjeu ? C’est là toute la question.
YL
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