Pourquoi il faut lire Dénoncer et bannir, l’obscurantisme progressiste de Gilles Freyer

Des États-Unis, il nous est souvent arrivé le meilleur et le pire, la cortisone et le beurre de cacahuète, Nina Simone et Miley Cyrus, le New England Journal of Medicine et la scientologie… Depuis quelques années, déferle d’outre-Atlantique en provenance des campus et de l’intelligentsia des grandes villes le politiquement correct le plus barré. Sacrée Amérique bipolaire qui élit Donald J. Trump et installe des toilettes pour transgenres !

La représentativité de ces courants est faible. Leur influence, énorme

Et comme le dit l’auteur du livre dont il est question ici : « Notre pauvre petit pays s’est habitué au rôle de suiveur, de voiture-balai du progressisme. Il se flatte donc d’adopter les travers du monde anglo-saxon, mais avec deux à trois décennies de retard ». Nation naguère très politique travaillée par la passion des idées, la France se caporalise depuis 3 ou 4 ans sous l’influence de groupuscules communautaristes qui patrouillent les réseaux sociaux : les identités malheureuses – islamistes, indigénistes, néo-féministes, homosexuels (pardon ! sexuel.les en novlangue inclusive !) aboient leur mal-être et criminalisent la majorité silencieuse sommée de rendre les armes en confessant ses « phobies ». En quelques semaines de cet automne 2019, on a ainsi vu au pays de Voltaire des Allahu Akbar ! vociférés en plein Paris par une manifestation d’islamistes, une philosophe professeur émérite à l’EHESS, Sylviane Agacinski, interdite de parole à l’université de Bordeaux après avoir été menacée de mort pour sa critique de la PMA, un professeur de Droit de Paris I aspergé d’urine en plein amphithéâtre pour avoir osé discuter de « Balance ton porc » …

La représentativité de ces courants est faible. Leur influence, énorme. L’université a toujours tremblé devant les gauchistes. Elle panique aujourd’hui devant les tenants du morcellement identitaire et des droits des minorités qui représentent dorénavant en France le camp du Bien. Dans ce nouvel « âge du Fier » comme disait le regretté Philippe Murray, paraît un livre qu’on n’hésitera pas à qualifier d’indispensable : Dénoncer et Bannir de Gilles Freyer aux éditions Jacques André. On reconnaîtra le clin d’œil au Surveiller et Punir de Michel Foucault, même si à notre sens le titre de l’introduction « La Fabrique du Salaud » aurait aussi très bien convenu à l’ouvrage tout entier.

Car Dénoncer et Bannir est à la fois le récit de la mésaventure personnelle arrivée cette année à ce cancérologue lyonnais, professeur de médecine et vice-doyen de la Faculté Lyon Sud et une analyse clinique du mal qui ronge le monde universitaire comme médiatique. Lors de son cours de sciences humaines en Première Année Commune des Éudes de Santé (PACES, l’ancienne première année de Médecine), le professeur Freyer a eu l’outrecuidance de cibler les vaches sacrées de la pensée politiquement correcte, pêle-mêle : l’euthanasie « horizon indépassable de notre temps » (dixit Sartre du marxisme), la construction purement sociale du genre féminin, la corruption quasi ontologique de l’industrie pharmaceutique et même – impensable tabou – l’inexistence, l’impossibilité des races humaines.

Les cours envisagent les différentes thèses, citent les auteurs les plus éclectiques, argumentent pro et contra… Qu’importe ! Une journaliste de Médiacités, une sorte de Médiapart local, s’est infiltrée dans l’amphi (ça c’est de l’investigation couillue, Coco !) et a enregistré les propos du Pr. Freyer pour en distiller des morceaux soigneusement choisis – c’est-à-dire avec toute la malveillance possible. Résultat imparable : les médias traditionnels reprennent avec l’indignation de rigueur les « propos nauséabonds » du médecin lyonnais, l’Association Nationale des Étudiants en Médecine de France (ANEMF), jamais à la traîne de sa grande sœur l’UNEF, se mobilise sur les réseaux sociaux. Quant aux étudiants qui osent affirmer leur soutien, aux confrères qui manifestent leur solidarité et leur ras-le-bol des cabales communautaristes, ils sont inaudibles. L’institution universitaire reste dans un attentisme apeuré entre la crainte d’avoir fermé les yeux sur une brebis galeuse et celle de ne pas paraître assez déférente envers les lobbies radicaux.

Une inspection de l’auteur, menacé de suspension de l’enseignement

Gilles Freyer raconte sa descente aux enfers médiatiques avec détachement et ironie. « Il m’a fallu attendre l’âge de 51 ans pour devenir un salaud. Et encore ne m’en étais-je absolument pas aperçu » commence l’auteur. C’est drôle, incisif même si on a envie de pleurer de rage devant la stupidité de la meute qui hurle au fasciste, à l’homophobe, au raciste sur le mode des « deux minutes de la haine » dans 1984 d’Orwell. Le ministre de l’Enseignement supérieur, Madame Frédérique Vidal, s’émeut et déclenche durant l’été une inspection. Qu’est-ce qu’un ministre de nos jours face aux « Associations » (dans le genre – ne riez pas ! ils existent : « Riposte Trans », « Collectif trans et non binaires » ou « Collectif étudiants anti-patriarcat », etc.), implacables Erynnies de la bien-pensance ? Gilles Freyer risquait rien moins que de se voir suspendre d’enseignement. En ces temps de pénurie médicale, on l’aurait tout de même laissé soigner les malades du cancer…

