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Rome. La véritable histoire des douze Césars, racontée par Virginie Girod [Interview]

Virginie Girod est docteur en histoire, spécialiste de l’Antiquité romaine. Elle travaille en tant que journaliste pour la presse écrite et chroniqueuse TV pour des émissions d’histoire (« Secrets d’histoire », « La vie au temps de… »). Elle publie en cette rentrée littéraire, La véritable histoire des douze Césars, aux éditions Perrin.

Sous le principat d’Hadrien (117-138), l’historiographe Suétone travaille au palais comme secrétaire et bibliothécaire. Grâce aux archives impériales qu’il consulte librement, il entreprend d’écrire les biographies des premiers Césars, de Jules César à Domitien, retraçant ainsi près de cent-cinquante ans d’histoire qui ont bouleversé l’histoire de Rome. Son œuvre, la Vie des douze Césars, riche de détails intimes sur les maîtres de Rome, est une source essentielle demeurée célèbre en dépit de ses nombreuses exagérations et inexactitudes. En replaçant les premiers empereurs dans leur contexte social, politique et surtout familial, Virginie Girod, forte de sa connaissance intime de la période, met avec talent ses pas dans ceux de Suétone et raconte leur véritable saga faite de trahisons, de manipulations et d’amours déçues.

Comment Auguste et Vespasien ont-ils pris Rome en passant pour des modèles de vertu ? Pourquoi Tibère, Caligula et Néron ont-ils sombré dans la tyrannie ? Claude était-il un idiot ou un administrateur génial ? Les empereurs ont-ils réellement subi l’influence de leurs affranchis ? Et les femmes dans tout cela ? Peut-on seulement envisager que des impératrices telles que Livie ou Agrippine aient été plus éperdues de pouvoir que les hommes ? De chapitre en chapitre, les mythes sur les Césars volent en éclats, laissant place à leur humanité dans toute sa complexité.

Le livre est passionnant. On sent que Virginie Girod a été formée, et bien formée, notamment par le grand spécialiste de Rome, Yann Le Bohec. Le livre permet de découvrir de nouvelles facettes de ces Césars, dont nous ne connaissions finalement pas tout. Le tout avec une plume très agréable à lire. Et pour en parler, nous avons interrogé Virginie Girod.

Breizh-info.com : Comment s’est déroulée votre rencontre avec la Vie des douze Césars ? Qu’est-ce qui vous a amené à traduire notamment Suétone ?

Virginie Girod : Comme je le dis dans la conclusion de l’ouvrage, Suétone a été mon compagnon depuis le master que j’ai fait. J’ai travaillé dessus pour ma thèse. Sa lecture m’a accompagnée, je le trouvais plus intéressant que Tacite car il n’y avait pas cette dynamique de romancier. Suétone avait accès à des sources directes, travaillant dans les archives impériales pour l’empereur Hadrien. Donc il cite ses sources bien souvent. Cela aide à avoir une vision plus sensible, plus humaine des empereurs, et cela nous aide à avoir une vision beaucoup plus psychologique, ce qui n’était pas du tout à la mode chez les historiens il y a quelques décennies.

Aujourd’hui, c’est dans l’air du temps. L’individu, ce qu’il est, nous intéresse davantage qu’une espèce de grande histoire, uniquement tissée par les hauts faits… Moi l’humain m’intéresse, et c’est lui que j’ai voulu retrouver à travers ce livre, qui est en réalité composé de douze biographies imbriquées les unes dans les autres. Je replace chaque César à l’intérieur de cette constellation familiale.

Breizh-info.com : Qu’est-ce qui caractérise les différents Césars ? Ont-ils des traits communs ?

Virginie Girod : Le trait commun avait été ressenti par mes prédécesseurs ; il y a une part de folie chez les Césars. Mais d’où vient-elle ? Ce que montrent les neurosciences aujourd’hui, c’est que le pouvoir modifie les structures cérébrales des gens, les rend plus durs, moins empathiques. Il y a donc une forme d’autorité, de sentiment de supériorité qui se met en place chez ces gens-là. C’est très prégnant chez les Césars. Que ce soit pour ceux qui ont fait la conquête du pouvoir comme ceux qui en ont hérité. Il y a quelque chose de fou dans leur perception du monde. Pour eux c’est naturel d’être au sommet, mais pourtant, la contrepartie, c’est d’être seul dans les cimes, et la solitude les abîme aussi.

