Ceux qui limitent les frontières de l’humanité aux Homo sapiens contemporains peuvent se satisfaire d’une vision simple, assez proche, à certains égards, de l’enseignement biblique, sacralisant notre espèce aux dépens des autres. Ceux qui, par contre, constatent l’extrême parenté génétique qui nous unit aux chimpanzés et aux bonobos ne voient plus guère de raison de ne pas les faire entrer de plein droit dans le genre humain !
Dans cette perspective les récentes découvertes paléontologiques prennent un relief singulier. C’est vers l’Eurasie qu’elles nous invitent à tourner notre regard.
Un primate vieux de 11,6 millions d’années en Allemagne
En terre germanique, la mise à jour, dans les carrières d’Hammerschmiede, d’ossements appartenant à un primate vieux de 11,6 millions d’années fait remonter les origines de la bipédie 4 ou 5 millions d’années avant tout ce que l’on pensait. C’est un grand singe (ape en anglais), donc un hominidé comme l’orang-outan, le gorille, le chimpanzé, le bonobo et nous. Baptisé Danuvius guggenmosi, il pourrait être le premier à s’être dressé sur ses membres postérieurs, une posture qui, on le sait, définit aux yeux de beaucoup l’appartenance au genre humain. D’où l’enthousiasme suscité par la publication dans la célèbre revue Nature, de cette trouvaille par Madeleine Böhme, de l’université de Tübingen.
Plus à l’est, ce sont les dents de dragon qui font parler d’elles. On doit à l’anthropologue Gustav Von Koenigswald l’apport de ces vestiges à la science. Ayant eu le privilège de m’entretenir avec lui de ce sujet au soir de sa carrière scientifique, c’est toujours avec émotion que je me penche sur cette histoire. Ces dents de dragon, le chercheur les avait dénichées dans des pharmacies traditionnelles de Hong Kong. Il avait montré que certaines d’entre elles sont des dents fossiles de grands primates : les gigantopithèques.
Le statut de ces êtres restait ambigu, d’autant plus que certains voyaient dans les yétis les survivants de cette espèce mythique. Étudiant l’émail des dents de cet animal vieilles de 1,9 million d’années trouvées dans la grotte de Chuifeng en Chine, un chercheur de Copenhague, Frido Welker, est parvenu à en isoler des protéines et à démontrer ainsi que le grand singe en question s’apparentait à l’orang-outan, ce qui est assez logique pour une créature asiatique. Mais il a aussi, par comparaison des données moléculaires, montré que la lignée de ce primate s’était séparée de la nôtre voici 10 ou 12 millions d’années. Un résultat assez cohérent avec l’enseignement des fossiles. Et qui nous ramène à l’ancienneté de Danuvius guggenmosi…
Yves Christen
Crédit photo : DR
[cc] Breizh-info.com, 2019, dépêches libres de copie et de diffusion sous réserve de mention et de lien vers la source d’origine – V