Qu’il est loin le temps ou les vins de Picpoul trouvaient leur principal débouché chez les vermouthiers de Marseillan et se destinaient à la confection du célèbre Noilly Pratt. Le cépage éponyme de l’appellation était alors prisé pour sa franche acidité qui en faisait un estimable vin de base payé à peu de frais.
Après avoir conquis l’appellation d’origine en 2013 et surtout le marché britannique, le picpoul de Pinet a définitivement tourné le dos au négoce, et sa production a cessé de se dévaloriser dans l’anonymat du vrac. Désormais, les flacons caractéristiques arborent fièrement la croix languedocienne et s’arrachent Outre-Manche. En France, sa cote de popularité n’a jamais été aussi bonne, au point de devenir la coqueluche des rayonnages de la grande distribution.
« Son terroir c’est la mer »
Le slogan marketing de l’Interprofession reflète une certaine vérité, étant donné qu’une partie des vignes côtoie l’environnement marin de l’étang de Thau à l’origine de l’identité paysagère et gastronomique des vins. En effet, la dégustation des grosses huîtres charnues de Bouzigues appelle immanquablement le picpoul tonique et pointu, toujours à son avantage pour fouetter l’iode du coquillage.
Il fut un temps ou Le Picpoul de Pinet connu la bonne fortune avec l’afflux touristique des années 60, aimanté par la création des grandes stations balnéaires (Grande Motte).Malheureusement une vieille loi de l’économie vinicole ne manque jamais de produire ses effets délétères sur les vignobles captifs d’un débouché touristique tourné vers une consommation estivale, peu regardante sur la qualité des vins. De cette période, le picpoul n’en ressort aucunement grandi et traîne encore l’image d’un gentil petit vin vif et neutre, passe-partout, et surtout bon marché. Rien de bon pour la valorisation de la production et la bonne rémunération des producteurs.
Cohésion du terroir et maitrise œnologique
L’atout de l’appellation réside surtout dans l’exiguïté de son terroir malgré la césure imposée par le passage de l’autoroute A9 il garde une physionomie résolument maritime. L’aire d’appellation est dédiée à un cépage qui n’a jamais prospéré ailleurs, hormis dans le Châteauneuf ou sa présence résiduelle est largement effacée par les lois de l’assemblage.
De fait, la nouvelle AOP appartient à cette précieuse catégorie de vignoble assurant la représentation quasi exclusive d’un cépage non dénué d’atouts aromatiques. Depuis ses 10 dernières années le picpoul s’est considérablement amendé et un fort tempérament salin associé à de franches maturités émerge de plus en plus dans le profil général des vins.
La maitrise d’une vinification réductrice parfaitement adaptée à l’expression du cépage, conjuguée à l’amélioration des techniques de pressurage assurent des jus frais et limpides, auxquels on ajoute quelque fois un peu de gaz carbonique pour préserver leur tonicité. Subsistent toutefois de grosses marges de progression, car le vignoble demeure largement mécanisé et les rendements gagneraient sans doute à être baissés pour aller chercher ce surcroît de profondeur aromatique.
De nouvelles ambitions déjà reconnues Outre-Manche
Le picpoul a gagné ses galons dans les grands concours internationaux de la revue Decanter notamment le Decanter World Wine Awards. À force de récompenses sur ces prestigieuses dégustations, il n’a pas tardé à se forger une enviable réputation de formidable valeur en matière de vin blanc sec à prix abordable et marche ainsi directement sur les brisées du muscadet.
L’un des grands spécialistes Andrew Jefford ne tarit pas d’éloges envers le picpoul, et pour lui d’évoquer la possibilité d’atteindre un idéal de perfection gustatif propre au spectre organoleptique du cépage. Derrière cette réflexion, transpire le flair tout britannique de savoir trouver une forme de grandeur hors des grandes appellations bourguignonnes ou ligériennes.
Reste au picpoul ce privilège de collectionner dans la revue anglaise des notes supérieures à 90 sur 100 sur des vins vendus pour la plupart à moins de 10€ ! Mais il ne s’agit pas de s’endormir sur ces premières consécrations ; la voie de l’excellence est celle d’une baisse des rendements, d’un abandon progressif de la machine à vendanger, du recours à l’élevage sur lies fines avec la multiplication des petites cuvées haut de gamme. Une tendance qui se renforce au sein des 4 coopératives, ultra dominantes au sein de l’appellation à l’instar de la cuvée Duc de Morny de la cave de L’Ormarine.
Si le succès s’est construit sur l’accessibilité tarifaire et le style attractif des vins, l’orientation vers l’expression aboutie du terroir se doit de monter en force pour sortir le Picpoul d’ un segment commercial hautement concurrentiel et dangereusement précaire.
Le domaine à connaître
Il ne faut pas s’y méprendre, si le vin sélectionné est issu du travail d’un domaine indépendant, le niveau de certains vins des coopératives se révèle souvent remarquable…
Le domaine Félines Jourdan s’étend sur les rives de l’étang de Thau d’où il n’est pas rare de voir quelques flamands roses côtoyer les vignes qui jouxtent le rivage. C’est une propriété charismatique de l’appellation, reconnue pour son aisance à façonner des picpouls racés et savoureux, toujours fidèles à une ligne pure et fraîche . Ils représentent d’excellentes valeurs pour tout amateur désireux de s’enquérir d’un vin de lieu très affirmé dans son identité. Toutefois au sein de la gamme, se démarque la petite cuvée parcellaire « Félines », particulièrement aiguisée et faisant montre d’une ampleur aromatique peu commune. L’élevage sur lies fines pendant une durée de six mois pousse le piquepoul sur un terrain fermentaire, apte à transcender dans le cadre d’une grande longueur aromatique, un fruit aux évocations de pêche mûre.
Raphno
Crédit photos : DR
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