Lorsque, il y a maintenant pas mal d’années, j’ai commencé à travailler sur divers supports de « réinformation », on m’a fort justement expliqué que celle-ci ne devait pas être une « désinformation inversée », ni le « négatif » de la propagande officielle, pas plus qu’une volonté d’afficher une illusoire et tarfuffe «neutralité» mais la recherche d’une permanente « honnêteté », une volonté d’« exactitude » dans le traitement de l’information, l’application d’un sourcilleux sens critique ainsi que l’art de la prise de distance et de la mise en perspectives. Or il s’avère que si ce louable programme est relativement aisé à mettre en place pour traiter des informations venant de « l’adversaire », il est beaucoup plus ardu à appliquer – et beaucoup moins bien accepté – dès lors qu’il s’agit de se pencher sur les faits, propos et gestes « de notre camp » (concept d’ailleurs très flou dont certains ont une acceptation très extensive…).
En effet, dès que c’est « de chez nous », plus de place pour la réflexion, l’analyse des faits, les constats objectifs, seuls sont tolérés l’acclamation enthousiaste, le soutien aveugle, la louange enamourée, la défense hargneuse, becs et ongles, mensonges et omissions à l’appui s’il le faut. Toute critique devient une trahison, tout bémol un crime de lèse-majesté et le travail habituellement tant vantée de « réinformation » devient une œuvre de « dénigrement », odieusement « pessimiste » et décourageante. Tenter d’introduire de l’intelligence et de la mesure, c’est saper la cause ! Car comme jadis il ne fallait pas désespérer Billancourt, aujourd’hui il ne faut pas déranger la quiétude béate du « patriote » ! Car le « patriote » se moque bien des idées, il veut des slogans, il se contrefout des faits tant qu’il a de beaux discours, il ne lit pas les programmes puisque qu’il ne veut qu’applaudir des idoles…
A ce titre les figures de Matteo Salvini et Marion Maréchal sont archétypales. Égarez-vous à tenter une analyse froide et factuelle de ces deux phénomènes et vous serez bien vite rattrapé par la patrouille des godillots et des fanatiques à front bas ! D’ailleurs pourquoi vouloir s’intéresser ainsi à la réalité ? Vous n’êtes qu’un triste sire, nourri par l’aigreur et le ressentiment, qui n’a pour seul but que de doucher les exaltations du bon peuple de droite ! Salaud ! Crevure ! Nul doute que vous serez en bonne place sur la liste des tondus de la future (et imminente !) grande libération libérale-conservatrice !
Peu importe, par exemple, qu’il n’y ait jamais eu autant d’immigrés en Italie qu’aujourd’hui, que l’on confonde le nombre d’arrivées en bateau et le nombre global d’arrivées d’immigrés (qui, surprise !, viennent parfois par d’autres voies ! Comme en France par exemple…), que l’on soit en train de sacrifier les réformes sociales au profit d’un rapprochement avec la droite affairiste… tout cela ne compte pas, n’a aucun intérêt, la seule chose qui compte c’est que le « personnage médiatique » du ministre de l’Intérieur italien nous plaise et nous excite. Il irrite les chroniqueurs de Libération, cela nous suffit bien. Il est des nôôôôtres, il a été traité de facho comme les auuuutres !
Pourtant il ne s’agit nullement de diffamer ni « d’attaquer » Matteo Salvini, sympathique et courageux à bien des égards, mais simplement de se pencher sur l’application concrète (ou non) de ses promesses de campagne, sur ses forces et ses faiblesses, de jauger l’efficience de sa politique, d’interroger sa marge de manœuvre vis à vis de l’UE et de ses partenaires européens, ses évolutions, ses changements de stratégie… Toutes choses non seulement utiles mais indispensables à une véritable pensée – et donc action – politique. Mais non! Tout cela est de la branlette, de l’enculage de mouche, du mauvais esprit et au final du sabotage pour tous nos vaillants sectateurs de l’homme providentiel, les adeptes de la divine surprise, les adorateurs de la nouvelle Jeanne d’Arc ou du sauveur étranger qu’il faut suivre comme un seule homme, sans discuter ni poser de question.
Or ce militantisme à la fois borné et exacerbé, extrémisé, hystérisé, allergique aussi bien à l’analyse qu’à la nuance, n’a rien de « radical ». Tout au contraire. Il se contente de patauger joyeusement dans l’écume médiatique alors que pour prétendre influer sur le réel, il faut d’abord accepter de s’y confronter, et ce dans toutes ses dimensions, pas seulement celles qui nous « conviennent », qui flattent nos egos ou entretiennent nos illusions.
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