Saint Domingue était le fleuron de l’empire colonial de la France de Louis XVI. 32 000 planteurs blancs et 28 000 noirs et mulâtres libres régnaient sur 500 000 esclaves. En 1791, ceux-ci se sont soulevés et les planteurs affolés appelèrent les Anglais à la rescousse.
Toussaint Louverture, un affranchi noir devint le chef charismatique de la rébellion. En s’appuyant sur la convention qui le nomma général, puis gouverneur, il obtint la liberté pour les esclaves, chassa les Anglais et occupa la partie espagnole de l’île d’Hispaniola. Il entreprit une politique de réconciliation avec les Blancs, mais Napoléon Bonaparte n’eut pas la sagesse de traiter avec lui.
Le futur empereur envoya 20 000 soldats à Saint Domingue pour rétablir l’esclavage. Les troupes Françaises, décimées par les maladies tropicales furent battues militairement et durent capituler. Haïti devint alors indépendante. Elle fut en proie à l’anarchie et à d’incessantes guerres civiles tandis que 10 000 blancs restés après le départ des troupes Françaises étaient massacrés sur l’ordre du Président Dessalines. Néanmoins le pays était prospère, notamment grâce aux plantations de café et il signait des accords économiques équilibrés avec les États-Unis et l’Angleterre. La France de la Restauration échoua à imposer son protectorat, malgré l’envoi d’une escadre de 14 navires, mais obtint en 1823 après d’âpres négociations une indemnisation pour les planteurs dépossédés de leurs esclaves. La somme extorquée représentait 10 années de recettes fiscales du pays. Le Président haïtien Boyer qui avait signé l’accord dût créer un impôt spécial (très impopulaire) et solliciter un emprunt de 30 millions de Francs or à 6% d’intérêts auprès d’une banque Française. Ce dernier n’a été totalement remboursé qu’en 1972 ! En 1838, Haïti a obtenu une réduction de l’indemnité à 90 millions de Francs Or.
Notre pays a donc rançonné une république pauvre et il s’honorerait en remboursant cette dette. Tout le problème est de déterminer le montant qu’il devrait restituer. L’ancien Président Haïtien Aristide exigeait 27,2 milliards d’euros. Le CRAN (conseil représentatif des associations noires) a, en 2013, assigné à ce sujet la caisse des dépôts et consignations, l’organisme financier par lequel les fonds versés par Haïti ont transité en réclamant 12 milliards d’euros d’indemnités.
90 millions de Francs or de 1838 (dont la parité avec le métal était fixe) correspondaient à 29,2 tonnes d’or, soit en 2019 à 1,29 milliards d’euros. En première analyse on peut considérer que le pouvoir d’achat de l’or est resté fixe en 180 ans, mais ce moyen de calcul reste approximatif. Si on se base sur le salaire moyen, l’indemnité payée par Haïti équivalait à la rémunération annuelle de 400 000 ouvriers sous la Restauration. 400 000 smigs de 2019 correspondent à 11, 9 milliards d’euros (le montant proposé par le CRAN). On peut aussi considérer, ce que je trouve plus satisfaisant, qu’Haïti a prêté en 1838 90 millions d’anciens francs à la France, à un taux d’intérêt égal à celui consenti à ce pays (6 %) Paris devrait alors rembourser en 2019 un peu moins de 5 milliards d’euros. Faudrait-il y ajouter d’éventuels dommages et intérêts ? La dette d’Haïti est-elle la cause du sous-développement dramatique de la première République noire au monde, alors que juste après l’indépendance, le pays était riche et semblait bien parti ? Que la France ait extorqué 10 années des recettes fiscales d’Haïti peut choquer, mais il faut savoir que le pays n’avait pas une économie monétaire très développée.
Beaucoup de contribuables haïtiens payaient à cette époque leur impôts grâce à la corvée et au travail gratuit dans les plantations de l’état. Il reste néanmoins que l’effort fiscal demandé à Haïti était démesuré surtout qu’en 1823 le pays était déjà ruiné par l’incurie de ses dirigeants. Cependant, même si le prêt contracté pour dédommager la France n’a été remboursé qu’en 1972, en 1880 le reliquat de l’emprunt contracté pour payer la France ne représentait que 3% du total des dettes d’Haïti. L’impact de l’indemnité s’était donc estompé en une trentaine d’années. Or en 1860 la partie Espagnole de l’île d’Hispaniola était dans une situation bien plus désespérée qu’Haïti, au point qu’elle a demandé à réintégrer l’empire colonial espagnol, seul cas au monde d’une colonie abdiquant volontairement son indépendance.
Or en 2019 le PIB de la République dominicaine est de 8900 $ par habitant contre 1900 $ en Haïti. La France a également accordé depuis la fin de la seconde guerre mondiale une aide économique à Haïti, qu’il est difficile de chiffrer, mais qui a connu des pics lors des tremblements de terre et des épidémies.
Au doigt mouillé, on peut estimer cette aide à 3 milliards d’euros. Pour finir un remboursement par la France d’environ 2 milliards d’euros à Haïti permettrait sans doute de clore honorablement ce chapitre douloureux de notre histoire.
Christian de Moliner
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