Un an et demi après avoir quitté la présidence du Sinn Féin, Gerry Adams, ému, a annoncé lors d’une réunion récente de son parti, le Sinn Féin, qu’il ne se représenterait pas à la députation au Parlement irlandais (dont les élections vont se tenir début février).
« Tout au long de mes neuf années à Louth, je me suis efforcé de garder une orientation nationale tout en assurant une représentation locale. Cela incluait le développement d’alternatives au Brexit, l’avancement de la cause nationale, la coopération avec les comtés frontaliers voisins et la campagne pour des projets comme le pont Narrow Water qui, pas plus tard que la semaine dernière, nous a permis de conclure l’accord « Nouvelle décennie, nouvelle approche », qui a permis le rétablissement du gouvernement de partage du pouvoir à Stormont.» a-t-il déclaré dans sa dernière allocution.
Il signe ainsi la fin de sa carrière politique, une carrière qui a débuté dans un pays en pleine guerre civile, dans les années 70. Une carrière politique qui a débuté en forme de révolte presque naturelle pour celui qui, né le 6 octobre 1948 dans Falls Road, quartier catholique et républicain de Belfast, a grandi et vécu chaque instant des Troubles qui ont tué 3 600 personnes et marqué au sang plusieurs générations, générations dont les cicatrices ne sont toujours pas refermées aujourd’hui.
Après la mort de Martin McGuinness, ancien chef de l’IRA, ainsi que celle de Ian Paisley ancien leader des loyalistes, c’est un autre personnage politique majeur de la vie politique en Irlande du Nord et en Irlande qui, si il n’est pas encore décédé celui là, se retire de la vie politique.
Gerry Adams, une vie et une ambition au service de l’Irlande libre
Au début des années 1970, lorsque le nom de Gerry Adams a commencé à être un peu plus connu dans les rues de Belfast en tant que jeune militant pour les droits civiques puis du Sinn Féin, sa « carrière » semblait être toute tracée, comme chaque bon militant républicain en Irlande du Nord à l’époque : une longue peine de prison ou la mort, par assassinat.
Il a connu la prison, 3 ans, dans l’horrible Long Kesh, aux côtés de Bobby Sands, tous deux internés sans jugement. Il est passé à deux doigts de la mort également. Le , lorsque plusieurs membres de l’organisation loyaliste UFF (Ulster Freedom Fighters) tirent près de 20 balles sur sa voiture, le blessant grièvement. Mais également 4 ans plus tard, en 1988, lorsque le militant loyaliste Michael Stone (lire son livre « None shall divide us ») abat trois personnes au cimetière républicain de Milltown, à West Belfast, en pleine cérémonie, confiant plus tard avoir visé, et manqué donc, Gerry Adams.
A l’époque, une carrière politique « institutionnelle » dans les Parlements britanniques et irlandais comme il a réalisé plus tard, n’était pas envisageable pour ce jeune militant sérieux, d’une grande intelligence, mais à l’espérance de vie limitée en pleine guerre civile et en étant si exposé.
Pas plus que le chemin qu’il allait emprunter pour faire avancer le mouvement républicain, lui, le petit fils d’un combattant de l’Irish Republican Brotherood (IRB).
Avec l’aide inestimable de Martin McGuinness, il a convaincu l’IRA provisoire non seulement à déposer les armes, mais aussi à s’auto démanteler, sans toutefois mettre fin à la partition de l’Irlande du Nord et de l’Irlande, ce que ne lui pardonneront jamais une partie des militants nationalistes en Irlande.
Député au Parlement d’Irlande du Nord puis d’Irlande, il a derrière lui une longue carrière politique et d’activisme militant, qu’il avait déjà commencé à réduire lorsqu’en 2018, il a annoncé son retrait de la présidence du Sinn Féin, parti qu’il a contribué à faire incontournable au Parlement d’Irlande du Nord (Stormont) mais également au Dáil Éireann, la chambre basse du parlement irlandais, au sein duquel le SF représente la troisième force politique de la République d’Irlande.
Même si ce dernier a toujours publiquement expliqué n’avoir aucune ambition en politique, ses 40 ans de règne presque sans partage à la tête du mouvement républicain ont fait de lui un pilier de la vie politique en Irlande (et l’objet de haines, de jalousies, de rancoeurs, y compris de la part de militants nationalistes irlandais le considérant comme un traitre).
