Premier bilan statistique des élections municipales : les résultats nationaux parti par parti

Une semaine après le premier tour des élections municipales, le ministère de l’Intérieur n’a toujours pas dévoilé les résultats des municipales au niveau national. Le journal La Croix donne cependant en avant-première ces données, qu’on retrouve aussi partiellement sur Wikipédia dans l’article « Élections municipales françaises de 2020 » (pour les communes de plus de 3 000 habitants).

Les abstentionnistes, premier parti de France

Les abstentionnistes sont le premier parti de France, avec 53,5 % des inscrits, un record historique. En cause, le coronavirus, mais aussi une tendance grandissante au désintérêt pour la politique, même locale. Dans la plupart des communes, il s’agit seulement de ratifier, avec un faible choix de listes au contenu pas vraiment différent, des scrutins indirects (les vrais pouvoirs sont dans les communautés de commune). Pas très motivant.

Les « divers quelque-chose » arrivent en deuxième position dans ce premier tour, premiers si l’on ne tient compte que des votes exprimés, avec 40,83 % des votes exprimés dans les communes de plus  de 3 000 habitants : les « divers droite » représentent 17,22 %, les « divers gauche » 15,19 %, les « divers centre » 8,42 %. Il s’agit le plus souvent de maires sortants voulant déconnecter les enjeux municipaux et le contexte général. Un certain flou et l’absence d’idées trop clivantes permettent de ne pas mobiliser contre soi une partie de l’électorat.

Ceux qui refusent toute étiquette viennent juste derrière, avec 33,03 % des votes exprimés dans les communes de plus de 3 000 habitants.

Les Républicains, malgré leur échec aux Européennes, restent le premier vrai parti aux municipales, à ne pas vouloir s’inscrire aux politiques anonymes : 4,66 % des exprimés sur son seul nom et 6,93 % si l’on ajoute les listes d’union de la droite. Ils présentaient 305 listes dans les villes de plus de 3 500 habitants (contre 539 en 2014). Ce score est la résultante d’une prime aux sortants bien implantés localement, plutôt qu’un vote enthousiaste pour les idées libérales-conservatrices. Même dans le cadre d’une gestion locale catastrophique (Levallois-Perret, Marseille), la majorité sortante sauve les meubles. Quand au contraire les Républicains sont en situation d’outsiders, ils réalisent souvent des scores insuffisants pour prétendre l’emporter sur le seul mérite.

Les socialistes réalisent 1,84 %, 7 % avec les unions de la gauche. En présentant 175 listes (contre 682 en 2014), le PS est parvenu à garder ses bastions, ceux qui avaient été épargnés par la précédente défaite historique de 2014. Néanmoins, dans nombre de grandes métropoles, où le jeu politique est plus vivant, ils n’arrivent plus à s’imposer comme le parti hégémonique à gauche.

La République en Marche obtient 1,67 %, 4,08 % en comptant les partis-frères du centre (Modem, UDI, Agir…). Autour de 330 listes macronistes ont concouru, et beaucoup d’autres listes comportaient des marcheurs trop pudiques pour s’identifier. LREM soutient ainsi la comparaison avec les autres grands partis de gouvernement. Il s’agit là encore le plus souvent de sortants, débauchés des autres partis par le parti présidentiel. Dans nombre de communes, LREM a cependant joué les outsiders, réveillant parfois une vie politique assoupie par la domination d’un notable, mais sans parvenir le plus souvent à l’emporter.

L’UDI, un parti qui ne gagne pas à être connu : un des bastions de ce parti centriste se trouve en Seine-Saint Denis, département de communes très dynamiques sur le plan démographique. Une journaliste de l’AFP a enquêté sur l’envers du décor et dénoncé les pratiques de ces élus centristes joufflus et débonnaires (https://www.francebleu.fr/infos/elections/municipales-a-bobigny-le-pouvoir-a-ete-conquis-par-la-violence-et-la-terreur-1582272823).

