« Quand on veut enterrer un problème, on crée une commission », disait Clemenceau. De nos jours, il peut arriver au contraire qu’une commission déterre un problème, à la manière d’un Rantanplan exhumant la hache de guerre. C’est en quelque sorte ce qui vient d’arriver à la Commission nationale du débat public (CNDP).
Lors de l’abandon du projet de construction d’un aéroport à Notre-Dame-des-Landes, le 17 janvier 2018, le gouvernement avait promis un grand projet de réaménagement de l’aéroport de Loire-Atlantique. Le sujet était brûlant : la Commission nationale du débat public (CNDP) a été chargée de déminer le terrain en écoutant les avis locaux lors d’une concertation préalable du 27 mai au 31 juillet 2019. Elle vient de publier le bilan de ses deux « garantes » ‑ dur métier ! ‑ Brigitte Fargevielle et Sylvie Haudebourg.
Le projet de réaménagement est complexe : il comprend de nombreuses options portant sur le réaménagement de l’aérogare, les modalités d’exploitation de l’aéroport et la piste. Et puis, l’abandon du projet de Notre-Dame-des-Landes a laissé ses partisans dans l’amertume. Il était donc à prévoir que les débats pourraient être animés. Ils l’ont été. On comprend vite que les malheureuses garantes se sont trouvées prises sous un feu croisé de critiques mettant en cause leur mission, l’État, la DGAC, le périmètre de la concertation, etc.
Le match retour de NDDL
Elles notent en particulier « des tensions parfois très fortes entre les parties prenantes locales ou extérieures ayant soutenu l’abandon de NDDL, et celles qui s’opposent au maintien durable de l’exploitation de l’aéroport Nantes Atlantique » ou encore « des postures très exacerbées, voire rigides, souvent clivantes et parfois productrices d’animosités interpersonnelles, voire des pressions entre parties prenantes que les garantes ont du gérer afin d’éviter que seuls les acteurs les plus connus et disposant de relais de communication puissent s’exprimer ». Le tout au nom de la démocratie locale, bien entendu.
Il était inévitable que la concertation soit parfois prise comme une sorte de match retour des débats à propos de Notre-Dame-des-Landes. Un match pas du tout apaisé par la mise à l’écart mi-volontaire mi-forcée de l’association Des Ailes pour l’Ouest, longtemps représentante la plus en vue des partisans d’un nouvel aéroport à NDDL. Certains reprochent aujourd’hui à ce groupe issu de la grande bourgeoisie nantaise (son initiateur est un ancien président de la chambre de commerce) d’avoir « planté » l’affaire à cause d’une démarche élitiste.
« Transfert », le mot qui tue
Mais la concertation conduite par la CNDP n’avait pas pour objectif de refaire l’histoire. Elle devait répondre à deux questions générales : « Quel aéroport voulons-nous pour demain ? » et « Comment concilier développement de la métropole et protection de l’environnement et des riverains ? »
Au lieu de recadrer le débat, les deux garantes ont ouvert grand leurs oreilles et tout noté. Leur rapport, un gros volume de près de 200 pages grand format détaille minutieusement l’historique du dossier, le déroulement de la concertation et la teneur intégrale des avis recueillis. Il a donc tendance, comme le débat, à partir dans tous les sens. Et l’un de ces sens attire naturellement l’attention en évoquant des « propositions de sites pour un transfert au nord-est de Nantes ».
Ce « transfert » n’est qu’un petit bout de phrase au milieu de la 3ème recommandation des garantes dans un rapport qui en compte douze. C’est trop ou trop peu. Trop si la mention n’est là que par courtoisie envers les interlocuteurs des garantes. Trop peu si la recommandation est sérieuse, vu les conséquences possibles. En tout cas, c’est plus qu’il n’en faut pour relancer une certaine agitation. Vous avez aimé NDDL ? Vous adorerez Châteaubriant ! « Aéroport : un nouveau transfert à l’étude ? » titrait ce matin Presse Océan pas avare de sensationnalisme, sur toute la largeur de sa Une.
Un débat nourri toujours par les mêmes
Les garantes n’ont pas vu (ou pas voulu voir) la prise en main et le recadrage du débat par un petit groupe. Elles ont rédigé leur rapport comme si ce qu’elles ont entendu était largement représentatif, évoquant même une mobilisation « impressionnante par son ampleur ». Ce que les chiffres ne confirment pas :
- Les différents ateliers, réunions publiques et permanences ont drainé 2 100 personnes au total, soit 0,2 % de la population de 1’aire urbaine de Nantes.
- Certaines de ces personnes ont été comptées plus d’une fois (les garantes notent elles-mêmes que les ateliers du Nord Loire étaient peuplés d’habitants du Sud Loire et que la quasi-totalité des vingt-six participants à leur premier atelier avaient déjà participé à la réunion d’ouverture de la concertation).
- Les 125 « cahiers d’acteurs » déposés et censés être des travaux collectifs émanent en fait de 94 contributeurs seulement.
- Sur 20 000 coupons T mis à disposition dans des lieux publics, 637 (3,2 %) sont revenus, sans qu’ on-puisse vérifier qui les a réellement renvoyés.
- Les 11 683 contributions en ligne proviennent de seulement 1 384 contributeurs, dont 1 068 du Sud Loire, mais en réalité 50 % d’entre elles proviennent de dix personnes seulement !
Il est donc à peu près certain que le débat a été confisqué par une petite minorité. Vu l’ambiance, c’était à prévoir. Les groupes de pression, aguerris par les débats autour de NDDL, ont joué leur rôle efficacement. L’étonnant est que la Commission nationale du débat public, dont c’est pourtant le métier, n’ait pas su gérer la situation, au point même d’afficher clairement son insuffisance dans un rapport officiel.
E.F.
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