Avec sa fuite du Japon, où il était en résidence surveillée dans l’attente de son procès pour utilisation des fonds de l’entreprise à des fins personnelles, Carlos Ghosn est revenu au premier plan de l’actualité. Il faut dire qu’en ce moment il n’y a pas grand monde pour prendre la défense de l’ancien patron de Renault Nissan. Deux Bretons s’y risquent : son avocat, Jean-Yves Le Borgne, et l’ancien PDG d’Elf Aquitaine et de la SNCF, Loïk Le Floch-Prigent.
« Un gestionnaire hors pair, un virtuose »
La solidarité entre gens exerçant la même profession demeure une réalité solide. C’est particulièrement vrai chez les PDG – en activité ou anciens. Loïk Le Floch-Prigent nous en fournit une illustration indiscutable au moyen d’un article sans nuances dans lequel il prend la défense de Carlos Ghosn, l’ancien patron de Renault Nissan ; Le Breton vient au secours du Libanais. Loïk Le Floch-Prigent se comporte en avocat inconditionnel d’un homme dont on peut louer les qualités professionnelles mais dont les comportements indéfendables ne doivent pas être perdus de vue. Sinon cela reviendrait à reconnaître aux « puissants » le droit de tout faire. Loïk Le Floch-Prigent sait de quoi il parle lorsqu’il écrit : « Quand vous êtes à terre, tout le monde vous lâche. Surtout quand vous ne faites pas partie de l’establishment, ce qui est son cas ». Mais « il a flambé, étalé son pognon ». Qu’importe, Le Floch voit l’important ailleurs : « Pour moi, Carlos Ghosn est d’abord un industriel ». Ingénieur des Mines, ce dernier commence par redresser la filiale américaine de Michelin qui « prend l’eau ». En 1996, nommé directeur général adjoint de Renault, « il sera l’artisan essentiel du retour aux bénéfices ». En 1999, « Nissan est quasi en faillite. Carlos Ghosn se dit prêt à relever le gant. Le voilà à la tête d’une entreprise avec 20 milliards de dettes et des pertes abyssales. En 2004, c’est une des firmes automobiles les plus rentables ! »
Mais ce n’est qu’une première étape dans la carrière de Carlos Ghosn. « En 2005, Renault va mal. Appelé au secours, il accepte le défi mais exige de rester aussi chez Nissan. Malgré la crise de 2008, qui va fragiliser le secteur, le redressement est spectaculaire. Obama lui demande même de venir diriger un des géants automobiles américains. »
Mais tout s’arrête le 19 novembre 2018 lorsqu’il est arrêté à sa descente d’avion à Tokyo. « Ceux qui le vénéraient se terrent, ceux qui ne l’ont jamais aimé jubilent. Il a cru, à tort, que ses performances le mettaient à l’abri. » Le Floch retient la seule chose qui compte à ses yeux : « C’est un gestionnaire hors pair, un virtuose ». Et « ceux qui se réjouissent ont tort, car il est difficile de remplacer un visionnaire qui a construit un géant mondial. » (L’Obs, 19 décembre 2019).
On pourrait faire remarquer à Le Floch qu’un « visionnaire » ne peut réussir qu’à la condition de bénéficier du concours de cadres sup, d’ingénieurs, de techniciens, d’ouvriers et d’employés capables de soutenir un projet industriel avec efficacité et esprit d’entreprise. Un PDG « virtuose » ne suffit pas, même si ça compte pour beaucoup.
Plusieurs dizaines de millions de dollars de malversations ?
