Professeur émérite à l’Université du Mans, Joël Blanchard a travaillé et écrit beaucoup sur la fin du Moyen Âge, les XIVe et XVe siècles. Il a publié plusieurs biographies, celle de Philippe de Commynes (Fayard), de Louis XI (Perrin), et des éditions critiques de textes et des traductions de textes médiévaux. Il vient de publier, chez Perrin, La fin du Moyen Âge.
« L’histoire politique m’intéresse tout particulièrement dans la mesure où elle permet d’éclairer le fonctionnement et la pensée des sociétés anciennes et modernes. Le Moyen Âge est de ce point un excellent laboratoire pour comprendre l’exercice du pouvoir » nous explique-t-il à l’occasion d’une interview qu’il nous a accordée.
La fin du Moyen Âge – Joël Blanchard – 24 € – Perrin.
Breizh Info : Qu’est-ce qui vous a amené à vouloir écrire ce livre ?
Joël Blanchard : L’histoire des Valois qui couvre près de deux siècles (1328-1515) est moins connue que celle, triomphante, des Capétiens. Les XIVe et XVe siècles sont au contraire une période haute en contrastes, marquée par la guerre interminable franco-anglaise (défaites retentissantes comme Azincourt), les rivalités fratricides entre les princes du sang, les rébellions communales contre l’impôt, les pandémies comme la peste noire. Elle a été perçue comme une période sombre. Pensons au tableau romantique qu’en dresse Jules Michelet dans son Histoire de France, et, jusqu’à aujourd’hui, la fin du Moyen Âge a été vue comme une agonie, un long déclin. La période était vue sous l’angle du désenchantement. C’est ce qui fait aussi qu’elle a été trop souvent négligée, moins étudiée que la Renaissance, qui semble à beaucoup comme la matrice des temps modernes. Elle méritait d’être réhabilitée, relue en profondeur.
Breizh Info : La fin du Moyen Âge marque-t-elle une accélération de l’histoire sans précédent pour l’époque ? Pour quelles raisons ?
Joël Blanchard : Précisément grâce aux travaux et aux recherches sur les pratiques et l’expérience du politique (nous pensons à ceux de Patrick Boucheron, à ceux de Claude Gauvard sur la justice et le droit), il est possible d’envisager une autre lecture de la fin du Moyen Âge. Une formule proverbiale résume à elle seule l’effervescence des idées et la vitalité créative des auteurs de ce temps (« Bien assailli, bien défendu »), illustrant les querelles, les débats idéologiques, religieux, politiques, multiples qui secouent la société politique de ce temps. Citons quelques domaines de ces réflexions intenses : l’État se sacralise grâce à des rituels et des images relevant d’une tradition biblique de plus en plus forte ; le souffle de la Réforme ranime les esprits et suscite contestations et appels à une transformation plus juste des pratiques politiques et judiciaires ; l’empire de l’écriture impose sa logique grâce à une société politique de plus en plus cultivée, à la diffusion et à la mise en œuvre du droit écrit, du droit romain, mais aussi, et c’est moins connu, à l’émergence, dans les cours, d’un intérêt grandissant pour des sciences non universitaires, comme l’astrologie, l’alchimie ou même la magie.
L’histoire sociale est aussi « impactée » : l’ « autorité » des femmes y est mieux affirmée : que l’on pense à Christine de Pizan, autrice d’un nombre considérable d’ouvrages poétiques mais aussi politiques, qui rivalisent avec ceux des clercs, des théologiens de l’Université ; dans le domaine de théologie, n’oublions pas non plus le cas de Marguerite Porete. Un avant-goût des revendications féministes ? Pourquoi pas. Si ce sont encore des hommes qui tiennent la plume, la représentation de la femme y trouve une place plus autonome, mieux assumée vis-à-vis des habituels stéréotypes courtois. Pensons aussi à l’élan des mystiques qui témoignent d’une inspiration poétique forte et puissante qui se retrouve aussi bien chez les Béguines du Nord que dans le parcours étonnant d’une Jeanne d’Arc. Bref la fin du Moyen Âge a un double visage: la satire violente, sanglante, d’un temps de crise est compensée par une effervescence de pensées, d’idées nouvelles, voire dissidentes, comme pourrait l’être celle de Jeanne d’Arc.
À ce titre la fin du Moyen Âge méritait d’être réhabilitée dans un sens plus positif, plus progressif, comme une étape nécessaire, voire une accélération vers ce qui deviendra l’absolutisme royal. Le règne des premiers Valois offre aux lecteurs l’image d’une rhétorique vigoureuse et d’une force nouvelle.
Breizh Info : Avez-vous des films que vous recommanderiez sur la période ?
Joël Blanchard : La filmographie est riche : nous pensons à Jeannette, l’enfance de Jeanne suivi de Jeanne de Bruno Dumont, à Jeanne d’Arc de Luc Besson, à Kingdom of Heaven de Ridley Scott, au Nom de la Rose de J.-J. Arnaud, le Septième Sceau d’Ingmar Bergman, à Excalibur de John Boorman, au Lancelot du Lac de Bresson et à Perceval le Gallois d’Éric Rohmer et à bien d’autres…
Breizh Info : Quelles nouvelles sources, quels nouveaux outils permettent aujourd’hui aux historiens de se renouveler par rapport aux écrits d’hier ?
Joël Blanchard : Pour étayer cette approche d’un Moyen Âge tardif plus vitalisant, il y a les archives, les éditions de textes nouveaux éditées : la somme de documents utilisés est considérable, on en découvre de nouveaux grâce aux techniques de recherches informatiques, à leur croisement. Mais plus encore, c’est la traduction en cours de textes peu accessibles, beaucoup moins connus que ceux des XIIe et XIIIe siècles, qui permet de mieux éclairer cette période.
Seul un travail de traduction systématique de textes latins et en vieux français en français moderne, accompagné d’une introduction et d’une mise à jour contextuelle, permettra d’élargir le lectorat et de l’intéresser à un des moments forts de notre passé. Songeons en particulier au remarquable travail de traduction qui a été fait chez Pocket (collection Agora) qui met aujourd’hui à la disposition d’un large lectorat français et international les textes d’auteurs politiques majeurs de la période tardo-médiévale (les Mémoires de Philippe de Commynes, les œuvres politiques de Christine de Pizan, l’Histoire de Charles VII et de Louis XI par Thomas Basin…)
Breizh Info : En tant qu’historien, des livres vous ont-ils particulièrement intéressés ces derniers temps ?
Joël Blanchard : On pense naturellement au Saint Louis de Jacques Le Goff, aux Rythmes au Moyen Âge de Jean-Claude Schmitt, à La Trace et l’aura, Vies posthumes d’Ambroise de Milan (IVe-XVIe siècle) de Patrick Boucheron, à Hérétiques de R. I Moore.
Propos recueillis par YV
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