À chaque fois on a des profils qui présentent des fêlures, et c’est intéressant à observer. Cela n’excuse pas les gestes de cruauté extrême que certains ont pu avoir (notamment chez Caligula), mais c’est amusant à observer. Comment se construit leur psyché à l’intérieur de cette famille « toxique » et dans un monde où ils ont l’impression d’être au sommet de la hiérarchie sociale, avec au-dessus d’eux les Dieux et rien d’autre.

Breizh-info.com : Est-ce que Jules César, le premier des Césars, n’était-il pas finalement le plus sain de toute sa lignée ?

Virginie Girod : Je ne sais pas, ça peut être un positionnement. C’est lui qui fait basculer le monde romain de la République vers l’Empire. S’il n’avait pas précédé Auguste, ce dernier n’aurait pas aussi facilement instauré l’Empire. Le monde romain était prêt pour le passage à l’Empire, il avait peur des rois, et n’aspirait qu’à l’Empire. Je ne sais pas si Jules César est le plus sain, mais c’est celui qui a le plus envie de pouvoir, celui qui a le besoin d’en faire la conquête la plus forte. Il est dans l’ambiance des guerres civiles…

Breizh-info.com : Oui, il n’avait pas non plus le temps de penser à autre chose qu’à la conquête et à la guerre.

Virginie Girod : Oui, bien qu’à 33 ans, il se retrouve en pleurs devant la statue d’Alexandre le Grand, parce qu’il a le sentiment de n’avoir rien fait de sa vie. C’est un fruit tardif. Il y a une ambiance particulière à Rome. César est celui qui rêve le plus de pouvoir, il se voit comme grandiose, et ça l’aide. Lorsqu’il a le sentiment d’avoir conquis totalement Rome, on voit chez lui une sorte de perte de motivation qui commence à surgir. Quand ses proches lui disent de se méfier des Ides de Mars alors qu’eux-mêmes sont impliqués dedans, on a l’impression qu’il s’en fiche, qu’il n’a plus rien à conquérir, il est un peu éteint. Comme s’il acceptait d’être assassiné, pour la gloire finalement, parce qu’il marquera l’Histoire de cette manière. Je pense qu’il avait un sens aigu de l’empreinte qu’il laisserait.

Breizh-info.com : D’autant plus qu’en matière géographique notamment, ceux qui lui ont succédé n’ont pas fait mieux…

Virginie Girod : D’un point de vue géographique certes. Mais Auguste a changé les structures de l’État et c’est avec lui qu’advient l’Empire, donc il ne faut pas le négliger. C’est un très grand stratège politique qui n’est pas un militaire génial, contrairement à Jules César, mais qui est un politicien hors pair et supérieur aux autres. Il y a un atavisme familial entre eux deux. Auguste s’est servi de Jules César comme modèle, quand il était jeune, quand ils se sont vus à Rome, dans le cadre familial. Il l’a observé beaucoup, s’est inspiré de lui, des exemples positifs, mais aussi pour ne pas reproduire les erreurs que Jules César a pu faire. Il y a une continuité avec deux profils différents. Chez Auguste le plaisir est dans le plaisir du pouvoir, pas dans sa conquête.

Breizh-info.com : Vous écrivez une phrase en introduction qui dit « Dans les lits des douze Césars comme dans les coulisses du palais, de nombreuses impératrices et princesses ont participé à la politique à travers des jeux d’influence ou des complots ». Les femmes des Césars avaient donc selon vous une place de premier choix au cœur du pouvoir ?