Fort heureusement, le rapport d’inspection rendu à la rentrée blanchit complètement le Professeur Freyer et démonte point par point les accusations lancées contre lui. Mieux encore, les deux universitaires qui examinent les cours de leur collègue n’y voient qu’une salutaire mise en œuvre de la pensée critique vivifiée par un style certes volontiers provocateur. La faute de Gilles Freyer : défendre ses opinions sans raser les murs au lieu de psalmodier pieusement la doxa du temps. Bref, il va au contact, diraient les militaires !

Son essai expose sous le scialytique les procédés des « totalitaires » comme il les appelle. En tête la reductio ad hitlerum ou « ad petainum » systématique : toute remise en cause de la pensée unique, par exemple de l’anti-racisme réflexe, renvoyant « aux heures sombres de notre histoire » ; ensuite l’embrouillamini volontaire, soit le « tout est dans tout et réciproquement » : déconstruire l’imposture néo-féministe ou indigéniste (vous savez ces Africains de France qui, carte d’électeur et carte Vitale bien en main, se fantasment en colonisés de l’intérieur) ne peut relever que du non-dit misogyne ou raciste ; dans le même registre, entretenir des liens avec l’industrie pharmaceutique en supervisant des études cliniques sur de nouvelles thérapeutiques du cancer, c’est nécessairement dissimuler des conflits d’intérêt ; enfin le manichéisme et la compétition morale : le camp du Bien revendique avec succès le monopole de la vertu ; l’euthanasie pour tous par exemple, plébiscitée par le panurgisme sondagier, fait figure d’ultime progrès social refusé bien sûr par des médecins réactionnaires, partisans attardés de la souffrance expiatoire judéo-chrétienne. Les opinions labellisées « progressistes » sont réputées universelles et altruistes par nature, les points de vue qui les contestent renvoyés à une prise de position personnelle et biaisée, déplorable, expulsée du débat public.

Mais Dénoncer et Bannir n’est pas un règlement de compte : « Je ne hurlerai pas contre les loups, de toute façon, au regard de leurs moyens je ne suis pas de taille. De leurs injures je ferai un cours ; de leurs anathèmes je fais un livre ». Gilles Freyer euphémise avec pudeur sa saison en enfer pour nous offrir une fringante relecture de quelques grands débats intellectuels contemporains. Et ça décoiffe !

Petit florilège. Non, les hommes préhistoriques n’ont pas volontairement sous-alimenté leurs femmes pour mieux les dominer en limitant leur croissance (!), selon la thèse farfelue mais très en vogue de la « socio-anthropologue » Priscille Touraille, qui excursionne dans la paléobiologie sans en avoir les compétences.

Oui, entre -200 000 et -30 000 l’espèce humaine actuelle, Sapiens, a cohabité avec d’autres hominidés, Néandertaliens, Erectus, Denisoviens… Et selon les aires géographiques s’est hybridée avec certains d’entre eux : en Europe, comme la révélé le séquençage du génome humain achevé en 2010, Sapiens a des gènes de Néandertal, en Asie d’Erectus et n’a donc pas hérité d’un patrimoine génétique homogène… Sur le même sujet ultra sensible des races humaines Gilles Freyer revient à Claude Lévi-Strauss dont il redresse la lecture : le père du structuralisme n’a pas établi comme le débite le catéchisme contemporain l’inexistence des races humaines, mais la primauté des facteurs ethno-culturels sur les déterminants proprement innés. Et surtout le grand anthropoloque n’hésite pas à affirmer dans Le Regard éloigné : « Il n’est nullement coupable de placer une manière de vivre et de penser au-dessus de toutes les autres, et d’éprouver peu d’attirance envers tels ou tels ». Utile rappel en effet…

Mais le professeur lyonnais ne cite pas que des études savantes. Il se paie aussi le luxe d’appeler à la rescousse des auteurs tout à fait mainstream comme Virginie Despentes, affirmant contre le puritanisme féministe qui diabolise la sexualité masculine, établit une continuité structurelle entre le séducteur et le violeur et criminalise le recours au sexe tarifé : « La décision politique qui consiste à victimiser les prostituées remplit aussi cette fonction : marquer le désir masculin, le confiner dans son ignominie.» (King Kong Théorie).

Il faut lire Gilles Freyer. Parce que son essai est jouissif et transgressif. Parce qu’il révèle avec talent une de ces mille petites histoires d’ostracisme et de censure qui façonnent la France d’aujourd’hui, sur les plateaux télé ou dans les amphis. Parce qu’il est surtout un vivifiant panorama de la dizaine de grands débats dont l’honnête homme du XXIe siècle doit avoir les clés pour ne pas s’en laisser conter.

Pierre-Jean Eymard

Dénoncer et Bannir ou l’obscurantisme progressiste – Gilles Freyer– Jacques André éditeur – (à commander ici)

Photo d’illustration : DR
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