Depuis l’invention des antibiotiques, notre époque croyait avoir dompté la nature et vaincu les maladies infectieuses. Hélas, la crise du coronavirus nous prouve qu’il n’en est rien. Dans les temps passés, les épidémies revenaient à intervalles réguliers et prélevaient leur dû de victimes. Le cycle tournait sans fin ; la population croissait et saturait les possibilités écologiques d’un pays : la peste ou la fièvre dysentérique tuaient alors 25 % à 30 % des habitants, permettant aux survivants d’avoir suffisamment de terres pour se nourrir, prospérer et faire des enfants.
La peste dite de Justinien a débuté en 541, peut-être en Éthiopie, mais plus probablement en Asie centrale. Elle aurait remonté la route de la soie qui liait alors l’Inde et l’Abyssinie. Elle a touché une partie de l’Europe et de la Perse sassanide, elle semble néanmoins avoir épargné les régions froides ; elle a connu son paroxysme en 591. Elle ne s’est arrêtée qu’en 767, sans qu’on ne sache pour quelle raison. (Était-ce le dépeuplement de l’Europe du Sud qui est l’origine de cette disparition du fléau ?). Son bilan est impossible à tirer. Dans certaines régions, surtout celles qui sont situées le long des fleuves, elle a tué entre le tiers et la moitié des habitants. Elle a sans doute modifié l’Histoire européenne, car elle a brisé l’élan des armées romaines d’Orient qui s’apprêtaient à reconquérir l’Occident.
À la fin du Moyen Âge, l’épidémie de peste noire, peut-être partie de Wuhan en Chine (déjà !), a ravagé le monde entier sauf les Amériques. Elle a été propagée en Europe à partir du comptoir génois de Caffa en Crimée. En effet, l’armée mongole qui assiégeait cette forteresse a envoyé par catapulte au-dessus des remparts des corps de pestiférés. Mais plus sûrement les rats ont amené la maladie dans la ville. Le siège levé, les bateaux ont transporté la peste à Constantinople et en Italie, touchant des populations démunies de toute immunité biologique, car la peste ne les avait pas frappés depuis 6 siècles. Une fois installée, l’épidémie durait entre 6 mois et 9 mois ; un tiers de la population et 60 % des infectés en mouraient. Des villes comme Bruges ou des régions comme le Béarn ou la Pologne ont été épargnées du fait sans doute des consignes de confinement strictes mises en place par les dirigeants de ces territoires.
On connaît la bactérie responsable de ces 2 épidémies, mais d’autres maladies contagieuses restent mystérieuses. La grande suette en fait partie. Ceux qui en étaient atteints éprouvaient d’abord un grand effroi, des maux de tête, des frissons, de la grande fatigue. Cette phase froide durait de 30 minutes à 3 heures. Puis venait la phase chaude, de grandes suées, une accélération du pouls, une soif intense et une grande fatigue. Une première poussée ne conférait pas l’immunité et on pouvait succomber après plusieurs épisodes de grande suette. Jusqu’à 90 % de la population était atteinte et la mortalité a parfois grimpé jusqu’à 60 %. L’épidémie dans un territoire restreint était brève, un à deux jours. Les rescapés mettaient 6 mois à s’en remettre et étaient victimes de dysenterie. La grande suette a frappé les îles Britanniques en plusieurs vagues : en 1486 (peut-être amenée par des mercenaires français du prétendant Tudor Henri VII), en 1507, en 1529 et en 1551, apparaissant brutalement et disparaissant mystérieusement. La flambée de 1529 a également touché l’Europe du Nord. Elle est aussi la plus grave des poussées d’épidémie. À Oxford et à Cambridge, la moitié des habitants sont décédés. Après 1551, la maladie n’est plus réapparue, sans qu’aucune raison n’ait pu être avancée. Que l’infection frappe plus les riches que les pauvres, à rebours de ce qui se passait d’habitude, a marqué les auteurs contemporains.
Il existe une autre maladie qui porte le même nom mais dont les symptômes étaient un peu différents, la suette milliaire ou suette picarde car cette maladie a été longtemps endémique dans la région d’Amiens. La mortalité était moindre et la poussée amenait des éruptions cutanées qui n’existaient pas dans la grande suette. La France a connu 194 épidémies localisées de suette milliaire, la dernière en 1906 en Charente. La plus virulente de ces poussées a frappé l’île d’Oléron en juillet 1880. Sur 20 000 habitants, on a eu un millier de cas graves et 150 décès.
Les chercheurs n’ont pas encore identifié l’agent infectieux responsable de ces épidémies de suette. On évoque la famille des hantavirus, mais ceux-ci s’ils peuvent donner des symptômes pulmonaires similaires à la suette, n’ont aucune transmission interhumaine connue. Mais peut-être s’agissait-il d’une mutation comme celle qui semble concerner le Covid-19 ?
Christian de Moliner
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