Le 10 avril 2019, 248 députés et sénateurs ont déposé devant l’Assemblée nationale une « Proposition de loi visant à affirmer le caractère de service public national de l’exploitation des aérodromes de Paris »[1].
Hors des débats économico-politique
Au stade actuel il est simplement question qu’ADP passe de statut de société anonyme semi-publique, puisque l’État y est majoritaire avec seulement 50,6% des parts, à celui de société anonyme privée à part entière[2]. Dans ce cadre-là pourquoi y aurait-il péril en la demeure en termes de souveraineté nationale puisque ADP resterait français ? Par conséquent, il ne s’agît pas ici de prendre position sur le transfert envisagé en l’observant sous l’angle, jusque-là privilégié, économico-politique ou doctrinal ou idéologique.
En revanche, compte tenu de l’importance capitale que représente une telle plateforme sur le plan stratégique, notamment par la puissance de capacité logistique qu’elle offre, il y a lieu d’avoir sur la question un regard autre que comptable, mercantile, capitalistique.
Un outil de travail de niveau stratégique vital
Ainsi, hors de tout débat idéologique, si une plateforme logistique de cette ampleur ne peut être acquise par n’importe quel particulier ou entreprise, elle ne peut pas l’être non plus, et encore moins, par une puissance étrangère. Ce serait lui livrer un outil de travail de niveau stratégique vital pour la France, voire l’Europe. Car n’est pas stratégique le seul contrôle des passagers aux portillons de la police des frontières. Peut-on imaginer les Américains en prendre possession, eux qui jusqu’à une époque toute récente voulaient nous emmener, nous Européens, faire la guerre que nous n’avions pas faite au siècle dernier contre les Russes? Peut-on imaginer le Qatar qui, s’il achète des équipes sportives, est aussi parfois soupçonné de financer en sous-main le terrorisme international ?
La perspective d’une offre chinoise
Aujourd’hui les ADP, à notre connaissance, sont particulièrement bien gérés, non seulement en France mais aussi sur toute l’extension internationale du groupe. Soit. Mais qui peut dire que, une fois le Groupe ADP privé, l’équipe dirigeante ne puisse être tentée, dans un avenir indéterminé, de faire entrer d’autres partenaires dans le groupe, comme il y en existe déjà tel que, pour n’en citer qu’un, le hollandais Schiphol, à hauteur de 8%. En ce sens une proposition chinoise, accompagnée d’une puissante stratégie d’influence comme les impériaux du Milieu savent si bien le faire, peut parfaitement s’envisager. Cette entrée d’abord progressive dans le groupe se traduirait par une participation au capital, puis par une extension de cette participation, puis deviendrait suffisante pour gagner un ou plusieurs sièges ainsi que des droits de vote au conseil d’administration pour y prendre in fine une place prépondérante. Une telle progressivité de la démarche chinoise dans la conquête d’entreprises étrangères est parfaitement rodée.
Cela entrerait tout à fait dans la stratégie chinoise de pénétration, voire de mise en état de dépendance partielle de pays, au travers du programme des nouvelles routes de la soie, de la ramification et de la densification de leur tentaculaire trame. Quelle capacité de puissance, et à partir de là de domination économique et de capacité d’influence sur la France, et sur l’Europe, un investissement sur ADP donnerait à la Chine ! Même si aujourd’hui les Chinois se sont repliés de l’aéroport de Toulouse – Blagnac (ATB) après avoir essayé d’y devenir majoritaire en tentant d’acquérir les 10,1 % que détient encore l’Etat français mais y ayant échoué[3], il ne faut surtout pas considérer ce retrait comme un échec de leur part. Ce n’était qu’un galop d’essai préalable à une potentielle mainmise sur ADP.
Aujourd’hui le risque a déjà été subodoré par quelques auteurs tels que Antoine Izambart (Challenges) le 22 mars 2018[4], Michel Delapierre (Économie matin) le 17 juin 2018[5], Henri Duval (Économie matin) le 26 mars 2019[6] ou Jean-Paul Basquiat (Mediapart) le 14 mars 2019[7].