Les écologistes rassemblent 3,27 %. C’est une véritable percée. Dans plusieurs grandes métropoles, EELV (182 listes) exerce son hégémonie à gauche. C’est le seul parti qui intègre des enjeux globaux et qui peut réaliser une partie de ses idées au niveau local.

Le Rassemblement national obtient 2,33 %, la mouvance nationale, souverainiste et populiste faisant en tout environ 2,5 %. Comme les verts, c’est un vote à enjeu politique fort, mais qui ne peut appliquer ses idées au niveau local (ou à la marge et seulement pour gérer les conséquences de ce qu’il dénonce : en développant la police municipale, par exemple).

Le Rassemblement national sort déçu de ces élections. 428 listes ont été montées, toutes communes confondues, un exploit quand on sait le prix médiatique que doivent payer les colistiers qui exercent leur droit élémentaire. Un saut qualitatif a été réalisé dans le profil des têtes de liste et des alliances ont été nouées avec des personnalités d’ouverture (Carpentras, entre autres).

Au final, les sortants ont été réélus, parfois avec des scores soviétiques (comme à Hénin-Beaumont). Mais la conquête par contagion dans le pays ch’ti ou dans l’arc méditerranéen n’a pas eu lieu. Dans de nombreuses villes, les scores sont très en-dessous des attentes et des Européennes. Comme si dans un contexte de coronavirus et de la prime aux notables, les électeurs avaient jugé que se déplacer n’en valait pas la chandelle.

Debout La France a également fait un effort important pour présenter des listes, mais les résultats ne sont pas à la hauteur du travail militant. Nicolas Dupont-Aignan a été élu dès le premier tour sur la liste sortante de la commune de Yerres (72,76 %), dont il a longtemps été maire – mais c’est une liste que le chef de file et futur maire, Olivier Clodong, a déclarée sans étiquette.

L’UPR (compté parmi les listes indépendantes) s’est présenté dans 22 villes. Indifférent à la question migratoire, il a des candidats et des électeurs de toutes origines et a reçu un traitement médiatique local honnête. Le parti de François Asselineau réalise dans certaines communes de banlieue des résultats intéressants : plus de 10,14 % par exemple à la Courneuve.

Les Gilets jaunes, sous ce nom, ne totalisent que 0,02 %.

Les communistes obtiennent 1,07 % et la gauche radicale dans son ensemble 2 %. Ces résultats peuvent sembler modestes, ils révèlent cependant le maintien d’une tradition politique particulièrement vivace.

Le PCF a présenté 375 listes dans les villes de plus de 3 500 habitants, dont 145 de maires sortants. Il est aussi associé à de nombreuses listes d’union de la gauche dirigées par des élus de centre-gauche macron-compatibles. Cette fois-ci, le PCF semble avoir un bilan électoral globalement positif, pour la première fois depuis des décennies. Jusqu’alors, il vivait en rentier sur ses acquis des années 70, dilapidant peu à peu son capital. 101 maires communistes de villes de plus de 3 500 habitants ont d’ores et déjà été réélus. Des (re)conquêtes sont même à prévoir (peut-être Le Havre).

Mais si le PC va mieux, les territoires qu’il administre vont de plus en plus mal. À 70 ans, l’ancien compagnon de route Didier Daeninckx découvre le cynisme de la gestion de certaines villes communistes de la banlieue naufragée.

À ces communistes des villes, arrosés de subventions publiques nationales, s’opposent les communistes des champs, qui doivent compter sur leur propre force. Le Mur de Bégard semble ainsi sur le point de tomber dans les Côtes-d’Armor. La communiste Cinderella Bernard s’incline au premier tour devant son concurrent socialiste.

