Stéphane Le Doaré, maire de Pont-l’Abbé (LR), a décidé de s’attaquer à la mémoire bretonne, tout en prenant un gros risque à quelques mois des élections municipales en raison de l’agitation qui pourrait en découler dans sa commune.
Ce dernier va réunir le conseil municipal, le 3 décembre, pour débaptiser la rue Youenn Drezen, militant nationaliste breton qui a participé au renouveau culturel de la Bretagne au début du 20ème siècle, en raison de l’engagement dans la collaboration, au nom du nationalisme breton, pendant la Seconde guerre mondiale.
Youenn Drezen, un militant au service de la Bretagne
« Sur le fond, les activités journalistiques de Youenn Drezen pendant la Seconde Guerre Mondiale ont fait l’objet d’une enquête à la Libération, classée sans suite, notamment grâce au soutien du résistant René-Yves Creston et du directeur de l’Humanité Marcel Cachin. On peut ajouter qu’en 1979 lors de l’inauguration par Per Jakez Hélias en présence des élus et de représentants syndicaux communistes de la CGT personne ne trouvait rien à redire » expliquent les responsables du Parti Breton, qui s’étonnent de cette décision à venir.
Du côté des riverains, ils sont majoritairement opposés au changement de nom (40 sur 45 riverains opposés au changement de nom selon un riverain), essentiellement pour des raisons administratives que cela entraînerait, mais également, pour certains, en raison du personnage en lui même, important à Pont l’Abbé et dans la région. La rue pourrait devenir rue Arnaud Beltrame.
Youenn Drezen, journaliste et écrivain né à Pont-l’Abbé en 1899 s’est illustré pour son engagement en faveur de la langue bretonne. Son ouvrage le plus connu est sans doute « Itron Varia Garmez » (« Notre Dame Bigoudenn »). Un écrivain reconnu, rattrapé par les policiers de la mémoire à la fin du XXème siècle, pour quelques propos racistes, antisémites, anti-Français et anti-résistants, écrits en Breton, à diffusion limitée, et surtout, assez commun à l’époque et non représentatifs de l’ensemble de l’oeuvre de Drezen.
De Marcel Cachin qui le qualifia d’ « écrivain prolétarien » à Pêr-Jakez Hélias qui donna une préface à la traduction française d’Itron-Varia ar Garmez (Notre Dame des Bigoudens), le talent de Youenn Drezen a été unanimement salué de son vivant.
Un maire Les Républicains qui cède aux pressions des communistes
En réalité, Stéphane Le Doaré (LR) qui ne connait sans doute rien de Youenn Drezen, a simplement cédé à la demande du petit-fils d’un dénommé Auguste Dupouy, écrivain dont les deux enfants résistants sont morts en déportation. Mais également aux pressions communistes. Daniel Quillivic, un enseignant retraité de Pont-l’Abbé, avait en effet relancé début 2015 la polémique dans les colonnes d’Ouest France : « le patronyme de cette rue constitue un outrage permanent à notre vivre ensemble ». Cela lui a valu le soutien immédiat des dissidents du PC du blog L’hermine rouge, un blog « franchement communiste du Finistère » et carrément nostalgique du stalinisme.
De son côté, le Parti Breton demande de la cohérence, tandis que sur les réseaux sociaux, des nationalistes bretons s’agitent et ont même appelé à saturer d’appels le standard de la mairie pour réclamer à M. Le Doaré qu’il revienne sur cette décision. Et le Parti Breton de souligner les contradictions du maire, qui ne voit rien de mal à ce que les rues Jules Ferry ou Voltaire soient maintenus en l’état.
« M. Le Doaré n’est pas historien, il est maire. À ce titre, il doit être juste et cohérent. Il est établi qu’un nombre très important d’hommes de lettres et de journalistes français de l’époque ont ouvertement collaboré, et beaucoup d’entre eux ont leur rue dans les communes de France. Qu’en pense-t-il ? Allons plus loin : à Pont-L’Abbé, pourquoi ne débaptise-t-il pas la rue Voltaire, écrivain raciste et antisémite et homme d’affaires esclavagiste ? S’il assume sa décision, il doit être cohérent jusqu’au bout.
Mais M. Le Doaré ne s’arrête pas aux écrivains. Pour justifier sa décision, il compare Youenn Drezen à Pierre Laval et Maurice Papon. Le premier est un ministre et président du conseil fusillé en 1945, le second un préfet et ministre reconnu coupable de complicité de Crime contre l’Humanité en 1998. Bigre ! Cette comparaison est-elle raisonnable ? Youenn Drezen n’était pas un homme politique mais un écrivain, et il n’a tué personne. Le Parti Breton rappelle que la déportation, le génocide et l’esclavage sont des Crimes contre l’Humanité reconnus par la Cour Pénale Internationale. Dans cette logique, en 2017, Emmanuel Macron a qualifié le colonialisme de Crime contre l’Humanité. Si M. Le Doaré veut dénoncer cela, nous lui proposons de débaptiser la rue Jules Ferry et la place Gambetta, du nom de deux hommes politiques colonialistes. Encore une fois, M. le maire doit être cohérent jusqu’au bout ! »
Gageons qu’il pourrait y avoir de l’agitation autour de Pont l’Abbé dans les prochaines semaines… agitation qui n’est jamais bonne pour un maire, à quelques mois des élections municipales et alors que jusqu’ici, depuis des décennies, personne ne s’était inquiété de la rue Youenn Drezen.
Photo d’illustration : DR
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