La stratégie chinoise envisageable
Sans parler de ce que pourrait être une approche indirecte par le biais possible de fonds d’investissement, qui seraient intéressés par les retombées financières d’une tractation sur ADP[8], l’approche directe serait la plus probable.
En effet face à l’envisageable concurrence qui se présentera les Chinois sauront toujours surenchérir. Avec 3 095 milliards de dollars de réserves de change, chiffre de novembre 2019, ils peuvent s’offrir tout ce qu’ils convoitent. Pour acquérir les 49,9% des parts de l’aéroport de Toulouse Blagnac (ATB) l’offre chinoise aurait été de 30 à 50% supérieure à celle de ses compétiteurs[9].
Partant de là il est tout à fait possible de voir la Chine proposer des prêts pour financer des investissements ambitieux dépassant les capacités financières d’ADP, installant ainsi chez celui-ci une créance qu’il lui serait finalement difficile de rembourser. C’est la stratégie des prêts toxiques que Pékin accorde volontiers dans le cadre de son programme conquérant des nouvelles routes de la soie et pour lequel a été monté un fond spécial : le Silk Road Fund, lui-même en partie alimenté par les réserves de change amassées. Par la suite, faute au débiteur de pouvoir rembourser sa dette, l’aboutissement se matérialise par la cession au créancier, sur la base d’un bail emphytéotique, d’un large, voire total, contrôle des infrastructures édifiées. Les exemples sont déjà multiples avec les ports du Pirée, Hambantota au Sri Lanka, Gwadar au Pakistan, sous menace identique avec ceux de Kyaukpyu en Birmanie, Trieste et Gênes en Italie, comme aussi sur la voie ferrée Addis Abeba – Djibouti en Éthiopie, pour n’en citer que quelques-uns.
Quel abandon potentiel de souveraineté !
C’est pourquoi, à la veille de la clôture, le 12 mars prochain, des formalités d’enregistrement des citoyens en vue de l’organisation d’un référendum national sur la privatisation ou non des Aérodromes de Paris, il est temps de faire resurgir la question du risque chinois.
Mais si ce référendum ne se fait pas faute de réunir le quorum nécessaire de signatures pour déclencher la procédure, l’Etat pourra poursuivre son objectif de cession de ses parts, ouvrant toute grande la porte à l’acquisition d’ADP par les Chinois. Quelle manne alors sera-ce pour l’Etat français ! Et pour un tel plat de lentille, quel abandon consenti de souveraineté et quelle démission de la part de la France ! Et quel soutien sur un plateau, celui de l’extension mondiale actuelle d’ADP, apporté à la Chine dans sa conquête du monde par le programme des routes de la soie ![10]
Général (2s) Daniel Schaeffer
Ancien attaché de défense en Thaïlande, Vietnam et Chine
Membre du groupe de réflexion Asie21 (www.asie21.com)
[1] http://www.assemblee-nationale.fr/15/pdf/propositions/pion1867.pdf.) http://www.assemblee-nationale.fr/15/pdf/propositions/pion1867.pdf.)
[2] https://www.senat.fr/rap/l04-049/l04-0499.html
[3] https://www.questionchine.net/toulouse-blagnac-une-faillite-francaise-suite
[4] https://www.challenges.fr/entreprise/transports/le-fonds-chinois-des-nouvelles-routes-de-la-soie-veut-miser-sur-les-aeroports-de-paris-adp_575428
[5] http://www.economiematin.fr/news-aeroports-de-paris-adp-privatisation-loi-pacte-concession-70-ans),
[6] http://www.economiematin.fr/news-privatisation-groupe-adp-chine-embuscade-
[7] https://blogs.mediapart.fr/jean-paul-baquiast/blog/140319/le-scandale-de-la-privatisation-daeroport-de-paris).
[8] http://www.economiematin.fr/news-privatisation-groupe-adp-chine-embuscade-
[9] https://www.questionchine.net/toulouse-blagnac-une-faillite-francaise-suite
[10] https://www.parisaeroport.fr/en/group/group-strategy/international-activities/geographical-locations
Source : Asie21.com
Crédit photo : Citizen59/Wikimedia (cc)