Résidant dans une grande ville bretonne, j’ai la chance de vivre dans un quartier (pour l’instant) « insensible ». On y croise de paisibles retraités, de jeunes cadres, des mères de familles plutôt BCBG, des ados bien élevés. Une population pas bobo, plutôt du genre « tala »*. Presque un privilège aujourd’hui. Et question commerces de proximité, pas à se plaindre non plus : une épicerie bio, un caviste, une excellente boulangerie , un super fromager, une honnête pâtisserie, un pharmacien aimable et compétent, un fruitier bien achalandé… Le bonheur, quoi.
Ah, j’oubliais le principal : une boucherie exceptionnelle. Le patron, la cinquantaine joufflue, est un as de la bidoche : veau, bœuf, mouton, porc, la viande est toujours bien choisie chez des éleveurs à l’ancienne, travaillée à maturité et préparée comme il faut. Le prince de l’aloyau, le roi du tournedos, l’empereur du gigot, c’est lui. Du grand art. Il est vrai qu’il bénéficie du concours d’un MOF (meilleur ouvrier de France), l’élite de l’élite des métiers. Le liseré tricolore qu’il porte au col vaut tous les jours la rosette de la Légion d’honneur, décoration souvent bradée par les temps qui courent. Son rôti de veau Orloff, pour ne citer que ce plat, est une « vraie tuerie« , selon mon gendre, un connaisseur. Une pure merveille. Avoir un tel artisan près de chez soi, vous en conviendrez, est une bénédiction !
Las, las, las. C’était sans compter avec le méchant covid19 et les mesures de protection qu’il a entraînées – un peu tardivement, dirons les mauvais esprits. L’annonce du confinement a évidemment déclenché un mouvement de panique chez les consommateurs affolés. L’ami Raphno a écrit une belle page sur le sujet.
Donc, en ce mardi de mars, dès poltron minet, une queue impressionnante de chalands se pressait dans la rue pour faire provision de viande dans ladite boucherie. Un vrai cauchemar de vegan ! Mais la boutique étant petite, respecter les distances de sécurité n’est pas évident du tout. Derrière sa caisse, le visage recouvert d’un masque (protecteur ?), la patronne roulait des yeux effrayés devant une telle affluence. On frôlait la panique. Le tiroir-caisse fonctionnait à plein, mais on sentait que ça ne consolait pas la dame, qui se voyait déjà en réanimation, pour ne pas dire au cimetière.
Elle a dû en causer sérieusement à son mari, du genre plutôt flegmatique. Résultat : la boutique était fermée dès l’après-midi. Motif officiel ? Plus de viande… Adieu veau, vache, cochon ! Bien sûr, vous me direz qu’on trouve de la viande partout. C’est vrai, mais ce n’est pas la même chose…
Yves Lemay
*Tala : en langage normalien, ceux qui vont à la messe…
Crédit photo : DR
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