Ancien élève de l’Ecole des chartes, titulaire d’un doctorat et d’une habilitation à diriger les recherches en Histoire, Thierry Sarmant a travaillé successivement aux Archives de la Défense, à la Bibliothèque nationale de France et au musée Carnavalet avant de prendre ses actuelles fonctions de directeur des collections du Mobilier national.
Comme historien, il a consacré l’essentiel de ses recherches à la France des XVIIe et XVIIIe siècles. Il a notamment publié une biographie de Louis XIV (2012) et co-écrit une biographie de Colbert (2019). Pour l’anecdote, son nouvel ouvrage, Pierre le Grand : la Russie et le monde, a été rédigé pour la plus grande partie en Bretagne, à l’Ile-aux-Moines (Morbihan), où sa famille réside pour les vacances depuis les années cinquante.
Nous l’avons interrogé au sujet de ce livre, biographie de celui qui fût l’un des grands dirigeants de notre civilisation européenne.
Pierre le Grand – Thierry Sarmant – Perrin – 26 €
Breizh-info.com : Dans quel contexte, en Europe, et en Russie débute le règne de Pierre le Grand ?
Thierry Sarmant : Un contexte de recomposition géopolitique, avec des puissances en plein essor (Angleterre, Brandebourg-Prusse, Savoie-Piémont), d’autres en difficulté ou en crise (Pologne, Suède, Empire ottoman, Espagne). La Russie reste encore relativement à l’écart du reste de l’Europe, pour des raisons essentiellement religieuses : elle est le seul État orthodoxe demeuré indépendant et se considère comme entourée d’ennemis, qu’ils soient musulmans (le khanat de Crimée, l’Empire ottoman), catholiques (la Pologne) ou luthériens (la Suède).
Breizh-info.com : Quelles furent les caractéristiques majeures de son règne, très long ?
Thierry Sarmant : Le règne de Pierre le Grand (1682-1725) est la rupture majeure de l’histoire de la Russie. Le tsar contraint son pays à sortir de son isolement. Il se lance dans une politique d’expansion tous azimuts, vers la mer Noire, la mer Baltique, la mer Caspienne, l’Asie centrale… Il fonde Saint-Pétersbourg, nouvelle capitale tournée vers l’Europe, au détriment de Moscou, la capitale traditionnelle. Le tsar réforme l’armée, crée de toutes pièces une marine, réorganise l’appareil d’État. Il force les élites à adopter les mœurs et les usages européens et tout le pays à se mettre à l’école de l’Occident.
Breizh-info.com : Quel héritage a-t-il laissé à la Russie ? Quelles furent ses relations avec les autres cours en Europe ?
Thierry Sarmant : Pierre a été le premier tsar à voyager à l’étranger et à y envoyer des représentations diplomatiques permanentes. Les rapports avec les autres souverains n’ont pas toujours été très cordiaux mais la personnalité hors normes du tsar a fasciné ses contemporains.
L’héritage qu’il laisse est considérable : les institutions créées par Pierre durant le plus souvent jusqu’au XIXe siècle, voire jusqu’à la Révolution de 1917. Sa « révolution culturelle » est d’une plus grande portée encore : les grands écrivains, les grands artistes et les grands savants russes des XIXe et XXe siècles sont tous plus ou moins directement ses héritiers. Il a fait entrer la Russie dans la civilisation universelle. On peut dire que son œuvre produit encore aujourd’hui des effets.
Breizh-info.com : Quelles nouvelles découvertes avez-vous faites durant la rédaction de votre livre, au sujet du tsar et de son époque ?
Thierry Sarmant : J’ai exploité des travaux en russe, en allemand ou en anglais peu ou pas connus en France, notamment des recherches récentes sur les correspondances des diplomates étrangers présents auprès de Pierre tout au long de sa vie. Il en ressort un portrait complexe et contrasté : les traits pathologiques de sa personnalité – alcoolisme, violence exacerbée, cruauté, sadisme, névroses diverses – ressortent encore plus vivement que par le passé, mais simultanément Pierre se détache parmi les autres souverains par sa curiosité universelle et par sa persévérance dans l’action. Il apparaît surtout comme un très grand travailleur (ce que l’on n’a peut-être pas assez signalé jusqu’ici), parcourant en tous sens son empire et l’Europe, dictant chaque jour des dizaines de lettres et de décrets.
Il apparaît aussi très soucieux de sa réputation et du jugement de la postérité – et c’est la raison pour laquelle je consacre plusieurs chapitres à l’héritage de Pierre – réel et symbolique, du XVIIIe siècle jusqu’à aujourd’hui.
Breizh-info.com : Y a t-il une cinématographie autour de Pierre le Grand et de cette époque ?
Thierry Sarmant : Elle est très importante puisque le premier film consacré à Pierre est sorti… en 1910. Sur YouTube, on pourra trouver plusieurs films russes de l’époque soviétique et une série internationale de 1986, avec Vanessa Redgrave et Omar Sharif.
Propos recueillis par YV
Crédit photo : DR
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