Quand le vrombissement des pales de l’hélicoptère ayant transporté la dépouille du général Franco finit par s’assourdir, l’actualité revient se centrer sur une situation catalane complètement bloquée.
Deux semaines de violences, orchestrées par les organisations souverainistes pour protester contre l’arrêt du Tribunal suprême condamnant le 14 octobre les initiateurs de la déclaration unilatérale d’indépendance (DUI) de 2017 à de lourdes peines de prison, ont semé le chaos en Catalogne. La fumée des incendies n’a pas seulement obscurci le ciel des grandes villes de la région mais a aussi largement assombri le panorama politique.
Une Généralité aux abois
Après avoir abandonné la réponse au jugement aux émeutiers, la Généralité a tenté de reprendre la main en exigeant la réouverture d’un dialogue politique avec Madrid pour discuter du droit à l’autodétermination quand au même moment le président Quim Torra annonce solennellement le 26 octobre, devant huit cents maires indépendantistes, que le sécessionnisme reste au programme tant que la rupture avec l’Espagne n’est pas consumée. Le président ajoute : « Aucune sentence, du Tribunal constitutionnel ou du Tribunal suprême ne pourront l’empêcher ».
Quelle valeur accorder aux déclarations d’un homme qui a souvent manqué de capacité d’analyse et de bon sens ?
En octobre 2017, quand personne ne soupçonnait qu’il deviendrait un jour le président régional, Quim Torra écrivait : « Si la république catalane a été proclamée, il est impossible au Royaume d’Espagne de destituer qui que ce soit ».
La réalité allait lui apporter quelques jours plus tard un cinglant démenti car non seulement le gobern catalan était relevé de ses fonctions mais une dizaine d’indépendantistes se retrouvaient en prison accusés d’avoir fomenté un coup d’État.
Dans un premier temps, le président du gouvernement Pedro Sanchez a refusé à de multiples reprises de répondre aux appels de Quim Torra car celui-ci n’avait pas explicitement condamné la violence. Et quand le président catalan l’a fait du bout des lèvres, c’est la ministre de la Justice Carmen Calvo qui l’a recadré en déclarant le samedi 26 octobre : « On parlera de tout, sauf du droit à l’autodétermination, car il n’existe pas ».
De mauvaises nouvelles pour les socialistes
Cette soudaine raideur de Pedro Sanchez à l’égard des indépendantistes s’explique par sa préoccupation à l’approche de la date des élections législatives du 10 novembre prochain car tout semble indiquer qu’il n’atteindra pas son objectif.
Le patron du Parti socialiste espagnol (PSOE) avait décidé en septembre dernier ce retour aux urnes car à l’époque les sondages lui promettaient un renforcement des siens au Parlement et une chute brutale des communistes de Podemos. À droite, l’irruption de Vox affaiblissait les conservateurs et les libéraux en dispersant les voix.
Pour gagner des soutiens à gauche, le PSOE avait mis en scène l’exhumation de Franco et pour récupérer des électeurs à Ciudadanos, il restait ferme sur la question catalane. Dans le même temps, pour précipiter la débâcle de Podemos, il orchestrait grâce à sa force de frappe médiatique, la montée en puissance d’une dissidence d’extrême-gauche autour de la personne d’Iñigo Errejon pour arracher encore quelques députés aux communistes.
En dépit de tous les efforts de Pedro Sanchez, les derniers sondages publiés par El Español le dimanche 27 octobre révèlent un paysage politique très différent de ce qui était attendu. Loin de décoller, les socialistes reculent alors que le Parti populaire (PP) se conforte, Ciudadanos arrête sa descente et Vox augmente sensiblement le nombre de ses sièges. Résultat : les partis de droite dépassent d’une tête les partis de gauche. La chute brutale de Podemos et l’insuccès de la scission d’Errejon font que seule une alliance entre le PSOE et le PP réussirait à réunir la majorité nécessaire.
Toutes les autres combinaisons, à droite comme à gauche, imposent un pacte avec les formations indépendantistes. Loin d’être sortis de la nasse, les socialistes s’enfoncent davantage dans l’incertitude.
Un succès en demi-teinte pour les indépendantistes
Le point d’orgue de la riposte souverainiste aux condamnations de leurs élus avait lieu le samedi 26 octobre à Barcelone où les organisations catalanistes avaient appelé le ban et l’arrière-ban de leurs soutiens pour une affirmation de la capacité de mobilisation de l’indépendantisme.
La déception des promoteurs est grande car seulement 350 000 personnes se sont concentrées dans les rues de la capitale catalane, le chiffre le plus bas depuis huit ans. En soi le nombre est considérable, mais il faut le comparer aux impressionnantes manifestations comme la Diada ou même que celle qui s’est déroulée voici quelques jours quand un demi-million de Catalans se sont réunis pour protester contre les condamnations.
Il est vrai qu’un sentiment d’usure peut avoir démobilisé des Catalans qui voient que leurs efforts n’aboutissent à rien et que la violence des éléments les plus radicalisés perturbe gravement la vie quotidienne de toute la région.
