La Malaisie, un état semi-démocratique à l’épreuve de l’islamisation

La Malaisie est un pays à part et original. Unique monarchie élective au monde, elle s’étend sur la majeure partie de la péninsule malaise et sur le Nord de l’île de Bornéo. Elle est une fédération de 9 sultanats datant de la colonisation Britannique et de 4 territoires fédérés. Son chef d’état doit appartenir à l’une des 9 familles royales, il est élu pour un mandat de 5 ans par un conseil constitué du Premier ministre, des 9 sultans et des 4 gouverneurs d’états fédérés.  Ce conseil a le droit de destituer le souverain. Ce dernier possède des pouvoirs importants dont celui de proclamer l’état d’urgence.

Il nomme la majorité des sénateurs avec toutefois l’accord du Premier ministre. L’ancien roi Mohammed V a abdiqué en janvier 2019 après seulement 2 ans de règne. Il avait fait scandale en épousant en 2018 une ancienne reine de beauté Russe Rihana Oxana Gorbatenko qu’il vient de répudier irrévocablement en prononçant trois fois selon la loi islamique « Talaq » (Tu es divorcée). Son ancienne épouse avait donné naissance en mai dernier à un fils mais l’avocat de Mohammed V a fait part officiellement de doutes concernant la paternité de l’ancien souverain.

Malaisie : Le plus vieux premier ministre en exercice 

La Malaisie possède le plus vieux Premier ministre en exercice dans le Monde, Mahathir bin Mohamad qui est âgé de 94 ans. Ce dernier a déjà été Premier Ministre de 1981 à 2003. Son deuxième successeur Najib Razak (2009-2018) a été pris dans un scandale retentissant connu sous le nom de scandale 1MDB. En juillet 2015, le wall street Journal a révélé des soupçons dirigés contre M. Razak qui aurait détourné un demi-milliard d’euros. L’intéressé qui faisait preuve d’un autoritarisme croissant et prenait des mesures considérées comme liberticides a laissé ses adjoints le défendre. À la surprise générale, il a perdu les élections législatives de 2018 au profit d’une coalition dirigée par M. Mahathir qui l’a remplacé. M. Razak a depuis été mis en examen et son procès s’est ouvert en avril 2019.

Mahathir pour l’emporter avait fait alliance avec le parti d’Anwar ibrahim qui a été un temps considéré comme son dauphin et a été son vice-Premier ministre de 1993 à 1998. Cependant, en 1999, M. Mahathir a fait condamner M. Anwar à 6 ans de prison pour corruption lors d’un procès considéré comme truqué. En 2000, M. Anwar a pris 9 années supplémentaires pour de fausses accusations de sodomie (qui est un crime en Malaisie, mais est très rarement réprimée). Sa deuxième condamnation a été cassée en 2004 par la cour fédérale.  M. Anwar continua cependant à purger sa peine pour corruption, tout en se proclamant son innocence. Il fut libéré pour bonne conduite en 2004, mais a été à nouveau accusé de sodomie en 2008. Il se réfugia un temps à l’ambassade de Turquie. Après un long procès, il fut déclaré non coupable des accusations de sodomie en janvier 2012, mais le gouvernement fit appel et M. Anwar a été condamné en 2015 à 5 ans de prison, peine confirmée par la cour suprême. M. Mahathir avait promis lors de sa campagne électorale de 2018 de le faire libérer et de lui céder son poste de Premier Ministre en 2020. En attendant il a pris l’épouse de M. Anwar comme vice-Premier Ministre. M. Anwar a été gracié par le souverain en mai 2018. Lors d’une élection partielle, il a été élu député avec 71 % des voix. Celui qui en 2008 l’a accusé de sodomie s’est présenté contre lui, mais n’a obtenu que 86 voix.

Tigre asiatique, au taux de croissance impressionnant (+8 % !) et qu’on peut désormais considérer comme un pays développé, la Malaisie est à la fois une démocratie parlementaire à la Britannique et un régime autoritaire. Son mode de scrutin est uninominal à un tour, mais cet élément démocratique est contrebalancé par le manque de compétition entre les partis. Nombre de circonscriptions n’ont qu’un seul candidat, car les partis s’entendent entre eux et abandonnent la majorité au principal mouvement UNMO. En échange les partis minoritaires (souvent issus des communautés chinoises et indiennes) participent au gouvernement. On qualifie souvent ce régime de « consociationnel » : le pouvoir est réparti entre les différentes ethnies au prorata de leur importance numérique dans la population.

