« Un nouveau partage du monde est en train de se structurer », voila en résumé la trame de fond de l’intéressante interview de la géopolitologue Caroline Galactéros dans les colonnes du Figaro Vox le 9 novembre dernier. Quel rôle pour l’Europe désormais ?
Un monde qui se rééquilibre, une Europe en déroute
Docteur en sciences politiques et présidente du think tank Geopragma, Caroline Galactéros a également publié Vers un nouveau Yalta. Recueil de chroniques géopolitiques 2014-2019. S’il n’est pas question d’une redistribution brutale des cartes comme en 1945, force est de reconnaître que le monde a bougé depuis 1989. Et a connu une constante restructuration. Avec notamment l’épisode du 11 septembre 2001 comme jalon.
Tandis que l’utopie de la mondialisation heureuse a pris fin, Caroline Galactéros considère malgré tout que « le monde n’est pas du tout au bord du précipice. Il se rééquilibre autour de puissances qui assument leur souveraineté, définissent leurs ambitions et se donnent les moyens de les mettre en œuvre. »
Mais le cas européen ne l’incite guère à l’optimisme : « Ce sont nos utopies qui sont en déroute et c’est bien l’Europe qui tombe dans l’insignifiance stratégique (une forme de mort cérébrale) subitement privée de la béquille mentale que lui fournissaient le lien transatlantique et son alignement servile sur les injonctions américaines. » Pour Caroline Galactéros, « notre vieux continent est en pleine dépression post-traumatique non traitée. »
L’abandon américain et la poudrière moyenne-orientale
Pourquoi ce traumatisme ? « La figure paternelle américaine » nous a abandonné « sans états d’âmes » selon la géopolitologue, malgré la « servilité » de l’Europe qui « ne paie jamais vraiment ». Et d’approuver le président français : « Emmanuel Macron a bien raison de douter de l’applicabilité de l’article 5 du Traité de l’Alliance atlantique. »
Quant aux menaces que fait peser cet abandon américain, « le problème n’est pas de savoir si les États-Unis voleraient au secours d’un État européen attaqué par la Russie ou Chine. La Russie a vraiment d’autres chats à fouetter et la Chine « attaque » déjà l’Europe tous azimuts économiquement. »
De l’avis de Caroline Galactéros, le risque est à chercher du côté du Moyen-Orient. Où un scénario catastrophe pourrait vite se mettre en place « si jamais la Turquie venait à être prise à partie militairement par la Syrie en réponse à sa violation caractérisée de la souveraineté syrienne ». Hypothèse toutefois « peu probable » puisque Moscou veille sur la région.
La politique pro-islamiste de Washington
Quant à l’Iran, la géopolitologue indique qu’en cas de « provocation savante téléguidée par Washington », le poids russe viendrait, là encore, s’ajouter dans la balance. « Moscou, Téhéran et Ankara ont partie liée pour régler le sort de la Syrie au mieux de leurs intérêts respectifs et Washington comme Damas n’y peuvent plus rien », précise-t-elle.
Mais la Turquie joue sur deux tableaux, russe et américain : « Ce qui est certain, néanmoins, c’est que la Turquie n’agit à sa guise en Syrie qu’avec l’aval américain. Washington laisse faire ce membre du flanc sud de l’Alliance qui lui sert en Syrie de nouvel agent de sa politique pro-islamiste qui vise à empêcher Moscou de faire totalement la pluie et le beau temps dans le pays et la région. Ankara gêne aussi l’Iran. Bref, ce que fait Erdogan est tout bénéfice pour Washington. »
Partant de ce constat, la conclusion est sans appel pour Caroline Galactéros : « c’est bien l’Amérique qui dirige toujours et complètement l’OTAN. »
Avoir le courage de sortir de l’OTAN
Cette nouvelle donne, outre la désillusion occasionnée, ne serait-elle pas finalement un signe salvateur pour l’Europe ? « Nous restons extrêmement naïfs. Nous n’avons jamais eu voix au chapitre au sein de l’Alliance ». En conséquence de quoi, la géopolitologue préconise que les États européens doivent avoir aujourd’hui « le courage de sortir de l’OTAN », laquelle « ne correspond pas à la défense des intérêts sécuritaires de l’Europe ».
Si elle partage en partie les observations d’Emmanuel Macron sur le caractère désormais nuisible de l’organisation pour les intérêts européens, en revanche, Caroline Galactéros « ne croit pas du tout que L’OTAN soit en état de mort cérébrale. Il devient juste clair que ce qui pouvait, aux yeux de bien des atlantistes, justifier notre alignement silencieux et quasi inconditionnel a vécu. » Il est ainsi temps de « ne plus supporter ce chantage et de sortir de l’enfance stratégique. Nous en avons les moyens. Il ne manquait que la volonté. »
Quel avenir pour la diplomatie européenne ?
Sur la question de la politique étrangère commune pour les États membres de l’UE, Caroline Galactéros n’y croit pas. Mais elle donne toutefois une piste de réflexion souvent balayée trop hâtivement par les souverainistes : « Ce qui est possible, c’est de faire sauter un tabou ancien qui veut que l’affirmation de la souveraineté des nations européennes soit antinomique de la puissance collective ».
Pour trouver cette cohésion, il faut, selon la géopolitologue, « commencer par une véritable coopération industrielle à quelques-uns en matière de défense, sans attendre une unanimité introuvable. Il faut créer des synergies, faire certaines concessions et en exiger d’autres, et ne plus tolérer la moindre critique de Washington sur les contributions à une Alliance enlisée dans d’interminables et inefficaces opérations. »
Montée en puissance chinoise et positionnement russe
En ce qui concerne la montée en puissance de la Chine, « Pékin agit très exactement comme Washington et joue l’Europe en ordre dispersé » pour Caroline Galactéros. Une Chine qui profite donc des dissensions entre Washington et les Européens « au fur et à mesure que les pays européens prennent conscience qu’ils ne comptent plus pour l’Amérique ».
Dans le même temps, le dispositif otanien contre Moscou « empêche le rapprochement stratégique avec la Russie qui seule pourrait donner à l’Europe une nouvelle valeur ajoutée dans le duo-pôle et triumvirat Washington -Moscou-Pékin ». Russie que Caroline Galactéros juge « tout à fait fréquentable ».
C’est donc dans ce contexte qu’a actuellement lieu la « résurgence d’une politique de puissance et d’influence décomplexée. Or le commerce est l’instrument privilégié de ces relations. » Et la géopolitologue rappelle une évidence trop souvent oublie par les dirigeants français : « Ce qui compte dans l’établissement du rapport de force et dans la consolidation des rapprochements, ce sont les complémentarités économiques mais aussi culturelles et même civilisationnelles et surtout la fiabilité de la parole donnée et la crédibilité interne des dirigeants. »
AK
Crédit photo : DR (photo d’illustration)
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