Quel concert médiatique à l’annonce du décès de jacques Chirac ! Hommes ploitiques, journalistes, commentateurs ne lui trouvent que des qualités. Pourtant il y aurait beaucoup à dire sur le personnage.
Chirac, un frère pour Anselin
Parler de sa guerre d’Algérie avec Jacques Chirac, c’est l’un des refrains préférés de Paul Anselin (ancien sous-préfet, ancien maire de Ploërmel, divers droite) ; il a déjà raconté l’histoire vingt fois, mais avec le décès de l’ancien président de la République, l’occasion était bonne pour en remettre une couche. Anselin et Chirac étaient tous les deux sous-lieutenants au 6ème régiment des chasseurs d’Afrique. Le 17 janvier 1957, Anselin et son peloton sont encerclés par les rebelles (FLN) dans le bled. Plus de munitions et des blessés, les carottes sont cuites. Alors que la situation semble désespérée, un miracle se produit : Chirac et son peloton surgisse. Anselin est « libéré ».
« Jacques Chirac m’a littéralement sauvé la vie », insiste Paul Anselin. « Il a été mon frère d’armes avant d’être mon frère tout court. » (Ouest-France, Morbihan, vendredi 27 septembre 2019). Un « frère tout court » qui n’a pas donné à Anselin ce que ce dernier croyait pouvoir attendre après l’installation de Chirac à l’Élysée en 1995. Anselin demeure modestement maire de Ploërmel, conseiller général et conseiller régional, alors qu’il aurait pu espérer devenir chargé de mission à la présidence de la République ou bien préfet ; mais le « frère » ne l’a pas souhaité. D’où un lot de consolation : le 5 mars 1996, à l’Élysée, Chirac remet à Anselin la cravate de commandeur dans l’ordre de la Légion d’honneur ; ça ne mange pas de pain…
Trahisons, reniements, « affaires »
La prudence s’impose en ce genre de circonstances, car il y a le bilan. Mais Anselin s’emballe : « Il m’est impossible de dire que j’ai de l’affection pour lui. Il fait tellement partie de moi. C’est indescriptible, nos relations n’étaient pas politiques mais humaines. » (Ouest-France, Morbihan, vendredi 27 septembre 2019). Dommage que Anselin n’ait pas cru bon de s’étendre sur le volet politique, car il aurait pu évoquer les trahisons, les reniements et toutes les « affaires » qui permirent à Chirac de réussir en politique contre vents et marées.
On peut citer quelques exemples. Le 27 avril 1969, à l’occasion du référendum portant sur la régionalisation, il vote contre de Gaulle, jouant la carte du clan Pompidou. À l’élection présidentielle de 1974, il soutient Valéry Giscard d’Estaing contre le candidat gaulliste Jacques Chaban-Delmas – en mettant sur pied « l’appel des 43 ». En 1981, non seulement il se présente contre le candidat de la droite (Giscard), mais encore il incite l’électorat RPR soit à voter blanc, soit à voter Mitterrand – au siège du RPR, les standardistes indiquent aux « militants » qu’il faut voter contre Giscard ; si bien qu’alors que la droite est majoritaire au soir du premier tour, Mitterrand est élu au second… Au référendum de 1992, organisé par Mitterrand et portant sur le traité de Maastricht, il appelle à voter oui ; et c’est sans doute grâce à lui que ce référendum fut adopté à une courte majorité. En 2005, devenu président de la République, il organise un autre référendum portant sur le « traité constitutionnel européen ». Le non l’emporte, il est battu, mais bien que se déclarant « gaulliste », il ne démissionne pas.
Le regroupement familial…
En devenant maire de Paris, sa carrière connut un coup d’accélérateur formidable grâce à tous les moyens que lui offrit l’hôtel de ville (image, notoriété, argent, personnel payé par la Ville de Paris mais travaillant au siège du RPR) ; tout cela, il le devait à Jean Tibéri, maire du Ve arrondissement, qui lui mit le pied à l’étrier lors des premières élections municipales en 1977 en le plaçant en tête de sa liste. Renvoi d’ascenseur : lorsque les ennuis judiciaires deviennent trop lourds, Chirac s’arrange pour faire porter le chapeau à Tibéri. Mais son plus grand exploit demeure l’adoption de la loi sur le regroupement familial en 1976, alors qu’il était Premier ministre, qui marqua le démarrage de l’immigration de masse.
inconsistance politique
Chirac a beaucoup trahi, mais il fut également trahi. En 1995, son « ami de trente ans », Édouard Balladur se présente contre lui à l’élection présidentielle. En 2007, son protégé Nicolas Sarkozy l’empêche de partir pour un troisième mandat et prend sa place à l’Élysée.
En titrant son éditorial « Une certaine image de la France » (Ouest-France, vendredi 27 septembre 2019), Laurent Marchand oublie que l’image que Chirac pouvait donner de la France accorde une grande place aux magouilles, à la corruption et, plus grave, à l’inconsistance politique – quand on se dit « gaulliste » (sic), on n’appelle pas à voter en faveur du traité de Maastricht et du « traité constitutionnel européen ».
Bernard Morvan
Crédit photo : Donald Sheridan/Wikimedia (cc)
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