Le Breton, langue des mères, langues des frères. Voici le titre de l’ouvrage de Marie-Thé Legendre, paru aux éditions Yoran Embanner.
L’auteure analyse la situation de la langue bretonne après guerre avec la répression dans les écoles et le « symbole » donné aux « récalcitrants ». Il s’avère que les femmes furent plus sensibles à l’insécurité linguistique et à la modernité (attrait de la ville francophone et réussite scolaire). Mais il y a eu des Bretons qui n’ont pas cédé à cette pression énorme, qui ont continué à parler et à transmettre leur langue.
Marie-Thérèse LeGendre a cherché à comprendre comment cela a été possible, face au rouleau compresseur de l’uniformisation linguistique de l’État français. Et elle est tombée… sur des femmes qui, quand elles n’ont pas lâché, ont permis de traverser la période la plus forte de la perte de la langue, les années 1950-1960, et de maintenir l’élan, une fois le raz-de-marée passé. Les deux premières générations parlent breton mais ne savent, pour la plupart, pas le lire. La dernière génération est scolarisée à Diwan.
Nous avons interrogé Madame Legendre sur son ouvrage :
Breizh-info.com : Avant de lire votre livre, je n’avais pas totalement compris votre démarche. Pourquoi avoir choisi l’analyse à travers le prisme du genre ?
Marie-Thé Legendre : Sans ignorer la part importante du changement économique, ni la responsabilité des politiques linguistiques dans tout changement de langue, cette enquête familiale en Bretagne, cherche à voir la différence de comportement entre les hommes et les femmes. Jusqu’à maintenant ce paramètre a très peu été utilisé pour ce sujet et pourtant son apport est important.
C’est à partir d’une idée assez rependu dans les milieu bretonnant que commence cette enquête : les jeunes mères de 1950-1960 ont été rendues plus responsables que les pères de ne pas avoir voulu transmettre la langue bretonne à leurs enfants. Contrairement aux mères des générations précédentes, qui ne parlent que breton en famille, la nouvelle génération se serait extrait des ambitions de la société bretonne en apprenant le français à leurs enfants contre l’avis de leur mari ! La formule de « langue maternelle » semble les désigner, presque « génétiquement », mais si elles sont les principales ouvrières de l’apprentissage, sont-elles les seules à décider ?
Cette enquête prend le contre-pied et de l’abandon et de la responsabilité des femmes, en cherchant la place qu’elles ont eue quand il y a eu maintien du breton dans leurs familles.
Cette analyse qualitative suit le parcours de 5 familles bretonnes sur trois générations. Elles sont interviewées ensembles en famille sur leurs parcours linguistiques. Elles expriment leurs choix, leurs hésitations, leurs obligations et leurs revendications.
Puisque l’abandon du breton s’est fait en trois générations. Il était important de reprendre ce critère pour comprendre dans quelles conditions ont été ces 3 générations quand il y a eu maintien de la langue bretonne.
Breizh-info.com : Quelles sont vos principales conclusions en matière de transmission de la langue bretonne ?
Marie-Thé Legendre : Les voici :
– Les femmes sont plus sensibles aux idéologies transmises par leurs familles d’origine :
– La jeune fille ne va pas à l’encontre de l’idéologie de sa famille d’origine.
– La jeune fille choisi un futur mari qui parle la même langue que ce que défend sa famille d’origine.
– Le choix de la langue à transmettre se fait en commun accord entre l’homme la femme et se décide avant leur mariage.
– Ce sont les garçons qui sont porteurs de la langue maternelle :
– Les 5 familles encore bretonnantes aujourd’hui sont majoritairement masculines (24 garçons pour 11 filles)
– Dans les années 30, les garçons ont plus été punis à l’école que les filles et pourtant ils ont plus continué à parler breton dans les années 50.
– Les deux familles qui reconquièrent la langue dans les années 70 sont composées uniquement de garçons. (2 pour l’une et 5 pour l’autre)
– Passer au français, c’est plus facile si les garçons ne sont plus là !
– La famille qui devient monolingue français en 50 n’a qu’un seul garçon dans sa fratrie
– Plus la famille d’origine de la jeune fille sera nombreuse en garçons, plus la jeune fille aura de chance de choisir un locuteur bretonnant en se mariant et de maintenir sa nouvelle famille dans sa langue maternelle.
– Les familles qui sont encore bretonnantes en 2009 n’ont pas eu de parents morts à la guerre 14-18 (les hommes n’y ont pas participé ou en sont revenus)
Marie-Thé Legendre : Seule une analyse qualitative avec une véritable rencontre des familles, une véritable interview permettait de nommer, d’entendre le discours collectif, de voir les uns avec les autres pour trouver le sens profond du vécu.
Dès le début l’analyse en profondeur les entretiens ont fournis des éléments qui allaient dans le sens de ce que tous les sociolinguistes ont trouvé, à savoir que les femmes n’ont pas la même position que les hommes sur la langue maternelle.
Chaque individu est porteur d’une partie de sa société. Les comportements, les réflexions d’un seul individu peuvent très bien être représentatifs de son groupe de référence. La sociologie qualitative de même que la littérature peuvent être porteuse d’itinéraires d’individus qui sont représentatifs de leur époque et de leur groupe social. Ainsi beaucoup de Bretons se sont reconnus dans la vie de la seule famille de Pierre Jakez Helias dont le livre a été vendu à 4 millions d’exemplaires et traduit en 18 langues, d’autres se reconnaîtront dans l’itinéraire de Jean Rohou. Le grand nombre de participants à une enquête quantitative n’apporte pas plus de sens que l’interview précis d’un individu.
Breizh-info.com : Le fait de n’avoir interrogé que des familles trégorroises ne biaise-t-il pas un peu l’étude ?
Marie-Thé Legendre : Il fallait un territoire d’enquête identique qui regroupe les 5 familles pour que la religion, l’école ou le travail ait été vécu à peu près de la même manière. Les 5 familles interrogées sont toutes encore très proches du milieu agricole et sur un même territoire.
Le résultat de notre analyse sur un petit territoire, ne contredit pas les résultats des recherches internationales sur le sujet. Comme au vu des enquête internationale, localement l’analyse montre une plus grande proximité des hommes et de la langue maternelle. On peut donc en déduire que cela concerne aussi toutes les autres familles de Bretagne.
D’autres familles, dans d’autres cultures ont laissé les décisions des affaires linguistiques aux hommes et notamment à la partie masculine de la fratrie comme nous l’a raconté Françoise-Carmelle Orlando, d’origine italienne rencontrée à Saint Brieuc. Son exemple qui se passe assez loin de la Bretagne appuie le fait que des femmes dans les années 50, si elles sont considérées comme les pièces maîtresses de l’apprentissage de la langue maternelle, ne font pas seules le choix de la langue à transmettre.
Propos recueillis par YV
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