Neuf contes – qu’était-ce, pour Charles Perrault (1628-1703), au regard de toute une vie d’académicien et d’homme de cour ? Un simple délassement qu’il s’offrit alors qu’il avait déjà 69 ans ! Les Contes de ma mère l’Oye connurent en leur temps un succès de saison – qui dura à peine dix ans. Il fallut attendre la fin du XIXe siècle pour qu’ils reprennent vie : quelle mine inépuisable pour les éditeurs de littérature de jeunesse ! Voici un choix de contes, soit en « V.O. », soit en français moderne. Madame la Chouette vous propose ici une brève sélection d’éditions agréables à lire.
Charles Perrault (d’après), Cendrillon
« Elle dormait au grenier, sur une simple paillasse, tandis que ses sœurs étaient dans des chambres luxueuses et se prélassaient dans des lits moelleux. La pauvre fille souffrait tout avec patience et n’osait se plaindre à son père.
Lorsqu’elle avait fini son travail, elle allait se mettre au coin de la cheminée et s’asseyait dans les cendres, c’est pourquoi on s’était mis à l’appeler Cendrillon. »
Cette adaptation du conte de Perrault se présente sous la forme d’un livret (dont est extrait le passage cité), d’un carrousel de décors et de figurines en carton dessinés et conçus par Lucia Calfapietra : Cendrillon, le prince, la bonne fée – mais aussi le carrosse et les décors du château. Des ciseaux et un peu de colle suffiront donc à rejouer les plus belles scènes de la féerie.
Charles Perrault (d’après), Cendrillon, illustré par Lucia Calfapietra, Seuil Jeunesse, 2018, 15,50 € – Carrousel, livret et personnages en carton. Dès 5 ans
Charles Perrault, Le Petit Poucet
Le Petit Poucet et ses frères « heurtèrent à la porte, et une bonne femme vint leur ouvrir. Elle leur demanda ce qu’ils voulaient. Le petit Poucet lui dit qu’ils étaient de pauvres enfants qui s’étaient perdus dans la forêt, et qui demandaient à coucher par charité. Cette femme, les voyant tous si jolis, se mit à pleurer, et leur dit :
» Hélas ! mes pauvres enfants, où êtes-vous venus ? Savez-vous bien que c’est ici la maison d’un Ogre qui mange les petits enfants ?
– Hélas ! madame, lui répondit le petit Poucet, qui tremblait de toute sa force, aussi bien que ses frères, que ferons-nous ? Il est bien sûr que les loups de la forêt ne manqueront pas de nous manger cette nuit si vous ne voulez pas nous retirer chez vous, et cela étant, nous aimons mieux que ce soit Monsieur qui nous mange ; peut-être qu’il aura pitié de nous si vous voulez bien l’en prier. » Comme cela est élégamment demandé…
Les découpages d’Emmanuel Fornage, inspiré des techniques ancestrales des découpeurs du Pays d’En Haut, conviennent parfaitement au conte. Décidemment, le Petit Poucet inspire les créateurs de papiers découpés, puisque octobre 2015 avait aussi vu paraître chez Hélium Le très grand Petit Poucet, avec des décors et des découpes de Clémentine Sourdais.
Charles Perrault, Le Petit Poucet, illustré par Emmanuel Fornage, Circonflexe, 2015, 64 p., 22 € – Dès 5 ans
Contes de Perrault
Le Petit Chaperon rouge, Le Chat botté, Cendrillon, Les fées et La Belle au bois dormant : cet album propose cinq des contes les plus connus de la culture française classique. Ce qui en fait le charme, ce sont aussi les illustrations de Manon Iessel (1909-1985), une grande dame de l’illustration enfantine : on lui doit notamment de charmants portraits Art Déco des Petites Filles modèles ou des dessins de mode pour La Semaine de Suzette. Ici, elle nous fait entrer, d’un coup de pinceau magique et intemporel, dans le monde merveilleux de Perrault – fées, princesses, mère-grand, vous les avez croisées ou vous les croiserez dans les jardins de Versailles ou lors d’un joyeux bal costumé !
Contes de Perrault, illustrés par Manon Iessel, Editions du Triomphe, 2017, 64 p., 16,90 € – Imprimé en France – Dès 8 ans
Charles Perrault, La Barbe bleue
« Il était une fois un homme qui avait de belles maisons à la ville et à la campagne, de la vaisselle d’or et d’argent, des meubles en broderie, et des carrosses tout dorés ; mais par malheur cet homme avait la Barbe bleue : cela le rendait si laid et si terrible, qu’il n’était ni femme ni fille qui ne s’enfuît de devant lui.
