D’abord à Bologne puis à Modène, puis dans toute l’Italie jusque dans les communautés italiennes outre-Atlantique à New-York. C’est la brève mais déjà bruyante histoire des « sardines », le mouvement de protestation anti-Salvini qui s’est donné pour objectif d’enrayer la monté du centre-droit lors des prochaines élections régionales qui ont lieu fin janvier en Emilie-Romagne, bastion du PD et théâtre d’un scandale de trafic d’enfants. Mouvement qui se dit démocratique et spontané, mais qui n’est en réalité ni l’un, ni l’autre.
« Aucune insulte, aucun symbole, aucun parti », explique l’une des premières têtes du mouvement des sardines, Mattia Santori, 32 ans, diplômé de sciences politiques et collaborateur pour une revue liée à Romano Prodi (homme politique de gauche qui a été deux fois Premier ministre et qui, après être passé dans divers partis de centre-gauche, a fini au PD).
D’où vient le mouvement des sardines ?
Comme l’explique Mattia Santoni, l’idée est née au cours d’une nuit d’insomnie avec trois amis : Roberto Morotti, ingénieur de 31 ans, Giulia Trappoloni, physiothérapeute de 30 ans et Andrea Garreffa, guide touristique de 30 ans.
Et de fait, comme nous l’explique le journal Panorama, Santori ne pouvait accepter que dans une Bologne bien ancrée à gauche, la Ligue de Salvini vienne faire sa campagne électorale avec la candidature de Lucia Borgonzoni en opposition au candidat du PD, Stefano Bonaccini. Pour un mouvement « démocratique » on repassera : l’idée est d’empêcher l’opposition de droite de faire campagne dans un bastion de gauche.
C’est de là que lui est venue l’idée de faire une sorte de contremanifestation anti-Salvini sous forme de flash mob, lors du rassemblement de la Ligue du 14 novembre. « Nous voulions être plus nombreux qu’eux, ne serait-ce que d’une seule personne. Le lendemain on s’est concerté et nous avons tout organisé très vite », se rappelle Santoni.
Pourquoi les « sardines » ?
Le nom de « sardines » naît de l’idée qu’ils s’imaginent tous serrés comme des sardines en boîte pour montrer que l’opinion anti-Ligue est forte en nombre mais aussi silencieuse. Sur le tract, on lisait : « Aucun drapeau, aucun parti, aucune insulte. Crée ta sardine et vient participer à la première révolution des poissons de l’histoire ».
Étant donné que la place Paladozza de Bologne, où se tenait la manifestation de la Ligue peut contenir 5 570 personnes, pour les 4 amis il suffisait qu’ils en mettent 6 000 pour dépasser leur rival. Ils font donc leur campagne via Facebook en écrivant, « 6 000 sardines contre Salvini », appelant les habitants de Bologne à accourir nombreux à la manifestation : « La place Paladozza a une capacité de 5 570 personnes. On ne peut pas aller au-delà pour des problèmes de sécurité mais surtout d’espace. Voilà, nous voulons donc monter un flash-mob : nous avons mesuré que sur la place Maggiore, on peut mettre jusqu’à 6 000 personnes ».
De Bologne à Modène
Ce donc 15 000 personnes qui se sont réunies le jeudi 14 novembre sur la place Maggiore armés de sardines en carton pour ce qui ne devait pas être une manifestation politique mais un événement de la société civile.
Les quatre jeunes ne se sont pas trouvés dépassés par le succès de leur « révolution des poissons » et ont rapidement organisé des évènements similaires dans d’autres villes. En effet, après Bologne, ils sont allés à Modène, où les anti-Salvini étaient 7 000, toujours dans le but d’empêcher la candidature de Lucia Borgonzoni. « Nous sommes plus un anticorps qu’un mouvement politique », a expliqué Mattia Santori. « La politique m’intéresse comme elle intéresse, je pense tous les gens qui viennent à la manifestation. Le problème c’est que la conscience politique s’était endormie. […] Nous disons simplement : “réapproprions-nous la politique”. Si ces places pleines ne se transforment pas en urnes pleines, il y a un problème de fond mais je ne m’en sentirai pas responsable ».
