Le 28 novembre 2017, en voyage officiel au Burkina Faso, Emmanuel Macron déclara : « D’ici à cinq ans, je veux que les conditions soient réunies pour des restitutions temporaires ou définitives du patrimoine africain à l’Afrique ».
Le 17 novembre 2019, à Dakar, cette forte parole a connu un début de mise en pratique avec la remise officielle du « sabre d’el-Hadj Omar » au président sénégalais Macky Sall – d’ethnie toucouleur comme El-Hadj Omar –, par le Premier ministre français Édouard Philippe.
Or, cette première « restitution » restera dans les annales du confusionnisme idéologico-historique pour trois grandes raisons :
1) Cet objet « africain » est en réalité un sabre d’infanterie de l’armée française modèle 1821 forgé à Kligenthal, en Alsace. Ainsi donc, dans l’Afrique « authentique » et non encore « pillée » par la colonisation, l’on se battait déjà avec des armes fabriquées en Europe… Singulière permanence de l’histoire…
2) En faisant cette remise officielle, Édouard Philippe a certes honoré les autorités politiques du Sénégal, mais en même temps, il a humilié celles du Mali, pays qui fut dévasté par l’ancien possesseur de ce sabre.
3) En piétinant en toute ignorance l’histoire régionale et sa complexe alchimie ethno-confrérique, la France complique singulièrement la tâche de nos soldats de l’Opération Barkhane en butte à l’hostilité grandissante des populations maliennes. Sans parler de l’insolite message adressé aux populations concernées.
Un peu d’histoire est donc nécessaire
Omar Tall dit el-Hadj-Omar créa l’empire Toucouleur (ou Torodbe) sur les ruines des royaumes animistes de l’actuel Mali, dont ceux des Bambara. Les Toucouleur, branche métissée des Peul, se désignent sous le nom Haalpulaaren « ceux qui parlent le pulaar », la langue des Peul.
Omar Tall naquit vers 1796 dans la région de Podor, au Fouta Toro, dans l’actuel Sénégal, au sein d’une famille peul (fulbé) convertie à l’islam et membre de la confrérie kadiriya. Il adhéra ensuite à la confrérie tijaniya, sa grande rivale, qui avait une interprétation différente de l’islam, avant de partir pour vingt années de voyages qui le menèrent en Arabie et en Afrique du Nord.
De 1830 à 1838, il vécut dans l’empire peul de Sokoto où il se forma militairement. Revenu dans l’actuel Sénégal, il fut nommé grand calife de la confrérie tijaniya et il s’installa à Dinguiraye, près de Diourbel.
Vers 1852, il lança son jihad en s’attaquant aux peuples animistes de la vallée du Niger. La principale résistance à ce jihad fut le fait des Bambara des royaumes de Segou et du Kaarta dans l’actuel Mali qui avaient réussi à échapper au précédent jihad peul, celui de Seku Ahmadou. Étant demeurés animistes, ils allaient donc pouvoir être vendus comme esclaves, but économique abrité derrière le paravent de l’islamisation.
En 1856, El-Hadj Omar prit Nioro la capitale du Kaarta. En juillet 1857, il tenta d’enlever Médine, poste français très avancé situé sur le haut Sénégal, afin de s’ouvrir une voie vers le sud, mais, au grand soulagement des populations du bas-Sénégal, il fut défait par les troupes françaises commandées par le colonel Louis Faidherbe.
Il s’attaqua ensuite à Ségou, la principale cité bambara qui fut prise et pillée en 1861. Suivi d’une partie de son armée, le souverain bambara trouva refuge au Macina où régnait le chef peul Ahmadou-Ahmadou, le petit-fils de Seku Ahmadou. La rivalité religieuse confrérique (kadirya-tijanya) et économique, opposant les deux Haalpulaaren se transforma en guerre ouverte. El-Hadj Omar l’emporta et conquit le Macina. En 1862, Hamdallahi, la capitale d’Ahmadou-Ahmadou fut prise.
Tout l’actuel Mali n’était cependant pas conquis. C’est ainsi qu’à Tombouctou, ville contrôlée par le clan arabe des Kunta, et dont le chef, El Bekay, était un notable de la confrérie kadiriya rivale de la tijaniya, la résistance s’organisa. Craignant la conquête d’El-Hadj Omar, El Bekay avait ainsi soutenu les Bambara avant d’entrer lui-même en guerre. Ce fut d’ailleurs en le combattant qu’en 1864, El-Hadj Omar trouva la mort sur les plateaux de Bandiagara, en pays dogon.
Ceci fait que :
« Pour les Sénégalais, Umar et ses talibés (disciples-guerriers) furent des héros de la cause islamique, des croisés contre les infidèles. Les Maliens, quant à eux, perçoivent leurs ancêtres comme des défenseurs face à un envahisseur qui masquait ses visées impérialistes et sa cupidité sous le couvert de l’islam » (Robinson D., La guerre sainte d’al-Hadj Umar. Le Soudan occidental au milieu du XIXe siècle, Paris, 1988, page 317).
Résumé de la question :
1) À travers cette « restitution », la France a distingué la mémoire d’un conquérant « sénégalais » qui mit en coupe réglée les ancêtres de 90 % de la population de l’actuel Mali… et d’une partie de celle du Burkina Faso…
2) Aujourd’hui, les descendants maliens et burkinabe des victimes de ce conquérant subissent les attaques de jihadistes recrutant au sein de certains des groupes qui, jadis, lui fournirent ses guerriers…
La restitution du « sabre d’el-Hadj Omar » est donc un double « coup de maître » politique rendu possible par la totale ignorance de l’histoire régionale – y compris celle du non-dit de l’éclatement de la Fédération du Mali (Sénégal-Soudan) au mois d’août 1960 –, par ceux qui prétendent « gérer » la politique de la France en Afrique…[1].
L’on attend donc avec curiosité les prochaines « restitutions ». En « pole position » se trouve ainsi le Bénin où l’on suivra avec attention les « remises » d’objets ayant appartenu à ses souverains esclavagistes, ainsi que les réactions des descendants des peuples qu’ils capturèrent pour les vendre aux négriers européens…
Bernard Lugan
[1] Pour tout ce qui concerne ces évènements et la complexe histoire régionale et les guerres opposant ses populations, on se reportera à mon livre Les Guerres du Sahel des origines à nos jours publié aux éditions de l’Afrique Réelle.
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