La presse s’est longuement étendue sur les dérapages financiers de Carlos Ghosn. En résumé, le parquet de Tokyo l’accuse de plusieurs dizaines de millions de dollars de malversations. En France, la justice s’intéresse également à ses exploits depuis que Renault ne voit plus en lui un patron providentiel. « En dix ans, Carlos Ghosn aurait largement puisé dans la filiale hollandaise de Renault RNBU – qu’il dirigeait – afin de financer quelques fantaisies personnelles. Environ 10,9 millions d’euros de « dépenses suspectes » sur une période de dix ans, entre 2008 et 2018, ont été recensées par le cabinet d’audit Mazars, à la demande du groupe, et remis le 4 juin aux membres de son conseil d’administration » (Le Canard Enchaîné, 12 juin 2019). Un exemple de ces fantaisies : pour son soixantième anniversaire organisé en 2014 au château de Versailles, il invite 160 convives, avec une armée de figurants (gardes, courtisans), de musiciens, de danseurs, feu d’artifice dans les jardins… Coût : 634 000 euros ; la facture est réglée par la filiale néerlandaise du groupe.
Des rapports névrotiques à l’argent
Dans son récent ouvrage Les Faux jetons (Fayard), Sophie Coignard consacre un chapitre à Carlos Ghosn ; elle y met en lumière « les rapports névrotiques de Carlos Ghosn à l’argent » et sa rémunération qu’il a réussi pendant longtemps à dissimuler. Mais les actionnaires finissent par contester cette situation à tel point que « ce vendredi 29 avril 2016, la rémunération de Carlos Ghosn ne recueille que 45,88% des suffrages » en assemblée générale. Mais ce vote est seulement consultatif…
En France, en 2015, Carlos Ghosn a gagné 764 fois le SMIC annuel, soit 7,25 millions d’euros pour un mi-temps (1,23 million d’euros de salaire fixe, 1,78 million de part variable et 4,18 millions en actions gratuites, valorisées avec une décote pour tenir compte de l’aléa boursier. En effet, Carlos Ghosn a aussi empoché en 2015, plus de 8 millions d’euros comme patron de Nissan. Un petit secret bien gardé tant que la législation japonaise n’exigeait pas de publier la rémunération des grands patrons. Mais désormais, au grand dam de Carlos Ghosn, ce chiffre est public. Ce dernier est président de Renault, président de Nissan, président de RNBV (holding hollandaise qui coiffe l’alliance entre les deux constructeurs automobiles, et sur laquelle Carlos Ghosn avait la haute main), mais également de Avtovaz, fabriquant de voitures de marque Lada ; premier constructeur automobile russe, il a été racheté par Renault en 2014. Pierre-Henri Leroy, patron de Proxinvest (cabinet de conseil aux investisseurs), a bien posé la bonne question au conseil d’administration : » Est-ce que Carlos Ghosn touche aussi une rémunération chez Avtovaz ? » Sans obtenir de réponse.
Un bonus caché
L’appétit de l’ancien patron de Renault-Nissan est sans limite. Avant l’assemblée générale de 2017, on apprenait que Carlos Ghosn envisageait de se verser un « bonus caché » ; il s’agissait de « rétrocéder 8% des gains issus de la synergie de l’Alliance à ses six principaux dirigeants, soit un gain potentiel de 80 millions d’euros. Comme il est difficile d’imaginer que le partage se fasse en six parts égales, il est raisonnable d’envisager que 15 à 20 millions sont destinés au seul PDG. Les sommes transiteraient par une société de services « Newco » créée pour l’occasion et détenue par une fondation hollandaise. »
Nous conseillons donc à Loïk Le Floch-Prigent de lire le chapitre 9 des Faux jetons ; il s’instruira quant aux méthodes de « Carlos le Magnifique » pour faire du fric. Avec la complicité des administrateurs : « Ils sont allés jusqu’à mitonner spécialement pour leur héros un régime qui lui permet de toucher son bonus même si ses résultats laissent à désirer » ; ce qui fut le cas en 2018. « Je veux rendre hommage à ce personnage qui me semble à la fois taillé dans le granit et porteur d’une grande fragilité », affirme un Le Floch qui pratique l’aveuglement dès qu’on a affaire à un « industriel ».
Bernard Morvan
Crédit photo : Thesupermat/Wikimedia (cc)
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