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Focus sur les sports traditionnels bretons

Les jeux de force que nous connaissons aujourd’hui en Bretagne sont en majorité issus des durs travaux agricoles manuels que l’on pratiquait autrefois dans les campagnes avant l’apparition du machinisme agricole. Vieille nation rurale et jalouse de ses libertés, les habitants de la Bretagne ont de tous temps pratiqué des sports athlétiques inspirés de la guerre et des travaux des champs. Ils devaient donner beaucoup de leur force pour effectuer certaines tâches et n’avaient que leurs bras, leurs jambes et leur souffle. Les jeux, qu’ils soient de force ou d’adresse, ont cependant toujours existé et passionné les peuples Celtes.

Ces jeux trouvaient ainsi leurs adeptes dans les campagnes bretonnes, dans les métiers ruraux où l’outil et la matière transformés devenaient les accessoires privilégiés. Les moissonneurs jetaient haut la botte de paille, les bûcherons levaient la perche, les charrons, l’essieu de charrette, les maréchaux, l’enclume, les meuniers se mesuraient à la course, une éculasse de 200 livres sur l’épaule, les carriers lançaient la lourde pierre, les cordiers tiraient la corde, comme les marins, etc.

Ces hommes extériorisaient leur besoin de jeu et de compétition au travers de joutes organisées lors de leurs moments de repos et lors des pardons. Ainsi sont nés des jeux et sports de force dont l’origine se perd dans la nuit des temps. Ils se sont perpétués jusqu’à nos jours, mais sévèrement concurrencés par les sports « officiels » qui seuls bénéficient de la faveur des médias. Ils sont progressivement devenus des sports de seconde zone, au point de n’être plus pratiqués que confidentiellement dans les hameaux et petites communes bretonnes.

Les sept disciplines des championnats.

La Fédération Nationale des Sports Athlétiques Bretons (FNSAB) a décidé de mettre en valeur ces jeux de force bretons lors de compétitions départementales et du championnat de Bretagne. Le championnat de Bretagne regroupe les six premiers de chaque championnat départemental. Ces challenges comportent sept disciplines. Pour être en conformité avec le principe de compétition, les règles de chaque jeu ont dû être fixées.

Le lancer du poids (Ar Maen Pouez).

Le lancer du poids est un sport très ancien, pratiqué déjà dans l’Antiquité. Ici, le poids est rectangulaire et pèse 20 kilos. Le concurrent doit le lancer le plus loin possible à la force d’un seul bras. Le jeu se déroule sur une aire de 2,13 mètres de diamètre. Les meilleurs concurrents de Bretagne lancent aujourd’hui à 6,50 mètres environ. Nul ne sait depuis quand ce jeu est pratiqué en Bretagne, mais il est bien connu que les hommes ont toujours aimé s’affronter dans des défis physiques. De là à se mesurer en lançant des galets, au plus loin, il n’y a qu’un pas. Dans les concours locaux, la pierre était souvent un galet de 15 à 20 kg, mais, dans les championnats c’est un poids de meunier de 20 kg qui est utilisé. Un arbitre vérifie la conformité du lancer et mesure le résultat du centre du cercle au point d’impact du poids de 20 kg. Chaque joueur se place dans l’aire de lancer. Il a droit à trois essais au total. Le lancer se fait d’une seule main et le lanceur utilise la technique qui lui semble la plus adéquate. Tous les résultats sont notés et le classement s’établit sur le meilleur lancer de chacun. Si le lanceur marche sur le bord du cercle ou s’il sort, l’essai est nul.

Le bâton de bouillie (Ar Vazh Yod).

Il est difficile de savoir de quelle époque date ce jeu. « Bazh Yod » signifie en langue bretonne « bâton de bouillie », c’est à dire la pièce qui servait à remuer la bouillie d’avoine très utilisée pour les repas en Bretagne. Ce jeu de lutte symbolique est issu des querelles que l’on pouvait voir dans les familles ou même à l’église. Tout le monde voulait le bâton, qui signifie, de par sa fonction, le pouvoir. On peut voir des scènes très anciennes dépeintes dans les églises où un moine et un évêque luttent au bâton, mais aussi une femme et son mari, un bourgeois et un noble… Après que les concurrents se soient inscrits, un tirage au sort est réalisé. Les joueurs sont appelés deux par deux pour une élimination directe. Ils s’assoient l’un en face de l’autre, de chaque côté d’une planche en bois, puis ils placent leurs pieds contre cette planche et saisissent un bâton que l’arbitre leur tend. Un joueur a les mains au milieu du bâton, l’autre aux extrémités. C’est l’arbitre qui donne le départ et qui désigne le vainqueur de la manche. A la deuxième manche, les joueurs inversent leur position de mains. S’il y a match nul, la position des mains est tirée au sort pour la troisième manche. Le jeu consiste à arracher un bâton des mains d’un adversaire, en position assise, ou encore de tirer cet adversaire à soi en le soulevant. C’est un jeu d’opposition. La partie se déroule en deux manches et les compétitions se déroulent selon trois catégories de poids : moins de 80 kilos, moins de 100 kilos, plus de 100 kilos. La planche mesure environ 1.80 m à 2 m de long pour 20 cm de large et 3 à 4 cm d’épaisseur. Elle est posée sur son tranchant et est bloquée dans cette position par des piquets fichés en hêtre ou par des renforts fixés sur la planche (bitume, salle). Le bâton mesure 50-60 cm de long 3.5 à 4 cm de diamètre.

