La proportionnelle serait aux yeux de beaucoup le mode de scrutin le plus démocratique. Pour cette raison, la grande majorité des pays l’utilisent avec parfois des correctifs majoritaires et elle sera partiellement introduite en France pour les prochaines élections législatives.
Or en 2019, plusieurs pays ont été incapables de mettre en place un gouvernement stable après des élections au scrutin proportionnel. C’est le cas notamment en Espagne (où pourtant existe une prime majoritaire) et en Israël, deux pays où les électeurs ont dû revoter. En vain, puisque les rapports de forces entre les partis n’ont guère changé. Il en est de même en Belgique où les pourparlers s’enlisent. Le record précédent d’un an et demi avec un gouvernement démissionnaire sera peut-être battu outre-Quiévrain pendant cette législature. Dans d’autres pays (Suède, Danemark), des majorités se sont dégagées après d’intenses négociations, mais ces dernières ont eu lieu, après l’élection ; les contrats de gouvernement obtenus à l’arraché n’ont donc jamais été ratifiés par le peuple, ce qui présente à mon sens un grave déficit démocratique. On voit parfois des renversements d’alliances sans nouvelle élection ; c’est le cas de l’Italie, où deux gouvernements ayant le même Premier ministre, mais aux politiques diamétralement opposées, ont été successivement formés. Quoi que l’on pense de M. Salvini, ce tour de passe-passe parlementaire est problématique vis-à-vis de la démocratie.
En Allemagne où le scrutin est mixte (majoritaire et proportionnel), le Parti social-démocrate s’est « dévoué » pour former une coalition avec la CDU-CSU alors qu’il aurait préféré se « régénérer » par une cure d’opposition. S’il n’avait pas pris ses responsabilités, l’Allemagne aurait été ingouvernable, ce qu’elle sera peut-être lors de la prochaine législature. Mais le programme du gouvernement allemand reflète toute l’ambiguïté de la proportionnelle : les deux partis, qui avaient des philosophies totalement différentes se sont mis d’accord à minima. Il en résulte une politique mi-chèvre mi-chou qui ne résout rien à force d’être insipide. Aucune véritable réforme ne sera menée alors que la récession menace. L’Autriche a été entre 2007 et 2016 une victime de ces grandes coalitions forcées gauche-droite, vastes sables mouvants où les nations s’enlisent et qui ont à plusieurs reprises provoqué des explosions de colère populaire, car pour finir, en mariant la carpe et le lapin, on n’applique ni la politique de la droite ni celle de la gauche.
L’impuissance est souvent une conséquence de la proportionnelle. Certes le scrutin majoritaire ne garantit pas une majorité à coup sûr. Nous en avons deux exemples récents : le Canada où aucun parti n’a obtenu, lors des dernières élections, les 170 députés nécessaires pour gouverner sans partage ; la Grande-Bretagne où on doit revoter au bout de trois ans, la faible majorité tory s’étant effritée au fil des mois. Mais dans ces deux exemples, il s’agit d’élections majoritaires à un seul tour, où quatre partis dépassent chacun 10 % des voix. Cette disposition favorise l’émiettement des sièges surtout si, en outre, existent des formations régionalistes, hégémoniques dans une partie du pays (les séparatistes québécois au Canada et les nationalistes écossais au Royaume-Uni). Néanmoins, en observant toutes les élections qui se sont déroulées dans le monde depuis 1800, le pourcentage de parlements sans majorité est bien plus fort avec le scrutin proportionnel qu’avec le scrutin majoritaire.
Il faut distinguer deux points différents : former un gouvernement et mener une politique efficace. Pour éviter la situation fâcheuse de l’Espagne, d’Israël ou de la Belgique où aucun Premier ministre ne peut être investi, il existe des dispostifs constitutionnels simples. Par exemple, on peut décider que le leader de la formation ayant le plus de députés ou celui qui recueillera le plus grand nombre de suffrages de parlementaires occupera ce poste. On peut également nommer comme aux États-Unis ou dans la République de Weimar des gouvernements qui ne sont responsables que devant le Président, lui-même élu au suffrage majoritaire. Mais avec un Parlement morcelé, le véritable problème est l’absence de projet politique construit. Des lois sont certes adoptées, mais avec des majorités à géométrie variable, ce qui va à l’encontre du principe de bon gouvernement. À mes yeux rien ne vaut le scrutin majoritaire à deux tours pour dégager une majorité stable et mettre en place un gouvernement capable de mener des réformes indispensables. Ce mode de scrutin induit nécessairement des alliances, mais celles-ci ont lieu au grand jour avant les élections et non après. Le peuple choisit en toute connaissance de cause. Néanmoins, le laps de temps entre deux scrutins doit être peu important. Le délai de 5 ans existant en France me semble long, je préférais 4 ans. Les Romains dont la constitution était un modèle d’équilibre votaient, eux, tous les ans.
Christian de Moliner
Photo d’illustration : DR
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