Virginie Girod : Oui et non. Officiellement non, car une bonne Romaine fait des enfants, sert les repas à son mari, et ça ne fait rien d’autre. Officieusement, les femmes des Césars sont dingues de pouvoir. Elles comprennent très vite dans cette dynastie que si elles veulent participer au pouvoir, elles ont tout intérêt à mettre une marionnette sur le trône dont elles pourront tirer les ficelles. Les moins malines miseront sur un amant, les plus malines misent sur un fils, et cela ça marche mieux. Il y a des visions politiques chez elles (chez Agrippine la Jeune, l’Ancienne également), des envies de pouvoir, elles utilisent les hommes qu’elles manipulent plus ou moins bien, elles se transmettent le goût du pouvoir, et à leur manière elles l’exercent autant qu’elles le peuvent en coulisse. C’est exceptionnel et on ne le reverra pas à Rome avant la dynastie des Sévères, avec les femmes syriennes, qui avaient une autre vision de la place de la femme dans la société.

Ce qui impacte à mon sens la psyché des Césars, c’est que très souvent, ces femmes vont montrer à certains hommes qu’elles sont plus douées qu’eux, qu’ils sont inaptes à exercer le pouvoir, et elles exercent une pression incroyable sur eux. Qui peut être dévastatrice. Elles sont castratrices, terrifiantes parfois pour leurs fils. Ce n’est pas un hasard si Néron a assassiné sa mère. Quand on en est réduit au matricide, crime le plus grave dans toutes les cultures, c’est parce qu’on a le sentiment qu’on va être annihilé psychologiquement si sa mère est vivante.

Breizh-info.com : Ce qui témoigne d’ailleurs d’une forme de « liberté » de la femme avant-gardiste, notamment pour celles de bonne famille ?

Virginie Girod : On ne peut pas parler de liberté. Les Romaines ne sont pas libres dans le sens où on l’entend aujourd’hui. Elles ont perverti les règles du jeu, elles ont joué la partition qu’une bonne Romaine doit jouer en apparence, mais elles ont influencé, comploté, manipulé, pour exercer le pouvoir sans en donner l’impression. Libre non, intelligente et retorse énormément.

Breizh-info.com : La vie et la société sous la Rome antique semblent à la fois si loin de nous (plus de 2 000 ans nous séparent) et en même temps si proches. Comment l’expliquez-vous ? Il semblerait bien que nous portions encore aujourd’hui cet héritage romain au plus profond de nous.

Virginie Girod : Notre civilisation est gréco-romaine avant d’être judéo-chrétienne. Les chrétiens n’ont rien fait d’autre que de copier l’intégralité de la culture romaine et ses principes. La pourpre des cardinaux c’est celle des empereurs. La seule chose que les chrétiens ont changée, c’est de mettre sur un pied d’égalité les hommes et les femmes face à la honte de la sexualité. Dans l’Antiquité païenne, l’homme doit être viril, et cette virilité s’exprime aussi par la virilité physique, sexuelle.

Sauf que les chrétiens arrivent et apprennent à avoir honte de son corps, qui ne servirait qu’à avoir des enfants et rien d’autre. C’est la seule chose fondamentale que va changer le christianisme. Quand on regarde après le polythéisme, et que de l’autre côté vous avez le christianisme, prétendument monothéiste, mais qui est en fait un Dieu, mais dans une trinité et avec beaucoup de saints, je ne vois pas beaucoup de différences…

Breizh-info.com : Y a-t-il des fictions, des séries, que vous estimez dignes d’intérêt à propos de cette période ? La série Rome par exemple ?

Virginie Girod : Non justement. Cette série est belle d’un point de vue graphique. Mais les personnages sont mal définis. Je ne la préconise pas. La meilleure série est une série anglaise des années 70 qui s’appellent I, Claudius (Moi, Claude, Empereur). Aujourd’hui, la photographie est moche, mais d’un point de vue historique, c’est brillant. On m’avait parlé d’un film sur Auguste, avec Charlotte Rampling (le téléfilm Augustus). Une autre série nommée Imperium. Il y a des libertés avec la réalité historique, mais sur la période Néron, Agrippine, c’est assez fin.

Breizh-info.com : Vous avez passé votre thèse sous la direction de Yann Le Bohec. Que vous a-t-il apporté ?

Virginie Girod : Le professeur Yann Le bohec m’a appris que j’avais droit de le contredire si j’avais des arguments. Cet éveil du sens critique est le cadeau le plus précieux qu’il pouvait me faire…

Propos recueillis par YV

Crédit photos : DR
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