La retraite à plus de 80 ans pour les frères Morvan, chanteurs traditionnels les plus prestigieux de Bretagne ! Le 30 novembre dernier, Yvon (85 ans) et Henri (88 ans) ont eu droit à un pot de départ en mairie de Saint-Nicodème, village niché dans les Monts du Centre Bretagne, en présence de 260 de leurs amis et voisins.
Le député Marc Le Fur leur a remis à cette occasion la médaille de Commandeur des arts et lettres, la plus haute distinction culturelle possible.
Les deux chanteurs avaient annoncé un mois plus tôt, au fest-noz annuel de l’Union démocratique bretonne, qu’ils raccrochaient enfin les gants. Après une ultime prestation en voisins à la fête du Beurre de Saint-Herbot, non loin de la ferme familiale, ils mettent ainsi fin à une carrière exceptionnelle au service de la culture bretonne.
Deux athlètes du Kan-ha-Diskan, chant à danser a capella
Les deux personnages sont bien connus en Bretagne – leur portrait a même été tagué sur les murs de Morlaix et de Quimper par de jeunes fans urbains adeptes du Street art.
En dehors des 5 départements par contre, leur notoriété se limite à quelques spécialistes en ethnomusicologie. D’ailleurs, pas vraiment d’album à faire valoir et l’écoute d’un de leurs morceaux, même le plus fameux, Joli Coucou, peut décevoir hors contexte.
Car les chants des frères Morvan ne sont pas à consommer en se posant dans un canapé. Ils sont à vivre, en groupe, à danser dans un fest-noz endiablé. Eux-mêmes ont appris le métier auprès de leur mère Augustine et dans les fêtes villageoises qui accompagnaient les grands travaux des champs.
Alors, il s’agissait d’avoir une voix qui porte et le sens du rythme, pour faire danser en rond les moissonneurs qui avaient encore des jambes. Pour tous, il y avait quelque chose de très physique, de sportif. Pour chanter en continu sans micro et sans accompagnement d’un instrument, le chanteur (kaner) était relayé à la fin de chaque vers par un « contre-chanteur » (diskaner), le temps de reprendre son souffle. Appelés à s’assembler par un tralalaleno d’ouverture, les danseurs eux-mêmes participaient à cette course de relais, en tâchant de coller au rythme donné par les maîtres de cérémonie.
Les festoù-noz, bals folks modernes, ont sauvé l’art villageois du Kan-ha-Diskan
Cet art populaire aurait dû en toute logique péricliter à partir des années 50, avec la modernisation des campagnes. Il n’en a rien été.
Depuis le plateau de Botcol où s’accroche leur ferme, les Frères Morvan ont vu arriver les tracteurs et l’électricité (c’était en 1958 : ils avaient déjà passé la trentaine) ; ils ont vu aussi l’exode rural, la perte du breton dans les jeunes générations, l’endettement agricole et les prix trop bas. Mais en même temps, ils ont assisté aux tentatives d’empêcher l’effacement de leur monde.
C’est ainsi qu’en 1958, ils sont invités à animer leur premier fest-noz, à Saint-Servais, canton de Callac. Par la suite, ils seront de plus en plus demandés, jusqu’à plus d’une centaine de dates par an, toujours dans les limites du Duché, car il faut revenir s’occuper de leurs vaches le lendemain aux aurores.
L’invention du fest-noz, forme modernisée de la fête de village, leur a ainsi permis d’exercer leur talent, dans un autre contexte que la société rurale traditionnelle. Alors que les goûts musicaux sont souvent clivants et même sectaires, le fest-noz au contraire accueille tous les âges, toutes les classes sociales, toutes les sensibilités – sans ridiculiser, suspecter ou travestir la tradition, comme il est maintenant d’usage.
Le plus ancien fest-noz qui ait été filmé : Huelgoat, 1964
Ceux qui refusent les modes ne sont jamais démodés
Le groupe des Frères Morvan, 4 frères à leur apogée, a pu mener sa carrière à sa guise, mod kozh et sans concession. Leur micro-région de Haute-Cornouaille, la plus isolée de toute la péninsule, était le conservatoire naturel du folklore. Les 4 frères l’ont semé et ressemé autant qu’ils ont pu aux quatre coins de la Bretagne, se rendant disponibles pour des dizaines de milliers de danseurs. Ils n’ont pas fait fortune. Le Trésor de Botcol n’est pas de ceux qu’on garde pour soi seul.
Une casquette plate vissée sur le crâne, toujours vêtus d’une chemise à carreaux (le modèle est disponible pour les fans au Gamm Vert de leur chef-lieu de canton), avec un air fier mais aussi pleins d’humour, ils ont continué à chanter le répertoire de leur mère, sans y mettre leur grain de sel ni faire les originaux.
Leur plus grande fierté est d’avoir été paysans, d’avoir nourri leurs semblables : « Honnezh, n’eo ket ma micher [kananñ]. Ma micher ‘zo labourat an douar ».
Enora
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