Langue bretonne. Quand la gauche culturelle parle à la gauche politique

Une lettre ouverte de la part des artistes de Bretagne pour demander davantage de moyens pour sauver le breton a été adressée au président de la région administrative Loïg Chesnais-Girard. Mais qu’attendre concrètement de cette nouvelle pétition de principe pour la langue bretonne ?

À la suite de Telgruc-sur-Mer

Le 14 septembre dernier à Telgruc-sur-Mer (Finistère), une manifestation avait lieu sur la plage pour le respect et l’usage du breton, à l’appel de nombreuses associations de défense de la langue bretonne. Ce rassemblement faisait suite à la décision par le conseil municipal de Telgruc-sur-Mer, au début de l’année, de baptiser trente nouvelles rues avec des noms comme « Allée des goélands » ou « Rue des gravelots », des appellations n’ayant plus rien à voir avec les noms bretons des lieux concernés. La mairie justifiait ces francisations par une demande de La Poste pour faciliter la distribution du courrier. Laquelle, face à la levée de bouclier, déclinait toute responsabilité quelques jours plus tard.

En amont de cette manifestation du 14 septembre, diverses personnalités bretonnes avaient pris la parole pour dénoncer cette francisation des noms de lieux et de rues en Bretagne.

Langue bretonne : lettre ouverte à Loïg Chesnais-Girard

À la suite de l’épisode de Telgruc-sur-Mer, un collectif des artistes, auteurs et universitaires de Bretagne a été créé en septembre dernier dans l’optique de lutter contre cette francisation des noms de lieux en breton mais aussi en gallo. Mais il a fallu attendre ce début de mois de novembre pour qu’une lettre ouverte avec une demande d’entretien soit envoyée à Loïg Chesnais-Girard, président du conseil régional de Bretagne (B4). C’est l’association Ar Falz qui s’est faite porte-parole de cette volonté de faire bouger enfin les lignes pour sauver le breton. La lettre fait d’ailleurs état de « la situation catastrophique dans laquelle se trouvent aujourd’hui les langues de Bretagne et leur enseignement ».

Parmi la liste des signataires, comprenant 110 noms, apparaissent notamment Yann Tiersen, Nolwenn Korbell, Denez (Prigent) ou encore Angèle Jacq.

La lettre en question :

« Monsieur le Président,

Récemment, vous avez été informé de l’Appel des Auteurs et Artistes, des Universitaires, opposés à la francisation des noms de lieux en breton et gallo. La manifestation de Telgruc-sur-Mer qui répond à cet appel, a rassemblé près de six cent personnes. Depuis cet événement, nous recevons des centaines de signatures de particuliers qui s’associent à cette opposition. Dans ce contexte, vous avez pris l’initiative d’écrire au Président de la Poste afin de lui demander des éclaircissements, ce dont nous vous sommes reconnaissants.

Mais au-delà de ces actions ponctuelles qui ont touché un large public et suscité un émoi médiatique, la question posée par ces auteurs, artistes, universitaires est celle de la politique linguistique du Conseil régional de Bretagne.

En effet, ils s’inquiètent de la situation catastrophique dans laquelle se trouvent aujourd’hui les langues de Bretagne et leur enseignement.

À droits et moyens constants et en l’absence de réaction énergique, il en sera bientôt fini de nos espérances de voir sauvegarder nos langues, ce trésor qu’il nous appartient de léguer aux générations futures. Car 3 % seulement de nos enfants sont scolarisés en classe bilingue. Alors qu’ailleurs la situation est beaucoup plus favorable : 50 % des jeunes Basques du nord reçoivent désormais un enseignement dans leur langue.

Nous ne pouvons accepter cet échec et il est difficile de ne pas y voir un manque de volonté politique.

Combien de générations d’enfants sacrifiées, privées de leur langue, de leur culture et de leur histoire ? En faudra-t-il de nouvelles ?

Il est temps d’élever la politique linguistique au rang de priorité première de l’action publique en Bretagne et de décupler l’effort consenti. Avec moins de 1 % du budget de la région, cette politique demeure secondaire, ce qui n’est plus tolérable.

Nous demandons solennellement au conseil régional de Bretagne de placer la sauvegarde de nos langues au rang de priorité première :
– de consacrer à la politique linguistique un budget digne d’une principale politique publique.
– de mettre en place un rapport de forces politiques avec les services de l’État afin de former au plus vite, plusieurs centaines d’enseignants dans nos langues, comme cela se fait en Corse. Afin d’aboutir à moyen terme à la généralisation de leur enseignement.

Cette action résolue doit passer par la création d’une licence d’enseignement dans chaque université bretonne. Ainsi que par des aides significatives aux étudiants désireux d’investir ces formations.
L’introduction de l’anglais ou d’une troisième langue, pourra se faire dès la maternelle selon les nouvelles pédagogies. À défaut, le développement de l’enseignement bilingue français/anglais se fera au détriment de nos langues.

La réussite scolaire de nos enfants est également en cause. Tant il est établi que le bilinguisme précoce est l’une des clés de la construction de l’enfant et du développement de son intelligence. Pour l’instant, ce n’est pas un hasard : c’est à Paris que le bilinguisme éducatif se développe. Nous sommes à un moment crucial de notre histoire collective bretonne.

C’est un véritable plan Marshall qu’il faut pour nos langues. Ne rien faire ou si peu, tergiverser plus longtemps, nous conduira à l’effacement et à la disparition de notre Histoire et de nos langues, ces piliers de notre existence collective.

C’est une responsabilité historique qui pèse à présent sur les épaules de nos élus du conseil régional et du Président de la Région Bretagne.
Un échec en la matière, quelles qu’en soient les raisons, ne serait plus tolérable. La survie de nos langues est à ce prix.
Les signataires de la présente lettre vous prient de bien vouloir les recevoir pour un entretien portant sur cette question fondamentale pour notre avenir collectif.

Cette lettre, compte tenu de la situation critique dans laquelle se trouvent nos langues, sera une Lettre ouverte adressée à la presse.

Je vous prie de croire, Monsieur le Président, à l’assurance de notre haute considération,

Pour le Collectif,

Paolig Combot, Président d’Ar Falz. »

Une énième pétition de principe pour le breton inefficace ?

Malgré les bonnes intentions du courrier, ce dernier ressemble fort à de précédentes lettres destinées à Loïg Chesnais-Girard sans qu’une politique linguistique bretonne d’envergure ne soit enfin mise en œuvre par le Conseil régional. Loïg Chesnais-Girard qui a visiblement bien assimilé les méthodes de son mentor et prédécesseur Jean-Yves Le Drian : tout promettre à cette Emsav si indulgent avec « la gauche » sans ne jamais rien donner. Ou si peu !

Les signataires demandent donc un « véritable plan Marshall » en rappelant que, pour l’heure, « avec moins de 1 % du budget de la Région, cette politique demeure secondaire, ce qui n’est plus tolérable. ». Mais ce refrain sur l’air de « Je t’aime, moi non plus » entre le mouvement culturel et les socialistes à la tête de la Région semble tourné en boucle depuis tant et tant d’années. Pendant que la langue bretonne meurt en silence…

AK

Crédit photo : DR
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