Le gouvernement de la Généralité est le témoin le plus visible d’une impuissance chue dans un abîme de contradictions. D’un côté il encourage les protestations, par exemple quand le président régional Quim Torra poussait le 1er octobre 2018 les Comités de défense de la république (CDR), le bras armé de l’indépendantisme, à agir.
De l’autre, échaudés par l’inculpation de l’ancien patron des Mossos (la police catalane) pour son rôle voici deux ans dans la DUI, les mossos ont parfaitement collaboré depuis bientôt trois semaines avec leurs homologues de la Policia nacional et de la Garde civile dans la répression des manifestations, au point que Quim Torra les a mis en cause publiquement à la tribune du Parlament alors même que son propre conseiller à l’Intérieur Miquel Buch les défend bec et ongles.
L’irrésistible attrait de la violence
Sans solution politique dans le cadre constitutionnel, sans majorité sociale puissante, des partis nationalistes divisés, sans la possibilité de paralyser la région en bloquant les infrastructures clefs comme les aéroport, les gares ou les autoroutes, la tentation du terrorisme se fait jour.
Jordi Cuixart, le président d’Omnium cultural (OC) vient de déclarer que les manifestations ne suffisent plus et Elisenda Paluzie, la présidente de l’ANC, estime qu’il faut aller au-delà. Les médias en ligne et des intellectuels comme Jaume Sobreques théorisent déjà l’usage de la force contre l’État en inventant l’étrange concept de « violence pacifique ».
Dans un premier temps, la mise en place du Tsunami democratic est une première réponse. Anonyme, ce groupe a organisé les protestations grâce aux réseaux sociaux sans jamais se dévoiler. Mais l’absence de résultats concrets de ces efforts va rendre irrésistible l’attrait des actions brutales. Déjà, la Garde civile a arrêté une poignée d’exaltés qu’elle accuse de préparer des attentats à l’explosif. Combien d’autres attendent-ils le moment de passer à l’action ?
Il est frappant de constater les responsables des mouvements catalanistes ne font rien pour freiner la course à une violence chaque fois plus intense. Peu de voix s’élèvent pour alerter du danger de la tentation terroriste. Pourtant, ils devraient se souvenir de l’expérience tragique de la guerre civile larvée menée par l’ETA. Entre 1958 et son autodissolution en 2018, 829 personnes sont mortes, plus de trois mille ont été blessées et deux cent mille autres ont quitté le Pays basque. Alors que le plus fort de la violence a eu lieu après le retour de l’Espagne à la démocratie, l’État n’a pas faibli et a fini par vaincre l’ETA.
Une grande différence entre le Pays basque et la Catalogne : le Parti nationaliste basque n’est jamais sorti de la légalité et a toujours joué avec le pouvoir central, obtenant quantité d’avantages. Depuis la fin du terrorisme, le souverainisme basque a fait des avancées considérables et est en train, dans les faits, d’annexer la Navarre avec la bénédiction du PSOE.
Les constitutionnalistes se rebiffent
La puissante manifestation des constitutionnalistes à Barcelone le dimanche 27 octobre a rappelé que la Catalogne ne se réduit aux seuls nationalistes. Organisé par la Sociedad civil catalane (SCC), une association transversale où coexistent les différentes sensibilités politiques, elle a réuni à Barcelone une grande foule de personnes qui n’ont pas l’habitude de descendre dans la rue.
On reconnaissait les visages de Manuel Valls, de Cayetana Alvarez de Toledo, la tête de file du PP en Catalogne, Albert Rivera, Inés Arrimadas (Ciudadanos) et Miquel Iceta (PS catalan), Josep Borrell (Commissaire européen socialiste), la présidente du Parlement, celui du Sénat, entourés de près de 80 000 personnes. Loin des 350 000 rassemblées le 8 septembre 2017 pour protester contre la DUI, mais un résultat très significatif car nombre de participants n’ont pu se rendre à Barcelone en raison des coupures de routes mises en place par les CDR.
Dans une ambiance très festive, les présents portaient des drapeaux espagnols et catalans et ont applaudi les forces de l’ordre. À la tribune les organisateurs ont enjoint Quim Torra à gouverner pour l’ensemble des Catalans et, s’il n’est pas capable, à convoquer de nouvelles élections.
De nouvelles élections pourraient-elles débloquer la situation ?
Les sondages n’augurent pas d’un déblocage parlementaire à Madrid. Pedro Sanchez aura besoin de tout le monde à gauche, y compris des partis souverainistes, pour avoir une majorité sans faire appel aux conservateurs du PP. Ce ne sera pas facile.
En Catalogne, les enquêtes anticipent une victoire des socialistes (PSC) et des républicains de l’ERC qui ont abandonné leur radicalisme pour envisager un gouvernement avec les autonomistes du PSC, enterrant ainsi tout espoir de rupture avec le reste de l’Espagne.
C’est cette perspective qui conduit la droite catalane de Carles Puigdemont et de Quim Torra à retarder autant que possible de dissoudre le Parlament, mesure qui entérinerait définitivement la division du camp catalaniste et l’échec d’un processus d’indépendance mis en route depuis 2012.
JD
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