Gerry Adams, héros pour les uns, traitre et ennemi pour les autres
Un règne contesté, y compris en interne, où de nombreux militants historiques lui reprochent de n’avoir jamais voulu « se salir les mains ». Un de ses proches (Brendan Hughes) ancien commandant de la brigade de Belast de l’IRA décédé depuis, dira même de Gerry Adams : « La base (de l’IRA) ne faisait pas confiance à Gerry et moi si. Il s’est servi de moi pour » améliorer » son propre statut. J’avais une confiance totale en lui. Je l’ai défendu tant de fois alors que je n’aurais pas dû. Je n’ai jamais cerné son ambition. Il était beaucoup trop rusé, c’est pourquoi il est là où il est aujourd’hui. Il était charismatique comme Michael Collins, mais au moins Mick Collins ne se contentait pas de donner des ordres, il tirait lui-même des coups de feu. Gerry ne l’a jamais fait, pas même dans les camps d’entraînement du Sud »
Gerry Adams a toujours réfuté avoir appartenu à l’IRA militaire, affirmant n’avoir été que le porte-parole de sa branche politique, le Sinn Féin. Bon nombre d’anciens officiers de l’IRA ont pourtant affirmé qu’il était membre du conseil militaire, mais la preuve n’a jamais été publiquement apportée. Adams a toutefois déclaré qu’il ne se » désolidariserait » jamais de l’organisation. Il l’a fait, une fois, après l’attentat d’Omagh, le 15 août 1998 qui tue 29 personnes. En le condamnant, il sauva sans doute l’accord du Good Friday qui venait d’être obtenu, quelques mois plus tôt.
Car il ne faut pas oublier que Gerry Adams fait partie de ceux qui ont obtenu le cessez-le-feu de l’IRA, qui a permis de mettre fin à la guerre civile, d’entrevoir les accords du Vendredi Saint, une décision qui a sans aucun doute sauvé de nombreuses vies, et qui constitue la plus grande réussite de l’ancien président du Sinn Fein.
Suzanne Breen, journaliste au Belfast Telegraph, écrit toutefois à son sujet : « Il est déchirant de constater que ce que nous avons maintenant – un exécutif de partage du pouvoir à Stormont – était déjà proposé dans l’accord de Sunningdale en 1974, et pourtant Adams et d’autres dirigeants de l’IRA l’ont rejeté. Dans les années qui ont suivi, 2 000 personnes sont mortes. Brendan Hughes restait éveillé la nuit, tourmenté par l’idée que tout cela n’avait servi à rien. Gerry Adams, en comparaison, semble être un homme tout à fait à l’aise avec sa conscience »
Il n’en demeure pas moins que ce natif de Belfast, âgé de 71 ans, a émergé de l’histoire mouvementée de l’Irlande du Nord pour devenir l’une des principales figures du républicanisme de l’île. Pour une partie de l’opinion publique, il restera à jamais salué comme un artisan de la paix, pour avoir conduit le mouvement républicain à abandonner sa longue et violente campagne en faveur des droits civiques. Pour d’autres, il sera toujours une figure de la haine qui a publiquement justifié les meurtres et les attentats perpétrés par l’Armée républicaine irlandaise (IRA).
« Qu’importe qu’on parle de moi en bien ou en mal, du moment qu’on parle de moi ». Héros pour les uns, ennemi juré ou traitre pour les autres, Gerry Adams ne laisse personne indifférent, ni en Irlande, ni en Europe. Il aura marqué l’histoire politique de la fin du 20ème siècle et du début du 21ème siècle sans toutefois parvenir politiquement à la réalisation de son rêve et du but ultime de son combat : l’unification de l’Irlande. Gageons que ses successeurs au sein de la vie politique, en Irlande comme en Irlande du Nord, y parviennent dans les années à venir, la démographie aidant…
YV
Pour découvrir la vie et le combat de Gerry Adams, en Français :
Plusieurs livres de G. Adams ont été traduits en Français, les voici ci-dessous
- Sur la route de Belfast : Carnets de prison
- Notre jour viendra
- Vers une paix durable
- Une voix pour la paix en Irlande du Nord
Crédit photo : DR
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