« La fermeture de l’espace Schengen, c’est finalement la même chose que le confinement », a déclaré Jean-Yves Le Drian, ministre des Affaires étrangères, numéro deux du gouvernement, ce mercredi sur BFM TV. Et voilà ! Ce qui va sans dire va encore mieux en le disant : fermer les frontières est un « geste barrière ».
Cette déclaration marquée au coin du bon sens est en réalité une révision déchirante de la part du gouvernement. Elle sera politiquement ravageuse.
Mardi 17 mars, le Conseil européen, réuni en téléconférence sur le sujet du COVID-19, a fixé cinq priorités. La première est (évidemment !) de limiter la propagation du virus. Comment ? Comme ceci : « Afin de limiter la propagation du virus au niveau mondial, nous sommes convenus de renforcer nos frontières extérieures en appliquant une restriction temporaire coordonnée sur les déplacements non essentiels à destination de l’UE pour une période de 30 jours, sur la base de l’approche proposée par la Commission. »
Un gouvernement arc-bouté contre la fermeture des frontières
Cette décision européenne, affirme Jean-Yves Le Drian, a été prise par le Conseil européen « sur l’initiative du président de la République ». Pardon ? Le 10 mars, une semaine plus tôt donc, après la fermeture partielle des frontières de l’Autriche et de la Slovénie, Emmanuel Macron déclarait : « Je crois que ce sont très sincèrement de mauvaises décisions ».
Et il n’était pas seul. La fermeture des frontières ? « Ça ne sert à rien, les virus traversent les frontières », avait assuré Édouard Philippe au 20 heures de TF1 le 29 février. Quant à Sibeth Ndiaye, porte-parole du gouvernement, jamais avare de déclarations hasardeuses, elle répondait ainsi à une question de Guillaume Durand sur Radio Classique le 11 mars : « L’Europe est un espace où il y a une libre circulation des individus, vous savez, le virus fait fi des frontières, le coronavirus, et donc on a toujours considéré que ce n’était pas une bonne idée que de fermer les frontières avec nos voisins européens ». Ainsi, ce qui n’était pas une bonne idée pour le gouvernement français le 11 mars est devenu la priorité numéro un de l’Union européenne le 17 !
La position du gouvernement était intenable. Quand on fait la promotion d’un « geste barrière » tel que respecter une distance de 1 mètre avec ses voisins parce que le virus ne va pas plus loin, comment prétendre qu’il est capable de franchir les frontières ?
Le virus passe les frontières parce qu’elles sont ouvertes
La pandémie est née en Chine. Elle est sortie de Chine non parce que le virus l’a décidé mais parce que des humains ont voyagé dans le monde entier. Sur 38 cas de COVID-19 recensés à Malte hier, 18 mars, 32 ont été contractés à l’étranger. Le même jour, le Kirghizistan a signalé ses trois premiers cas, chez trois personnes rentrant d’Arabie saoudite, et Djibouti son premier cas, chez un citoyen espagnol arrivé le 14 mars avec un détachement de forces spéciales. Le Pakistan a déclaré son premier décès, celui d’un malade arrivé d’Iran. Les jours précédents, on avait relevé des premiers cas en Gambie chez une femme revenant du Royaume-Uni, à la Barbade chez deux personnes arrivant des États-Unis, au Montenegro chez deux femmes rentrées des États-Unis et d’Espagne, en Guinée équatoriale chez une femme arrivée d’Espagne, en Ouzbékistan chez un citoyen rentrant de France, en Guinée chez un salarié d’une délégation de l’Union européenne, au Soudan chez un homme venant de l’Union des émirats arabes, au Kosovo chez une Italienne, en Uruguay chez quatre personnes arrivant d’Italie, au Kenya chez un voyageur venu des États-Unis via Londres, au Kazakhstan chez des personnes rentrant d’Allemagne, au Ghana chez deux touristes ayant visité la Norvège et la Turquie, au Gabon chez un jeune homme revenant de France, etc., etc. Le premier décès en France, à la mi-janvier, a été celui d’un touriste chinois. Partout à travers le monde, c’est la même histoire : le virus n’a franchi les frontières que parce qu’elles étaient ouvertes.
Certains pays, pourtant, n’avaient pas hésité à fermer leurs frontières bien avant l’Union européenne. Le premier décès a été déclaré en Chine le 29 décembre 2019. Dès le 28 janvier 2020, le Sri Lanka suspendait les visas pour les citoyens chinois. Le 30 janvier, la Russie décrétait la fermeture immédiate de sa frontière avec la Chine – 4.250 km, soit un tiers de plus que la longueur totale des frontières de la France métropolitaine. La Mongolie en faisait autant le lendemain. Au 18 mars, ces deux pays limitrophes de la Chine comptaient respectivement 147 et 6 cas déclarés, contre 9.052 en France et plus de 35.000 en Italie.
La Chine elle-même, première touchée par l’épidémie, mettait en œuvre des frontières intérieures. Dès le 23 janvier, six jours après son deuxième décès dû au coronavirus, Wuhan était coupé du reste du pays. La France, qui aurait pu être éclairée par l’expérience chinoise, a attendu de compter une centaine de morts pour en venir là.
L’aveuglement n’était pas général
Dira-t-on qu’elle s’est montrée esclave du grand capital international ? Même pas. Beaucoup de grandes multinationales se sont montrées plus responsables que les gouvernements européens. Dès le 25 janvier, les croisiéristes géants Royal Caribbean et MSC avaient suspendu leurs croisières en Chine. Le 28 janvier, Air Canada et Finnair annulaient la plupart de leurs vols vers la Chine. Le 14 février, presque aussi clairvoyants qu’Agnès Buzyn, IBM et Facebook annulaient deux manifestations internationales de grande envergure qui devaient se tenir à San Francisco respectivement à partir du 24 février et du 9 mars. Le gouvernement français, lui, n’a renoncé au deuxième tour des élections municipales que cinq jours avant.
Marine Le Pen a réclamé la fermeture des frontières le 26 février, en dénonçant « l’idéologie, presque la religion du sans-frontiérisme des dirigeants de l’Union européenne ». Elle s’était attiré une volée de bois vert de la classe médiatico-politique et la fin de non-recevoir rappelée plus haut de la part d’Emmanuel Macron, Édouard Philippe et Sibeth Ndiaye. La Commission européenne disait alors vouloir « impulser une coordination entre les États membres pour éviter des politiques divergentes sur les contrôles aux frontières et les pratiques ». Et voilà l’impulsion : plus de trois semaines plus tard – trois semaines trop tard ‑ fermeture des frontières !
Bien entendu, la priorité du moment est à la lutte contre l’épidémie et pas aux règlements de comptes. Il y a un temps pour tout. Le gouvernement repousse les échéances fiscales des entreprises ; lui aussi aura des comptes à rendre plus tard.
E.F.
Crédit photo : copie partielle d’écran BFM TV
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