Lever de l’essieu (An Ahel Karr).

Le jeu consiste à lever un essieu de charrette au poids fixe de 47,5 kilos au-dessus de la tête, bras et jambes tendus. Le concurrent doit ensuite faire des flexions avec ses bras, le maximum de fois possibles en 3 minutes. Les meilleurs réalisent en moyenne une quarantaine de levées (environ 1,8 tonnes). Le jeu se pratique en individuel. Des essieux de plusieurs poids peuvent être utilisés selon le niveau. De même il existe deux manières de lever l’essieu, à deux bras et avec un seul. A deux bras, l’essieu est présenté sur deux rondins de bois de même épaisseur, d’environ 30 à 40 cm de hauteur. Le joueur se présente devant l’essieu et saisit son axe où bon lui semble. Un arbitre dirige et chronomètre l’exercice. Dès que celui-ci est prêt, le joueur peut commencer à soulever l’essieu. A chaque essai il doit reposer la pièce sur les rondins. L’arbitre compte les essais à voix forte, signale le temps écoulé régulièrement, puis la fin de l’exercice au bout de trois minutes. Le score du joueur est alors noté.

Lancer de la gerbe de paille (Ar Voutelenn).

C’est encore une fois un jeu tout droit issu du milieu agricole et notamment du domaine des moissons, puisque les concurrents doivent ici lancer une gerbe de paille en hauteur à l’aide d’une fourche à deux dents. Le poids de la gerbe est fixé à 7,3 kilos et son lancer doit la faire passer au-dessus d’une barre horizontale. Le lancer est accepté même si la gerbe touche la barre. La hauteur est élevée à chaque lancer validé. Comme le lever de la perche, ce jeu était pratiqué par les paysans lors du ramassage du foin et de la paille. Pour rompre la monotonie des journées, pour oublier la fatigue, il n’était pas rare que les jeunes gens se lancent des défis pour jeter les plus grosses gerbes au dessus des charretées.

Les joueurs tirent au sort leur ordre de passage. Ils doivent passer une hauteur pour avoir le droit de continuer. Trois essais maximum sont autorisés. Lorsqu’un tour est terminé, l’arbitre fait monter la barre d’une hauteur supplémentaire, et ainsi de suite. A chaque essai, le joueur plante le bout des dents de sa fourche dans la gerbe, puis utilise une technique d’élan de son choix pour lancer la gerbe en hauteur. La fourche doit rester dans les mains du lanceur. Les meilleurs passent aujourd’hui de 9 m à 9,50 m suite à l’introduction de la technique irlandaise.

La fourche est, en général, à deux doigts pour retenir le moins possible la gerbe au moment du lancer. Le manche n’a pas de longueur arrêtée mais il est préférable que le bois ait une certaine souplesse.

Le portique est composé de deux mâts haubanés et fixés verticalement. La barre mesure 3.5 m et correspond à la largeur entre les mâts. Elle est tenue par des cordelettes servant aussi à la faire monter.

La gerbe est composée d’un sac de toile dans lequel est placée une botte de paille, le tout étant ficelé pour obtenir un volume réduit au maximum.

Lever de la perche (Gwernian Ar Berchenn).

