Il y a trois mois, les citoyens suisses ont renouvelé leur parlement lors des élections fédérales. Les lignes ont peu bougé, hormis une « vague verte » ayant vu les Verts progresser – par rapport à 2015 – d’environ 6% (passant d’environ 7% à 13%, se hissant ainsi à la 4ème place) et gagner 17 « députés » (de 9 à 28) et 4 « sénateurs » (de 1 à 5) ; et les Verts Libéraux augmenter leurs voix d’environ 3% (passant d’environ 5% à 8%) et gagner 9 « députés » (de 7 à 16). Quant aux autres partis, ils ont tous régressé. L’UDC (classée à l’extrême-droite sur l’échiquier politique) reste le parti numéro 1 avec 25.6% des voix, le Parti Socialiste (16.8%) et le Parti Libéral-Radical (15.1%) viennent ensuite, tandis que le Parti Démocrate-Chrétien (centre-droit) rétrograde donc à la 5ème place avec 11.4% des voix.
Si nous étions en France, les décisions importantes pour le pays seraient prises pour les prochaines années par quelques centaines de députés et de sénateurs, et les citoyens assisteraient en spectateurs à la promulgation de lois ayant un impact parfois majeur sur leur vie quotidienne et leur avenir. Et malheur à ceux qui voudraient être acteurs, ils pourraient bien se retrouver mutilés ou emprisonnés. Oui mais voilà, nous sommes ici en Suisse dans une vraie démocratie (coucou Macron). Et nous retournons donc aux urnes en ce début d’année pour deux nouvelles votations :
Initiative populaire « Davantage de logements abordables »
Pour ce premier objet, c’est la hausse des loyers en Suisse qui est pointée du doigt. L’initiative demande à la Confédération et aux cantons de soutenir davantage l’offre de logements à loyer modéré. Elle impose qu’au moins 10 % des nouveaux logements construits dans l’ensemble du pays appartiennent à des maîtres d’ouvrage d’utilité publique, lesquels sont le plus souvent des coopératives d’habitation.
Si les principales préoccupations de cette initiative sont partagées par une majorité des suisses, elle ne devrait toutefois pas passer la rampe. Les sondages notent une baisse progressive du camp du oui, notamment en raison des arguments portés par les opposants : le niveau élevé des coûts et des frais administratifs, la crainte de quotas rigides, ainsi que la possible influence négative sur la concurrence.
La Suisse s’est certes colorée un peu plus en vert à l’automne dernier, il n’en demeure pas moins que la droite reste forte et sait porter ses idées lors des votations populaires (avec l’aide des milieux économiques il est vrai).
Pour ma part, travaillant dans l’immobilier et ayant constaté les impacts des dernières initiatives acceptées par le peuple en ce qui concerne l’aménagement du territoire, je me prononcerai pour le « non ». Le fait notamment d’introduire un droit de préemption en faveur des communes et des cantons sur les terrains serait profondément injuste pour les propriétaires fonciers. Cela serait un nouveau casse-tête et surtout une loterie comme ce fut le cas avec la Loi sur l’Aménagement du Territoire. Je préfère très nettement octroyer plus de subventions aux revenus modestes, afin que leur loyer pèse un peu moins dans leur budget.
Interdiction de la discrimination en raison de l’orientation sexuelle
Le code pénal protège les citoyens contre différentes formes de discrimination. Est ainsi punissable quiconque abaisse publiquement une personne ou un groupe de personnes, par des propos ou par des actes, en raison de l’appartenance raciale, ethnique ou religieuse. Le Parlement a décidé d’améliorer cette protection et d’élargir le champ d’application de la norme antiracisme : sera également punissable toute discrimination fondée sur l’orientation sexuelle. Le référendum a été lancé contre ce projet.
Dans le comité du « non », on retrouve des membres de l’UDF (défenseur des valeurs chrétiennes) et de l’UDC. La liberté d’expression est mise en avant comme argument principal. Du côté du Conseil Fédéral, du Parlement, et de l’écrasante majorité des partis, on défend le texte en indiquant qu’il y aura ainsi une meilleure protection contre la discrimination (un client homosexuel ne pourra par exemple pas se voir refuser une chambre en raison de son orientation sexuelle) et que la liberté d’expression restera garantie (les propos tenus dans la sphère privée, ainsi que les opinions argumentées ne seront pas punissables).
Les sondages semblent indiquer que le « oui » l’emportera avec une avance assez confortable, puisque 65% des personnes interrogées sont « pour » ou « plutôt pour » à une dizaine de jours de la clôture des votes.
Cette votation est selon moi surtout symbolique, car dans la réalité peu de condamnations interviendront chaque année. Il est aussi légitime de se demander pourquoi alors ne pas vouloir des lois similaires pour défendre les gros, les roux, les handicapés, les moches, les nains, et autres « catégories » souvent objets de railleries parfois dures.
Voter symboliquement pour rassurer une communauté ou voter pour défendre une forme de liberté (même celle d’être odieux ou discriminant), telle est la question.
Erwan Pennarun
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