Nos lecteurs français connaissent maintenant bien la Ligue de Matteo Salvini, mais aussi le Partito Democratico (PD) que nous avons présenté dernièrement. Il est donc temps de découvrir un autre parti qui prend de plus en plus d’ampleur comme on a pu le voir lors de élections régionales en Ombrie mais aussi lors de la manifestation de la droite du 19 octobre dernier. Il s’agit du parti Fratelli d’Italia (FDI) conduit par Giorgia Meloni.
Fratelli d’Italia (FDI) naît le 21 décembre 2012 à la suite de quelques dissensions au sein du PDL [Popolo Della Libertà, parti lancé par Berlusconi en 2008 et dissous en 2013 donnant ainsi naissance à l’actuel Forza Italia – NDLR]. En effet, certains représentants du parti critiquaient le gouvernement de Mario Monti [à l’époque indépendant centriste et qui rejoindra d’ailleurs Scelta Civica, du centre européiste et libéral, en 2013 – NDLR] appelé à former un gouvernement par Giorgio Napoletano (le président de l’époque) à la suite de la démission de Berlusconi.
Le nouveau gouvernement obtient la confiance du parlement, y compris du PDL. Seule la Ligue désapprouve ainsi que le petit parti de centre-gauche, L’Italia dei Valori, qui s’unira à la Ligue pour s’opposer à ce gouvernement. Giorgia Meloni ainsi que deux hauts représentants du parti, Guido Crosetto et Ignazio La Russa, décident de fonder Fratelli d’Italia afin de construire une alternative au sein même du centre-droit de Berlusconi qui s’éloignait progressivement du peuple.
Résolument à droite
FDI avait jusque là beaucoup de mal à s’imposer sur la scène politique notamment parce que la Ligue a pris une telle ampleur qu’elle a plu ou moins éclipsé les autres partis du centre-droit. Cependant Fratelli d’Italia a peu à peu su jouer sa propre partition et se différencier de ses alliés ou concurrents du centre-droit.
Tout d’abord, Fratelli d’Italia se place bien à droite sur la scène nationale et ce dès le début. En effet, à sa scission avec le PDL, FDI est principalement suivi par des anciens du Movimento Sociale Italiano (MSI), l’unique parti de droite de la Première République italienne qui, bien qu’il soit plus à droite que Berlusconi, avait fusionné avec le PDL ; le MSI avait été fondé en 1946 par d’anciens soutiens de Mussolini et s’est dissous en 1995, après avoir joué un rôle majeur, quoique marginal, dans la politique italienne pendant un demi-siècle. Du fait de l’Arco constituzionale (l’Arc, constitutionnel, des communistes à la démocratie chrétienne, l’équivalent italien du « cordon sanitaire » français), il est exclu de toute coalition gouvernementale de 1947 à 1994.
La Ligue, elle, naît comme mouvement sécessionniste dans le nord de l’Italie luttant pour l’indépendance de la Padanie (soit le bassin du Pô dans le nord de l’Italie – 40 % et la moitié du PIB italien) dans les années 90, idée abandonnée définitivement par Salvini qui transforme la Ligue en un parti national.
Malgré leur grande différence d’histoire et de parcours, sur le plan politique, les deux partis se rejoignent maintenant sur la scène politique et forment même une coalition dont l’unité a été largement renouvelée lors de la manifestation unitaire de la droite à Rome.
Et de fait, Andrea Carriero, analyste politique, nous explique que « peu de gens le savent, mais le fameux slogan de la Ligue, ‘Prima gli Italiani’ (les Italiens d’abord), vient en fait de Fratelli d’Italia, qui les premiers mettent en lumière, en 2012, cette lutte entre le peuple et les élites. Toutefois, grâce aux réseaux sociaux et aux médias, la Ligue réussit à transmettre le message à plus grande échelle et ainsi devient la première force du centre-droit ». Et il ajoute que « la Ligue traite les sujets de manière plus générale et réussit donc à toucher profondément les gens tandis que Fratelli d’Italia aborde les mêmes questions de manière plus approfondie et parfois donc, de façon moins accessible ».
Toutefois la ligne politique de FDI est classée légèrement plus à droite et plus ferme que la ligne de la Ligue. C’est un parti bien à droite et qui reste à droite sans concession. Le parti assume les valeurs classiques de la droite, soit conservatisme, nationalisme, souverainisme et anti-immigration. Le parti se présente aussi comme le défenseur des classes moyennes « souvent massacrées par des politiques aveugles depuis 2012 : les commerçants, les artisans, les petits entrepreneurs, les professionnels qui constituaient le principal électorat de Berlusconi », comme le souligne Andrea Carriero.
Et en effet, le premier paragraphe des statuts du parti explique : « Fratelli d’Italia est un mouvement qui a pour but de réaliser un programme politique qui, sur la base des principes de souveraineté populaire, de liberté, de démocratie, de justice, de solidarité sociale, de mérite et d’équité fiscale, s’inspire d’une vision spirituelle de la vie, des valeurs traditionnelles, libérales et populaires et participe à la construction de l’Europe des peuples ». Et de fait, au sein de l’Europe, le parti assume la ligne conservatrice et réformiste du parti européen ACRE dont il fait partie.
