En pleine tempête gilet jaune, Emmanuel Macron l’avait promis solennellement aux élus venus l’écouter : aucune école primaire ne fermerait sans l’accord du maire de la commune. Mais alors que s’est-il passé à Tréveneuc, dans les Côtes-d’Armor ?
Tréveneuc la Bretonne : pas incluse dans le périmètre de la République
L’école de Tréveneuc ne fera pas sa 146ème rentrée. Les deux maîtresses ont été affectées ailleurs dès juillet. Pour les parents d’élèves, septembre clôt une année de chaud et de froid, car ils ont cru à certains moments avoir gain de cause auprès de l’administration. Le plus écœuré est encore le maire de ce village de 785 habitants sur la côte nord de la Bretagne : il s’est toujours opposé à la fermeture et a l’impression d’avoir été pris pour quantité négligeable.
Après bien des démarches, on a bien voulu lui expliquer que la promesse présidentielle ne concernait par l’école Saint-Jean, unique école de Tréveneuc, car elle relève de l’enseignement catholique. D’ailleurs, dans cette comédie administrative, les autorités catholiques ont accepté de porter le chapeau des restrictions budgétaires nationales… Le député de la circonscription, Éric Bothorel (La République en Marche, ex-PS), s’est démené sans succès auprès de la technostructure et c’est d’autant plus rageant que le ministre responsable est un voisin : Jean-Michel Blanquer prend ses vacances dans l’île de Bréhat.
La banlieue, zone prioritaire pour l’éducation
En fait ce n’est pas le ministre, c’est la démographie qui décide.
Tandis que le monde rural a une natalité ne permettant pas le renouvellement des générations, les métropoles poussent comme des champignons. Entre 2011 et 2016, Rennes métropole (440 000 habitants) a gagné 6 000 habitants, soit l’équivalent d’1 à 2 Tréveneuc par an.
Et dans les métropoles, les banlieues ont des besoins grandissants en dispositifs pédagogiques renforcés : ce qu’on appelle l’éducation prioritaire, qui aujourd’hui bénéficie à 1 200 000 écoliers sur 5 800 000 (1 sur 5) (L’éducation prioritaire, Cour des comptes, 2018).
Quand il a été nommé ministre en 2017, une des premières mesures de Jean-Michel Blanquer a été de dédoubler les classes de CP dans l’éducation prioritaire. Il a de cette manière coupé l’herbe sous le pied des syndicats, qui ont eu du mal à mobiliser contre une politique qui avait des aspects progressistes.
Les statistiques que le ministère diffuse sur son site permettent de se faire une idée des univers éducatifs complètement différents qui coexistent sur le territoire national. Le département rural des Côtes-d’Armor scolarise 54 000 élèves en primaire (maternelle et élémentaire) ; le département banlieusard de Seine-Saint-Denis en scolarise 200 000 (4 Côtes-d’Armor !). 4 % des élèves costarmoricains vivent dans un logement surpeuplé, contre 41 % des jeunes dionysiens. 10 % d’élèves issus de familles pauvres dans le 22, contre 28 % dans le 93. Le conseil départemental du 22 dépense 2 fois moins par collégien (1 600 euros par an contre 3 000 dans le 93). Un maître d’école du privé est payé en moyenne 2 100 euros net par mois contre 2 400 dans le public. Les professeurs exerçant dans l’éducation prioritaire reçoivent 2 000 euros de prime par an de plus que les autres. Ils ont des heures de cours réduites de 10 %.
En Bretagne, l’enseignement catholique est un phénomène de masse lié à l’histoire : il scolarise 40 % des élèves, de toutes les classes sociales (en tout cas dans la ruralité). En Seine-Saint-Denis, le privé concerne moins de 5 % des élèves.
À cette logique sociale, s’ajoute vraisemblablement un calcul économique pour les décideurs du ministère. Dans un rapport de 2015, l’OCDE souligne l’apport de l’immigration à un marché du travail ouvert, à condition que l’école fasse son travail d’intégration. Pour éviter le « scénario gouffre financier » (sic), les hauts fonctionnaires internationaux préconisent de cibler les investissements sur l’enseignement primaire (Les élèves immigrés et l’école, 2015, Organisation de coopération et de développement économiques). Les statistiques de l’OCDE sont très sophistiquées et difficilement analysables. Elles semblent concerner les nouveaux arrivants (et non la population d’origine immigrée dans son ensemble). Les experts de l’OCDE insistent sur la maternelle plus que sur l’enseignement élémentaire.
L’école rurale de demain sera intercommunale
Les enfants de Tréveneuc prendront donc la voiture ou le car pour aller dans une autre école du secteur. C’est ce que feront aussi les enfants des 400 écoles rurales fermées partout sur le territoire à cette rentrée, un record historique qui n’a provoqué aucun remous sérieux.
400 d’un coup ! Par quel argument les envoyés du vaillant petit tailleur de coût ont-ils convaincu les maires concernés de signer ?
Plutôt qu’une petite école qui vivote dans son coin et dans laquelle il faut investir peut-être à fonds perdus, pourquoi ne pas créer des regroupements intercommunaux, avec des établissements dont l’avenir est plus assuré ? Même sur un plan pédagogique, le raisonnement se tient : une équipe pédagogique plus nombreuse serait plus efficace qu’une maîtresse isolée face à plusieurs niveaux d’élèves. Au passage, avec les économies d’échelle, le ministère récupère quelques postes.
Armer les jeunes ruraux pour la mondialisation
Les approches sociales et budgétaires ont laissé de côté la question de la qualité de l’enseignement. C’est pourtant sur ce sujet que le ministre avait bâti sa popularité.
Or comme l’a montré le géographe Christophe Guilly (La France périphérique : comment on a sacrifié les classes populaires, Christophe Guilly, 2014, Flammarion), les jeunes ruraux partent avec un handicap dans la mondialisation à venir : de tous les jeunes, ils sont les plus éloignés des métropoles, là où se trouvent les formations supérieures les plus sélectives et les emplois de demain.
Plus que les autres, les jeunes ruraux auront donc besoin d’une formation initiale solide. Et paradoxalement en ces temps de mondialisation, cela implique peut-être de les reconnecter avec une culture authentique, leur « capital d’autochtonie », selon l’expression de Guilly. Le jeune qui n’aura vécu que de l’air du temps mondialisé sera moins armé que celui qui peut faire valoir les trésors de sa tradition.
Dans la folie de ses débuts, au moment où il était pressenti comme le grand ministre que la droite attendait depuis 1968, Jean-Michel Blanquer avait eu une initiative qui avait halluciné les pros du monde éducatif : il avait fait distribuer à tous les écoliers de France les Fables de La Fontaine, en lieu et place des œuvres complètes de Kaaris et Booba. Il est toujours temps de revenir aux sources.
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