D’autres manifestations ont lieu dans toute l’Italie. Nicola Zingaretti, secrétaire du PD, applaudit l’initiative et place le mouvement sous l’aile du parti, Matteo Salvini, lui, rappelle que parmi les organisateurs, il y en a qui l’ont menacé de mort par le passé.
Mais qui sont donc vraiment ces « sardines » ?
Vous l’aurez compris, les sardines font semblant de cacher leur position politique mais leur objectif est très explicite. Mattia Santori explique : « Nous ne pensons pas poser notre candidature pour les régionales. Notre message est un message de soutien à la politique et il est adressé aux citoyens. C’est nous tous que nous pointons du doigt. Arrêtons de critiquer et de ne rien faire ». Les journaux progressistes ont encensé le mouvement, soulignant la nature officiellement « apolitique » d’un mouvement qui pourtant isole un bouc émissaire (Salvini) et fait donc de la politique.
Bien sûr, c’est une initiative politique, comme le souligne Il Giornale. C’est toute la mouvance de gauche qui tente de secouer les progressistes qui aujourd’hui comme jamais auparavant, craignent de perdre la « Région rouge » par excellence (Émilie-Romagne), le centre névralgique du PD. Ce qui en soi peut paraître assez légitime – chacun défend son bifteck – mais il faut beaucoup de culot pour aller affirmer que ce mouvement n’a rien à voir avec le PD.
Une source appartenant à la Ligue explique que « l’initiative n’est pas du tout aussi apolitique qu’elle ne voudrait le faire croire, elle naît de l’inspiration d’un assesseur communal ». Bien qu’il ne soit pas nommé, beaucoup suspectent Matteo Lepore, l’un des premiers à adhérer à la manifestation avec les parlementaires du PD Andrea De Maria et Luca Rizzo Nervo ainsi que le jeune leader du PD, Davide Di Noi et le secrétaire du PD de la ville de Bologne, Luigi Tosiani, etc. La gauche politique est un petit monde (de Don Camillo).
Sur les réseaux sociaux, les organisateurs du mouvement ne font pas un mystère de leurs affinités politico-idéologiques avec le PD. Dans un post du 7 septembre dernier, Mattia Santori, bien que non inscrit au parti, faisait l’éloge de Zingaretti (secrétaire du PD), égratignant au passage Salvini. Mais il loue aussi Romano Prodi et revendique le bon gouvernement du PD en Émilie-Romagne : « Je vous le dis maintenant que l’Émilie-Romagne est parmi les régions les mieux dirigées d’Europe, que Bologne est encore la patrie de l’intégration et de la culture. Je vous le dis maintenant : l’ennemi que nous avons en face est fort et riche, sans scrupule et surtout il joue de façon malhonnête ». Et cela ne concerne pas que Mattia Santori.
Le « mouvement des sardines » passe sous copyright
Avec le succès de leur mouvement, les leaders ont décidés d’enregistrer leur symbole à l’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle, comme le rapporte Il Primato Nazionale. Cependant, Mattia Santori précise que cela ne veut pas dire qu’il « naît un mouvement ou que nous devenons un parti ». Et pourtant, ce grand pas vers le copyright suscite quelques doutes quant aux intentions réelles de ce « mouvement spontané ».
Que voudraient-ils donc faire avec leur marque déposée ? Ouvrir une activité commerciale ? Personne pourtant ne tente de limiter le « mouvement qui part du bas » qui fait bouger la « société civile » et s’oppose au « climat de haine » propagé par la « barbarie populiste » comme le clame la presse mainstream quand elle parle du mouvement des sardines.
De notre correspondante en Italie, Hélène Lechat.
(à suivre…)
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