Ce jeu de lancer de la perche se pratique de façon sportive depuis la fin du 19ème siècle en Bretagne. Auparavant, c’était surtout un jeu de défi entre des porteurs de bannières religieuses lors des processions. Autrefois la perche était levée en étant placée sur le côté du corps, puis vers les années 1970, les pratiquants commencèrent à placer la perche entre les jambes. La longue perche de bois fut alors remplacée par un fort tube d’acier. Les concurrents doivent donc lever une perche à la verticale et la maintenir comme telle sans la faire toucher le sol. Le poids de la perche d’acier varie selon les catégories de poids, de 20 à 25 kilos et mesure entre 5 et 6 mètres de longueur. Elle est en plus lestée d’un curseur à son extrémité. L’ancienne technique faisait que le vainqueur était le premier à terminer. La perche en bois était très longue et le premier concurrent à la lever gagnait le concours. Puis un bout était coupé régulièrement pour continuer. Aujourd’hui, c’est l’inverse qui est opéré, le curseur est d’abord proche du leveur, puis il est éloigné. Le joueur se place d’abord au delà d’une marque matérialisée sur la perche à un mètre puis il se saisit d’elle et la serre entre ses cuisses. C’est en laissant son corps aller en arrière que la perche se soulève progressivement, tout en la tenant fortement des mains. Une fois levée, le concurrent doit maintenir la perche en équilibre, à la verticale, pour montrer qu’il a maîtrisé son essai, sans s’aider des mains au-delà de la zone de saisie. Il n’y a pas de notions de temps, c’est l’arbitre qui détermine si l’essai est validé ou non. Les concurrents ont droit à trois tentatives par niveau. Puis, le curseur est avancé vers l’extrémité de la perche au fur et à mesure des essais réussis. Celui qui soulève le poids le plus important gagne.

La perche est un fort tube d’acier de 40-45 mm de diamètre extérieur, pesant 20-25 kg et mesurant 5-6 m de long selon les catégories de poids.

Un curseur de 9.4 à 11.4 kg est déplacé le long de la perche pour augmenter la difficulté (9.4 kg pour les moins de 80 kg, 10.4 kg pour les moins de 100 kg et 11.4 kg pour les concurrents de plus de 100 kg).

Relais des meuniers (Redadeg gant ur samm).

Cette épreuve est une course de relais par équipe de 6 personnes. Chacune effectue 120 mètres sur un parcours chargé d’obstacles, en sautant par-dessus des bottes de paille et chargée de 50 kilos sur les épaules. Dans les années 1950-1960, des courses étaient parfois organisées lors des battages, sans vainqueurs, juste pour se défier et peut-être aussi pour oublier la fatigue. Le jeu est organisé en équipe, comme au tirer à la corde. Comme deux équipes (ou plus) s’affrontent sur un relais, un arbitre donne le départ et des assistants chronomètrent et surveillent la course de chaque équipe. Au signal, les premiers coureurs placent le sac de 50 kg sur leur dos et démarrent. Ils doivent aller jusqu’à un piquet distant de 60 m et revenir au point de départ. Là, ils passent le sac à leur relais et ainsi de suite jusqu’à la fin. La course est rendue plus difficile par la mise au sol de 4 rangées de bottes de paille distantes entre de quelques mètres, et qu’il faut franchir en courant. Le but du jeu est de réaliser un parcours de 120 m. Deux ou plusieurs équipes sont en concurrence à chaque manche. Une finale détermine des vainqueurs.

Tir à la corde (Chech Fun).

Le tir à la corde est une épreuve par équipe. Les joueurs sont pieds nus et doivent obligatoirement tirer en position debout. Les équipes s’affrontent deux par deux. Une partie se gagne en deux manches gagnantes. S’il y a une belle, un tirage au sort est organisé pour décider du côté où se placent les équipes. Ensuite, l’équipe vainqueur rencontre une autre équipe vainqueur, et ainsi de suite, jusqu’à la finale. Avant chaque affrontement, la corde est étendue au sol. Cette corde possède en son milieu un repère bien visible. De chaque côté de ce repère central, deux témoins rouges sont passés dans l’encordage à 3,50 m du centre. Les deux équipes se placent alors de chaque côté selon la technique qui leur convient. Lorsque l’arbitre et les joueurs sont prêts, ceux-ci se saisissent de la corde et tirent légèrement pour la tendre. Dès que la corde est stabilisée, l’arbitre plante verticalement un long bâton à l’endroit où se trouve le centre et donne l’ordre de départ. Pour gagner, il faut tirer l’équipe adverse de façon à faire passer son témoin rouge devant le bâton de l’arbitre. Chaque équipe a droit à un  « heñcher » » (guide en langue bretonne), c’est-à-dire un entraîneur dont le rôle est de coordonner, de la voix, l’effort des six athlètes. L’arbitre annonce la fin d’une manche, par un coup de sifflet, et aussitôt désigne les vainqueurs. En championnat, il y a deux catégories : avec un poids total cumulé des joueurs : moins de 540 kg et au-dessus. Enfin, le terrain de jeu est en herbe, plat, et ne doit comporter aucun obstacle. La corde mesure environ 30 m  pour un diamètre de 4 cm à 4,5 cm.

Mael Le Cosquer (Revue War raok)

Crédit photos : DR
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