Une de ses voisines, dame de qualité, avait deux filles parfaitement belles. Il lui en demanda une en mariage, et lui laissa le choix de celle qu’elle voudrait lui donner. Elles n’en voulaient point toutes deux, et se le renvoyaient l’une à l’autre, ne pouvant se résoudre à prendre un homme qui eût la barbe bleue. Ce qui les dégoûtait encore, c’est qu’il avait déjà épousé plusieurs femmes, et qu’on ne savait ce que ces femmes étaient devenues. »
Ce terrible conte, qui met en garde les petites demoiselles contre certains prédateurs, est illustré ici de papiers découpés aux couleurs si franches qu’elles en deviennent violentes – aussi violentes que le thème du conte. De plus, l’illustratrice a planté un décor des plus contemporains : belle voiture, villa de luxe, silhouettes à la mode – jusqu’aux frères appelés par sœur Anne qui déboulent enfin sur leurs motos. Un choix donc délibéré et assumé – on aime ou on déteste, mais cela ne laisse pas indifférent. Une fois n’est pas coutume, je vous présente donc un album qui me dérange – mais n’est-ce pas la force du conte de Barbe-bleue, ici en version intégrale, de nous faire frémir aujourd’hui encore ?
Charles Perrault, La Barbe bleue, illustrations de Sara, Le Genévrier, 2016, 56 p., 18 € – Dès 8 ans, une lecture à accompagner.
Charles Perrault, Peau d’Âne
« Il était une fois un Roi,
Le plus grand qui fût sur la Terre,
Aimable en Paix, terrible en Guerre »
La rime est simple, mais ô combien efficace ! Car ce Roi magnifique, éperdu de chagrin après la mort de sa chère épouse, sombre dans une bien funeste folie : il souhaite épouser la princesse sa fille.
« De mille chagrins l’âme pleine,
Elle alla trouver sa Marraine,
Loin, dans une grotte à l’écart
De Nacre et de Corail richement étoffée.
C’était une admirable Fée »
Robe couleur du temps, robe couleur de Lune, robe solaire – jusqu’à la peau de l’âne aux crottins d’or, rien n’y fait. La suite est connue : cachée sous la peau, la princesse se fait souillon ; un Prince charmant la découvre et, par divers stratagèmes, dont celui de l’anneau caché dans un « friand morceau », finit par l’épouser, sous le regard attendri du Roi Papa, « purifié [des] feux / Dont son âme était embrasée ».
Voici un album qui déroutera quelque peu, mais qui est d’une rare intelligence : l’éditeur a fait le pari de reprendre le texte intégral de Peau d’Âne, celui de 1694, juste remis en français moderne – du XIXe siècle. Une manière de prendre des distances avec ce conte fondateur, venu du fond des âges. Car, comme le rappelle Perrault,
« il est des temps et des lieux
Où le grave et le sérieux
Ne valent pas d’agréables sornettes ».
Charles Perrault, Peau d’Âne, illustrations de Jean Claverie, Albin Michel Jeunesse, 2012, 48 p., 11,99 € – Dès 10 ans
Charles Perrault, Les Contes de ma mère l’Oie
« Peau d’Âne », « La belle au bois dormant », « Le Petit Chaperon rouge », vous allez me dire que cela se trouve à tous les coins de rue pour trois francs six sous… Bien sûr, mais souvent remaniés, simplifiés, voire pervertis…Alors, pourquoi ne pas revenir au texte originel ? Pourquoi ne pas offrir une belle édition, qui restera dans la bibliothèque familiale ?
Les contes merveilleux réunis par Charles Perrault « peuvent nous apparaître durs et violents, […]. Mais, le bénéfice éducatif de ces histoires courtes ou longues n’a d’égal que la beauté du style, sa précision et son efficacité, son pouvoir évocateur et son rêve », rappelle l’éditeur dans la préface de ce volume.
Derrière une couverture « bleu de France » dorée à point, vous découvrirez un très bel ouvrage : du papier ivoire épais, une typographie élégante, et même un petit ruban pour ne pas perdre sa page. Quant aux illustrations, elles sont dues à l’artiste irlandais Harry Clarke (1889-1931), qui sut faire la jonction entre le mouvement Arts and Crafts, l’Art Nouveau et le renouveau celtique. Qui mieux qu’un Irlandais pouvait converser avec le mystérieux monde de féerie ?
Charles Perrault, Les Contes de ma mère l’Oie, illustrations de Harry Clarke, Editions Courtes et Longues, 2012, 160 p., 29,90 € – Dès 10 ans