L’information a été révélée par l’équivalent italien du journal La Croix. Durant l’année 2017, le PD (Parti démocrate, gauche) d’Italie a invité à la table des négociations concernant le sauvetage en mer de migrants un trafiquant d’êtres humains bien connu. Médiapart a relayé l’information en français.
« Sur la photo, l’homme pose en excellente compagnie, costume sombre et chemise blanche, cravate légèrement de travers. Outre des représentants venus comme lui de Libye, on distingue des officiers de la Guardia Costiera (les garde-côtes italiens) et des fonctionnaires de l’Organisation internationale pour les migrations (OIM, une agence de l’ONU). Ce jour de mai 2017, à Rome, tous sont réunis pour discuter des opérations de sauvetage en Méditerranée centrale et de la création d’une zone de secours sous responsabilité de Tripoli – officiellement pour améliorer le sort des migrants.
Cette image n’a jamais été vraiment cachée – elle était accessible sur le site des garde-côtes italiens. Et elle pourrait n’être que l’illustration du « mémorandum d’accord » signé cette année-là entre l’Italie et Tripoli, déjà largement commenté et vilipendé par les ONG, et qui visait une réduction des départs depuis les côtes libyennes en échange d’un soutien logistique et financier aux garde-côtes de l’ex-pays de Kadhafi.
Un des plus grands trafiquants d’êtres humains en Libye
Mais un « détail » était passé inaperçu jusqu’à sa révélation par la presse italienne début octobre : l’homme au costume sombre n’est autre qu’Abd al-Rahman al-Milad, surnommé « Bija », l’un des plus grands trafiquants d’êtres humains en Libye, aujourd’hui visé par un mandat du Conseil de sécurité des Nations unies et empêché de quitter son pays. Depuis quelques jours, les journalistes italiens à l’origine de ce scoop circulent sous protection policière, menacés par Bija lui-même »
Les autorités italiennes de gauche, démasquées, ont ainsi traité en 2017 avec des trafiquants d’êtres humains, pour bloquer les arrivées de migrants avant leur départ des côtes africaines. Le 7 juin 2018, le Conseil de sécurité des Nations unies adoptera des sanctions contre l’hôte du gouvernement italien : interdiction de quitter le territoire libyen et biens bloqués. Dans la fiche consacrée à Bija, l’ONU motive ainsi sa décision : « Abd Al Rahman al-Milad dirige l’unité régionale des garde-côtes à Zaouïa qui est régulièrement associée à des violences commises contre des migrants et des passeurs. Selon le Groupe d’experts, Milad et d’autres garde-côtes auraient directement participé au sabordage d’embarcations de migrants par armes à feu. Al-Milad collabore avec d’autres passeurs tels que Mohammed Kachlaf (dont l’inscription est également proposée) qui, d’après certaines sources, en contrepartie de la protection qu’il lui apporte, peut mener des opérations illicites en rapport avec la traite et le trafic de migrants. Lors d’enquêtes criminelles, plusieurs témoins ont déclaré avoir été recueillis en mer par des hommes armés sur un navire des garde-côtes appelé Tallil (utilisé par al-Milad) puis emmenés au centre de détention d’al-Nasr, où ils auraient été détenus dans des conditions d’extrême brutalité et roués de coups. »
Des parlementaires italiens demandent désormais des comptes et que toute la lumière soit faite sur ce potentiel scandale. Y compris de savoir si ces négociations sont toujours en cours. Et Mediapart de s’interroger :
« Derrière cette affaire, la question qui se pose est la suivante : quel est le prix que l’Italie et l’Union européenne sont prêtes à payer pour réduire les arrivées de migrants sur leurs côtes ? Dès 2008, Silvio Berlusconi avait été le premier à sceller un accord avec Mouammar Kadhafi. À sa mort et avec la crise profonde traversée par le pays, les départs sont repartis de plus belle. Début 2017, le ministre de l’intérieur, le démocrate Marco Minniti, a alors décidé de reprendre la formule choisie à l’époque par Silvio Berlusconi : trouver un accord avec la Libye »
Car une chose est certaine : depuis 2017, les arrivées de migrants sur nos côtes ont chuté depuis l’Italie, mais se sont accélérées depuis d’autres pays. En scellant le sort de Kadhafi en Libye, les Occidentaux y ayant contribué ont provoqué un séisme avec des conséquences historiques et dramatiques des deux côtés de la Méditerranée.
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