Les différents partis révolutionnaires de l’extrême gauche réalisent 0,49 %. C’est principalement Lutte ouvrière qui réussit à monter 250 listes, fruit d’un travail de fourmis de ceux qu’on présente comme les moines-soldats du trotskisme. D’autres partis encore plus groupusculaires, comme le POID, réussissent également à se présenter dans de nombreuses villes. À la différence des courants patriotes, les courants marxistes n’ont pas de difficultés insurmontables à trouver des figurants pour compléter leur liste. Quand les médias locaux s’intéressent à eux, c’est avec neutralité, voire sympathie. Pas de risque non plus sur le plan professionnel, au contraire : les chefs sont souvent responsables syndicaux dans la sphère publique, interlocuteurs privilégiés des élus locaux.

Pour le NPA de Besancenot (2 000 militants), très impliqué dans les mouvements sociaux, les élections ne sont pas prioritaires. Néanmoins Philippe Poutou, ex-syndicaliste dans l’automobile et ex-candidat à la présidentielle, a pu monter dans l’urgence une liste avec La France insoumise. Dans une ville à la bourgeoisie richissime comme Bordeaux, il a pu rassembler sur son nom les laissés-pour-compte et réaliser 11,77 %.

Plus modérée, La France insoumise (0,44 %), en crise de stratégie, a joué profil bas et préféré se fondre dans des collectifs « citoyens » et même se rabibocher avec des gauchistes qui pourtant la détestent.

Les régionalistes totalisent 0,28 %. On pense bien sûr aux nationalistes corses, qui arrivent par exemple en tête à Bastia. Mais c’est le lointain Outre-Mer qui fournit les partis régionalistes les plus forts numériquement : en Martinique par exemple, les régionalistes arrivent en deuxième position à Fort-de-France. Sur le territoire métropolitain, c’est plus diffus. Jean-Philippe Allenbach (Mouvement Franc-comtois) réalise 2,18 % à Besançon. Unser Land obtient 2,17 % à Strasbourg.

Le plus souvent, les mouvements régionalistes sont sur des listes non identifiées comme telles. À Guingamp, Gaël Roblin, indépendantiste breton, rassemble sur une ligne gauche toute, dans un style Philippe Poutou, 11,29% des voix. À Guingamp, pas de bourgeoisie opulente comme à Bordeaux, mais une sous-préfecture périphérique qui sombre toute entière mandat après mandat… Loin de Paris, loin du cœur…

L’UDB, principal parti régionaliste breton, a obtenu ou est susceptible d’obtenir des élus dans le cadre de listes d’union de la gauche dans une dizaine de villes et de villages (Lannion, Lanester, Hennebont, Les Sorinières, Paimpol, Nantes, Rennes, Brest, Lorient, Saint-Brieuc, Douarnenez, Le Relecq-Kerhuon, Lanloup, Plouézec, La Roche-Jaudy, Plérin, Inzinzac…) ; elle conserve aussi son maire à Plounérin (Patrick L’Héreec).

Un parti musulman, l’UDMF, présentait seulement 10 listes sur tout le territoire national. La liste de Joué-lès-Tours obtient 2,64 % et son leader y voit le signe d’un « grand remplacement dans les urnes » à venir, dans une boutade qui se veut humoristique.

Plutôt que la provocation, les acteurs communautaires musulmans ont en général préféré soutenir des listes gagnantes un peu partout sur le territoire, quel que soit le parti, ou presque. À Denain, la socialiste sortante Anne-Lise Dufour-Tonini qui a battu le candidat RN Sébastien Chenu, fait des politesses aux représentants locaux des Frères musulmans, présentés par le journal Marianne comme ayant émis de vives réserves sur le statut actuel des femmes, des homos et des juifs (article du 17/10/2020).

Libération a aussi enquêté sur les liens communautaires dans les élections municipales. À Arnouville, en banlieue parisienne, l’enquêteur a détecté des choses contestables à ses yeux dans le recrutement des colistiers : la tête de liste est Rassemblement national et il a recruté parmi les chrétiens chaldéens réfugiés d’Irak. Une enquête un peu trop ciblée, peut-être ? (https://www.liberation.fr/france/2020/03/09/rn-a-arnouville-l-etiquette-qui-gratte_178110)

Yffic

Crédit photo : DR
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