Tariquet ! En trois décennies, les vins de cette propriété de Gascogne sont parvenus au faîte de leur notoriété, jusqu’à se confondre avec le nom d’un vignoble imaginaire. La consécration ultime pour un domaine qui a façonné son image à travers un habile marketing de terrain, notamment par la fourniture de la tonnellerie et autres accessoires estampillés, à l’attention des multiples bars et restaurants distributeurs de la marque.
Le patriarche Yves Grassa cultive savamment l’image familiale du domaine et aime resservir, à qui veut l’entendre, la tendre histoire des débuts. L’époque où sa mère glissait dans chaque commande d’armagnac, une bouteille de blanc sec qui allait transformer la modeste propriété de Gascogne en un poids lourd vinicole.
Une propriété familiale peut cacher un industriel du vin
C’est une vieille lubie très obsédante chez les mastodontes du vin, que de vouloir préserver dans leur communication l’esprit des origines familiales au sein d’entités à la concentration foncière, financière et humaine, pourtant en rupture complète avec les réalités d’une petite exploitation vinicole. Chez Gallo aussi on a le sens de la famille, le premier groupe mondial se décrit sous une angélique gestion familiale quelque peu en décalage avec les 960 millions de bouteilles vendues chaque année. En France le premier groupe vinicole Advini s’est construit sur les bases d’une activité familiale (Famille Jeanjean).
Certes la conduite du domaine se répartit entre les fils Grassa, mais pour le reste, il faut y voir une famille de plus de 100 personnes et 1 000 hectares de vignes en possession propre. De quoi écorner la carte postale de la petite propriété tapie dans le paysage collinaire du piémont pyrénéen, à laquelle se raccrochent les esprits embrumés par la propagande du marketing…
Succès commercial
L’extraordinaire ascension du Tariquet prend racine à la fin des années 80, quand les vins s’illustrent dans les concours internationaux, alors que les stars du showbiz, dont l’intempérant Eddie Barclay, s’entichent d’un blanc facile et léger délicieusement aromatique.
Dès lors, le domaine opère une mue culturelle radicale : passant d’une production prédominante d’armagnacs au débouché aléatoire, à une diversification massive vers des vins de pays redoutablement calibrés en prix et en goût. La soudaine popularité du domaine fait des émules et dans son sillage plusieurs épigones (Uby, Ménard, Plaimont, Chiroulet) tenteront de profiter de la manne ouverte par l’enthousiasme frénétique autour des petits vins de pays enjôleurs des Côtes de Gascogne. Leur pétulance aromatique est devenue depuis lors davantage l’affaire d’un savoir-faire œnologique plutôt que celle d’un terroir, pour des vins qui se perdent avec complaisance dans les effluves artificiels des levures de laboratoire.
Secrets de vinification
Le génie commercial d’Yves Grassa a éperonné la routine des bouilleurs des crus endormis par les vapeurs de l’alambic en donnant naissance à une nouvelle génération de vins blancs secs taillés pour conquérir le marché national et international.
Tout repose sur une parfaite maîtrise de la macération pelliculaire qui va extraire à l’envi les précurseurs d’arômes contenus dans les peaux de l’ugni blanc.
Grâce à cette martingale œnologique, le cépage au mutisme proverbial se découvre une surprenante éloquence aromatique, exacerbée de plus belle par les levures et le choix d’une température de fermentation modérée.
L’enjeu pour ce blanc frais et limpide réside ainsi dans la conservation des arômes primaires porteurs des enivrantes fragrances de pomelos et autres dérivés d’agrume…
À ce jeu Yves Grassa s’impose comme un novateur de premier plan en prenant le soin d’éviter toute oxydation intempestive durant la vinification. Le recours à l’acide ascorbique comme anti-oxydant en lieu et place du SO2, est l’une de ses précieuses contributions à la diminution des maux de tête des afficionados de feria.
Au final, cette fermentation réductrice appliquée sur les vieux cépages gersois (ugni blanc, colombard, gros manseng) accouche d’un modèle de vin attrape-mouche irrésistiblement charmeur.
Malgré tout, si les vins du Tariquet gagnent chaque année les suffrages des novices, ce dernier a dû faire face à la condescendance des professionnels et n’a jamais bénéficié d’un très grand crédit auprès de connaisseurs en recherche d’une expression aboutie du terroir.
La faute sans doute à cette remarquable maîtrise œnologique qui perd en authenticité et en caractère ce qu’elle garantit en matière de régularité et d’orientation aromatique. Et puis, difficile de rendre compte de l’âme d’un terroir sur une échelle de production avoisinant les 8 millions de cols…
Un modèle bien fragile
L’œuvre économique de la famille Grassa est indiscutable car le domaine du Tariquet a permis au vin de supplanter l’eau-de-vie dans la région du Gers. Un essor vinicole au développement fulgurant qui contient toutefois les germes d’une crise prochaine.
La principale menace découle du parti pris de base, responsable d’un déficit flagrant d’identité qui affecte le style général des vins de Gascogne. Au fond, celui-ci s’est positionné d’emblée comme un petit vin festif à l’accès tarifaire aisé, tout en misant beaucoup sur l’ensorcellement de ses senteurs. Mais à ce jeu du parfum, il est loin d’être le seul. Ses concurrents sont légion : qu’ils viennent d’Espagne Rias Baixas, du Portugal avec le vinho verde ou d’Italie et les blancs du Frioul, de Nouvelle-Zélande avec l’extravagant sauvignon kiwi, d’Afrique du Sud, etc. Sans compter les spécimens industriels avantagés par des prix et des profils aromatiques bien plus racoleurs.
L’histoire des crises vinicoles livre un enseignement capital que les domaines des Côtes de Gascogne seraient bien inspirés de méditer : toute prospérité bâtie sur le segment de l’entrée de gamme éloigne fatalement la personnalité des vins de ses origines et se destine à connaître le désaveu des marchés par l’émergence de nouveaux concurrents plus agressifs. L’antidote réside dans le vrai retour au terroir qui, par l’unicité d’expression et de caractère, immunise les vins contre les effets d’une distorsion de concurrence.
En Gascogne ils sont peu nombreux, seul l’empirique Dominique Andiran défend une ligne très originale avec des vins non consensuels, inclassables mais aussi indéboulonnables : à moins de 30 000 cols par an, il est plus facile d’extraire l’essence du terroir.
Raphno
Crédit photos : DR
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