Mais en effet, FDI n’a pas su faire entendre sa voix face au système de communication très développé de la Ligue qui, en cela, sert de modèle à beaucoup d’autres partis. « Voici un exemple du schéma de communication suivi par le leader de la Ligue : il annonce tout d’abord l’interview qu’il va donner, durant l’interview il tweete ce qu’il dit, à la fin de l’interview il ouvre le débat aux utilisateurs en postant ses interventions en format vidéo, impliquant ainsi les citoyens dans le débat politique et enfin il commente toutes les affaires du jour en attaquant ses opposants ».
C’est ainsi qu’Andrea Carriero nous décrit le style de Salvini et il continue : « on dit en politique qu’il vaut mieux paraitre qu’être, mais ce n’est pas le cas du leader de la Ligue. Salvini organise souvent des directs sur les réseaux sociaux pour parler des thèmes politiques qui lui tiennent le plus à cœur. Il montre au gens qu’il est une personne normale : il fait des photos et accorde des selfies, il raconte ses déplacements. Il montre un politicien qui vit sa vie quotidienne comme tout autre citoyen. Et tout cela le rend plus proche des gens. Il avait même créé un concours particulier ‘Vinci Salvini’ (gagne Salvini), dans lequel selon les critères du jeu, les gens pouvaient gagner une rencontre ou un appel téléphonique avec le leader de la Ligue ».
Une femme leader : Giorgia Meloni
Petit à petit, Fratelli d’Italia commence à reprendre cette stratégie en postant beaucoup de vidéo de Giorgia Meloni, obtenant ainsi une meilleure visibilité. Andrea Carriero explique qu’ils « doivent se concentrer beaucoup plus sur Giorgia Meloni et la mettre toujours plus en première place pour créer un rapport d’empathie avec les électeurs potentiels ». C’est en effet la stratégie de la Ligue et une stratégie qui paye : les gens ne se dispersent pas sur plusieurs hommes politiques qui disent plus ou moins la même chose au sein d’un même parti, mais ils créent un lien direct et privilégié avec un seul représentant qui va porter leur parole au gouvernement. De plus, souligne toujours notre analyste politique à propos du leader de FDI, « être une femme leader en Italie n’est pas facile, nous ne sommes pas encore au niveau de l’Europe du Nord. Il faudra un peu plus de fantaisie pour créer un lien particulier avec les électeurs et dépasser l’impact médiatique de la Ligue ».
Mais toutefois, notamment depuis les dernières élections nationales, le parti de Giorgia Meloni prend de plus en plus d’ampleur, bien qu’il soit resté en-dehors du gouvernement de coalition entre la Ligue et le M5S. La cohérence du leader porte ses fruits. En effet, « elle a été très intelligente de ne pas entrer dans le gouvernement Lega-M5S : elle a maintenue sa ligne politique sans compromis, votant les amendements du centre-droit et rejetant ceux du M5S. Contrairement à la Ligue (avec le M5S) et à Forza Italia (qui avait signé un pacte avec le PD en 2014 afin de pouvoir faire une série de réformes sous le gouvernement Renzi), elle n’a fait alliance avec aucun parti qui ne soit du centre-droit ». Outre cette cohérence, c’est aussi un parti qui reste très peu touché par les « affaires ».
Enfin c’est un parti qui s’ouvre à la jeunesse et accueille beaucoup de nouvelles têtes fraîchement sorties de l’école. Le parti a même mis en place des formations ouvertes à tous ceux qui veulent se lancer en politique au sein de FDI. Des jeunes et des moins jeunes se côtoient et sont relativement unanimes sur le bienfondé de cette formation de très bon niveau.
« Outre le fait que j’ai des idées politiques et des valeurs de droite, je pense qu’il faut toujours partir du bas pour arriver en haut : partir d’un parti qui a potentiellement une grande marge de croissance est plus stimulant qu’un parti qui a déjà atteint des sommets dans le pays. Participer activement à la vie politique, et non se laisser porter, est une expérience de vie qui doit être vécue pleinement et qui peut se révéler très utile », témoigne une de ces nouvelles recrues justifiant son choix d’entrer chez Fratelli d’Italia.
Pour un autre, « FDI représente vraiment les valeurs de la droite traditionnelle et défend les racines chrétiennes de l’Italie, ce qui compte le plus pour [lui] ». Enfin, un troisième nous explique qu’il « est patriote et qu’il préfère FDI à la Ligue notamment parce que cette dernière parlait autrefois de Padanie ce qui est contraire à [son] sens de l’unité nationale ». Un parti prometteur donc, dont l’ouverture à la jeunesse assure le renouvellement.
De notre correspondante en Italie, Hélène Lechat
Crédit photo :DR
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