Le magazine Pour la science rouvre, dans son dernier numéro, le débat sur une querelle récurrente : Les guerres, c’est-à-dire les affrontements vraiment meurtriers, ne sont-elles apparues qu’au stade des agriculteurs-éleveurs et étaient-elles ignorées avant cette période ?
Cette thèse est privilégiée par nombre de paléoanthropologues ; pour ces « colombes » on n’a trouvé jusqu’à présent qu’un seul charnier datant du néolithique alors qu’ils deviennent plus nombreux dès que les humains se sont sédentarisés. S’y rajoute une argumentation sociologique : les chasseurs-cueilleurs pratiquant une répartition quasi égalitaire des ressources n’auraient aucune raison de se faire la guerre. Leur mobilité incessante qui limitait leurs possessions, leur faible démographie les aurait incités à préférer l’évitement à l’affrontement violent.
La lutte pour un territoire, la domination politique n’auraient aucun sens du fait de la structure de la société de l’époque. Selon cette thèse les conflits ne se seraient généralisés que tardivement avec l’invention de l’épée en bronze vers 1800 avant Jésus-Christ. Avant cette date la guerre était peu fréquente, sinon les moyens de tuer des êtres humains auraient été perfectionnés depuis longtemps. la guerre serait donc une « déviation » et un « accident » dans la longue histoire humaine ; que représentent 3 800 années par rapport aux 3 000 siècles qui nous séparent de l’apparition de l’homo sapiens ? Ces colombes ont pris le parti de Jean-Jacques Rousseau : l’Homme et la Femme seraient bons par nature et ont été pervertis par la civilisation.
Des preuves abondantes d’une agressivité inhérente aux sociétés qualifiées de « primitives »
Malheureusement pour ces « naïfs » paléoanthropologues, il existe des preuves abondantes d’une agressivité inhérente aux sociétés qualifiées de « primitives », selon la terminologie abusive du XIXème siècle. Les Aborigènes australiens n’ont jamais pratiqué l’élevage et l’agriculture, sans doute n’en avaient-ils pas besoin, puisque les ressources alimentaires abondaient ; or on a retrouvé des peintures rupestres présentant des tribus en armes, prêtes à en découdre. En outre, 165 conflits violents ayant fait une moyenne de 32 morts ont été rapportés par la mémoire collective. 32 peut sembler peu, mais nous parlons de groupes qui dépassaient rarement la centaine d’individus. Pour donner un exemple, une guerre qui s’est déroulée dans la région de Melbourne en 1845 a pour origine la mort d’un jeune Aborigène populaire qui s’est tué en tombant d’un arbre. Pour expliquer cet accident qui semblait impossible vu l’agilité du défunt, on a alors accusé de sorcellerie une tribu voisine ; un raid nocturne a été lancé sur le campement des soi-disant coupables. Toute la tribu ennemie a été exterminée, y compris les femmes et les enfants qui étaient partis se cacher et dont les vengeurs ont patiemment attendu le retour en se cachant.
Une analyse fine des motifs des 165 conflits écarte la responsabilité des Occidentaux. Les Aborigènes se sont très rarement disputés pour des territoires, encore moins pour s’approprier des richesses. Ils ne sont pas battus pour contrôler des routes commerciales ni pour acquérir de la puissance afin de s’affirmer face aux envahisseurs. Ils ne sont pas non plus entre-tués pour des ressources alimentaires bien que celles-ci se soient amenuisées, du fait du refoulement des indigènes dans des réserves constituées des terres les moins fertiles. Les colons n’ont jamais été impliqués dans les conflits inter-tribaux et nombre de batailles recensées ont eu lieu avant leur arrivée des Britanniques. La violence existait avant que les Blancs ne débarquent ; la Grande-Bretagne a eu un effet pacificateur en interdisant avec succès les guerres intérieures. Cela n’excuse pas les Britanniques qui restent coupables d’avoir envahi un territoire indépendant, d’avoir spolié ses habitants et de les avoir réduits à devenir des citoyens de deuxième ordre dans leur propre pays.
Ce constat fait en Australie se retrouve dans les grandes plaines américaines, dans les forêts canadiennes et en Nouvelle-Zélande avant la venue des Occidentaux. Les conflits entre indigènes étaient sanglants et l’adage « malheur aux vaincus » était de mise. Ceux qui perdaient les guerres inexpiables auxquelles se livraient entre elles les tribus étaient réduits en esclavage, voire dévorés rituellement. Les ancêtres des Européens faisaient probablement de même. La violence est malheureusement inhérente à l’âme humaine et est généralisée à tous les peuples et toutes les cultures sans en excepter aucune. La civilisation n’amène aucun progrès au contraire : le nombre des victimes des guerres n’a fait qu’augmenter à travers les siècles.
Sans doute, la notion de guerre est-elle incluse dans notre matériel génétique hérité des ancêtres communs aux hominidés et aux singes : à Gombe en Tanzanie on a observé un conflit et un antagonisme croissant entre deux sous-groupes de chimpanzés alors qu’ils avaient au départ des relations pacifiques et que chaque clan disposait de ressources en abondance. À l’issue de cette guerre qui a duré 4 ans, les mâles de la « tribu » la moins nombreuse (6 individus) ont tous été tués, une femelle a connu le même sort, deux d’entre elles ont disparu, 3 autres ont été enlevées et le territoire des vaincus a été annexé par les vainqueurs. Mais ceux-ci ont dû rétrocéder une partie de leur conquête à un autre groupe plus nombreux et plus agressif. Cette guerre a troublé Jane Goodall, l’éthologue qui l’a observée ; elle estimait a priori que les singes seraient exempts de toute violence. Sa constatation s’est heurtée à l’incrédulité de la communauté scientifique. Certains de ses confrères l’ont accusée d’anthropomorphisme, d’autres d’avoir provoqué le conflit en nourrissant les chimpanzés, ce qui aurait « perverti » une société naturellement pacifique ; depuis d’autres conflits ont été observés et désormais plus personne ne remet en cause l’existence de guerres inter-chimpanzés.
Jean Jacques Rousseau a tort : le bon sauvage est un mythe. L’Humanité est marquée, comme le prétendent les théologiens chrétiens, par le péché originel qui était déjà présent chez les ancêtres qu’elle partage avec les singes.
Christian de Moliner
auteur de Islamisme radical, comment sortir de l’impasse et La Guerre de France
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