C’est un consensus quasi établi : le chardonnay de Bourgogne s’impose comme une référence absolue pour exprimer avec une élégance suprême les qualités innées de ce cépage. Malheureusement le constat de son acquisition onéreuse, associée à l’extrême rareté de la ressource, incite à regarder de plus près les émules du chardonnay bourguignon.
Parmi les options de remplacement, vient assez naturellement à l’esprit le Jura. Particulièrement l’Arbois, région préposée à devenir l’arrière-cour de prestigieux domaines de la Côte de Beaune en mal de foncier et de sources d’approvisionnement. La création du domaine du Pélican par Guillaume d’Angerville s’inscrit comme l’une des grandes réussites de l’exportation du savoir-faire bourguignon sur des terroirs plus abordables en prix (quoique… l’implantation des grandes signatures bourguignonnes risque d’entraîner la montée des tarifs).
Plus méconnue est l’alternative limouxine ! Et pourtant elle partage une parenté de style évidente avec les chardonnays de la côte de Beaune, à commencer par la conduite de la vinification et l’élevage en fût de chêne.
Le choix du bois
Le vignoble audois a fait de la fermentation et de la maturation en barrique l’une de ses conditions d’élaboration, au point d’en faire un trait reconnaissable dans la définition de l’identité du chardonnay limouxin. Un parti pris affirmé jusque dans les décrets de l’AOP, allant à imposer dans le cahier des charges le mode de fermentation sous-bois au profit d’une avantageuse cohésion d’image, mais aussi d’une dangereuse unité stylistique. Cependant, le rapprochement s’arrête ici, car ramener le limoux blanc à un simple succédané du bourgogne reviendrait à négliger des différences notables tenant aux particularités du terroir de l’Aude.
En comparaison de son illustre mentor, le chardonnay limouxin présente un corps renfle et puissant, sous-tendu par une richesse de structure souvent supérieure à la plupart des blancs de Bourgogne. À l’image du paysage tourmenté et rude des hautes vallées ensoleillées de l’Aude, le limoux engendre un chardonnay sans concession, très constitué, parfois violent, qui peut avoir du mal à dompter son opulence. En cela, il peut rappeler une version assez traditionaliste du bourgogne blanc avec ce vieux penchant pour la rondeur, aidé tantôt par la surmaturité ou favorisé par la « malo » et l’emploi du bâtonnage des lies qui mène sur le terrain beurré et crémeux… Mais souvent rappelé à ses origines, le limoux ajoute un précieux supplément d’énergie et de concentration que le vin peine parfois à endiguer sur certains millésimes.
Chardonnay mais pas que…
Et puis un limoux blanc sec peut s’appuyer sur la contribution fruitée de ses deux autres acolytes de l’Aude : le chenin et le Mauzac. Leur intégration est plus ou moins susceptible d’amabiliser l’extravagance un tant soit peu démonstrative du chardonnay. Reste que le Limoux privilégie ce dernier pour donner l’ossature à un blanc de structure et qui n’a pas son pareil pour retranscrire dans le vin les spécificités des terres d’altitude.
Les pionniers
Le Limoux doit sa notoriété à un travail de longue haleine entamé par la coopérative locale. Dans les années 90, Sieur d’Arques s’est en effet employé, au travers de sa déclinaison de cuvées « Toques et clocher », à souligner les différences engendrées par la diversité des terroirs : selon qu’ils occupent une situation quasi montagnarde ou qu’ils soient placés sous l’influence maritime. Loin d’être homogène, ce terroir de confluence inséré entre le Massif du Mouthoumet et les contreforts pyrénéens est sujet à la fois aux influences continentales du vent d’Autan, traversé par les incursions maritimes, et baigne sous l’ensoleillement méditerranéen tout en subissant la rigueur montagnarde.
Aujourd’hui encore ces cuvées qui ont fait les belles heures de la cave coopérative demeurent de bons classiques pour l’appellation.
Le Champenois Jean-Louis Denois, dans les années 90, va aussi beaucoup contribuer au renom de la région. Dans son domaine situé à Roquetaillade, il a façonné des chardonnays bien en chair, éclatants de précision, parmi les plus illustres de l’appellation.
Roquetaillade, pépinière de talents
Depuis son arrivée il y a 30 ans, Roquetaillade, où pullulent les caves particulières engagées dans le bio, s’est érigé en véritable fief indépendantiste face à l’imposante coopérative Sieur d’Arques.
Bénie des Dieux, cette minuscule commune de moins de 300 âmes, située dans la haute vallée, a toutes les caractéristiques du cluster vinicole ou, par une mystique réaction en chaîne se concentrent les plus belles vignes et s’établissent les meilleurs signatures. Il faut dire que dans le cœur de l’Aude, on côtoie facilement les 500 mètres, et le chardonnay limouxin profite à plein des écarts de températures diurnes et nocturnes, un contraste vertueux connu pour encourager l’acidité et la complexité aromatique des vins.
Les meilleurs représentants sont bio !
Encore une fois et n’en déplaise à ceux qui dépeignent avec facilité le bio comme l’école du laxisme et du laisser-faire, les plus grands limoux blancs naissent à coup sûr d’une conversion biologique douée à maintenir l’équilibre d’un chardonnay excessif par nature, sur un terroir soumis au yoyo des températures.
D’ailleurs, il n’est guère étonnant de retrouver la triste représentation archi-connue du chardonnay pommadé et rondouillard principalement chez les domaines dits « conventionnels ».
À l’opposé de toute version consensuelle et complaisante adaptée au consommateur, Gilles Azam du domaine des Hautes-Terres pousse le chardonnay aux limites de sa puissance d’expression et tempère son incroyable force de caractère dans le galbe de l’élevage. Le tempérament fougueux du chardonnay (auquel s’adjoint un peu de chenin) de la cuvée « Louis » ne saurait être confondu avec celui d’un bourgogne blanc et pourtant, s’y retrouve l’élégance et la longueur des plus grands.
Dans une ligne enjouée et totalement hors-piste au regard des profils habituels, le limoux « les chemins de travers », du petit négoce pointu « Debebard », propose une version polyphonique du chardonnay tout en brillance et en équilibre grâce au soutien de sublimes amers en finale.
À noter que le limoux affirme malheureusement sa vocation de grand terroir à blanc, par le flagrant décalage dans la production des meilleurs vignerons, entre des rouges mal assurés et la grande classe des chardonnays. C’est dans le nouvel eldorado de la vallée de l’Agly, plus au sud, qu’il est alors conseillé de se tourner…
Raphno
Crédit photos : DR
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