Les libertés d’expression des citoyens et de la presse sont limitées :   depuis 2013 les dissidents (ceux qui critiquent le gouvernement) peuvent être emprisonnés sans jugement. La liberté d’association et de manifestations est entravée quand il s’agit de dénoncer des lois proposées par le gouvernement. Les médias sont surveillés par le pouvoir et des poursuites sont engagées contre les journalistes qui seraient trop critiques. En 2018, reporters sans frontières  a classé 145 (sur 192 !) la Malaisie pour la liberté de la Presse.

Malaisie : le règne des musulmans sunnites

La liberté religieuse est également entravée bien que constitutionnellement reconnue. Les musulmans forment 61,3 % de la population et les sunnites qui sont largement majoritaires (55%) bénéficient de plus de privilèges que les autres courants de l’Islam (chiites ou alaouites). Ils sont les seuls à avoir le droit d’essayer de convertir des membres des autres religions. Il est interdit aux sunnites d’apostasier et les enfants de musulmans et de fonctionnaires doivent impérativement recevoir une éducation religieuse sunnite. Les conversions sont parfois rémunérées. Ceux qui deviennent sunnites, font obligatoirement changer de religion leurs enfants mineurs, même si leur conjoint s’y oppose. Malgré les entraves à la liberté de presse, les médias rapportent des cas où le mari s’est converti à l’islam, a pu divorcer et obtenir la garde de ses enfants malgré les efforts de son ex-épouse, les juges privilégiant systématiquement l’époux devenu musulman. En 2013 le terme Allah a été interdit aux non-musulmans qui doivent utiliser à la place god. Néanmoins, la cour suprême a autorisé l’utilisation du mot Allah pour les bibles écrites dans la langue vernaculaire malaise. Un député a parlé d’Apartheid religieux pour qualifier la situation de son pays.

La charia est en application dans un des 9 sultanats, le Kelantan, dont le sultan est l’ancien souverain de la Malaysia Mohamed V. Le Kelantan qui est peuplé presque entièrement de Malais est le seul des états fédérés à ne pas être dirigé par le parti majoritaire UNMO, mais par le parti pan islamique Malaisien (PAN). Alors qu’il avait le vent en poupe dans les années 200 et semblait pouvoir accéder légalement au pouvoir à Kuala Lumpur, le PAN a approuvé imprudemment les attentats du 11 septembre 2001, ce qui a permis à M. Mahathir de reprendre la main face à lui lors de son premier mandat : il a usé pour cela de mesures liberticides et a expulsé de nombreux Indonésiens. En 1996, le conseil municipal de la capitale du Kelantan a rendu obligatoire le port du foulard islamique pour toutes les femmes (y compris les non-musulmanes) sur leurs lieux de travail. Il a proscrit de même le rouge à lèvres, les panneaux publicitaires représentant des femmes non voilées et en 2006 les tenues « sexy et indécentes ». Celles qui ne respecteraient pas cette interdiction sont passibles d’une amende de 608 ringgits (120 euros, 13% du salaire mensuel moyen). En dehors de cet état, le voile n’est pas obligatoire, mais est porté par 70% des musulmanes alors qu’il était marginal jusqu’aux années 1980. L’habit traditionnel islamique est fréquemment porté par les Malais et les tenues « occidentales » mal vues pour les musulmans.

À la fin du mois de juillet 2019 un député du parti au pouvoir Mohamed Imram Abd Hamid est venu au sénat soutenir une proposition de loi destinée à défendre les hommes du « harcèlement » des femmes. Il a déclaré devant la chambre haute : « Je propose une loi sur le harcèlement sexuel visant à protéger les hommes des actions, paroles et vêtements des femmes qui séduisent les hommes au point de les pousser à commettre des actes comme l’inceste, le viol ou regarder de la pornographie… C’est important que nous les hommes soyons protégés : les actions et les vêtements des femmes peuvent nous séduire, nous pousser à enfreindre la loi et nous causer des problèmes avec la justice (…) Je demande au ministère de prendre en compte ma proposition, pour que les hommes soient en sécurité et le pays en paix »  M. Abd Hamid a déclenché un tollé dans son propre pays et à l’international, même s’il a reçu quelques soutiens : un vice-président du Sénat a notamment déclaré que ses paroles étaient de bon sens. M. Abd Hamid a retiré sa proposition de loi dès le 1 août 2019 et s’est platement excusé : « Bien que mes intentions soient sincères, je ne m’attendais pas à ce que cela soit perçu comme une grave erreur offensant beaucoup de femmes et que des hommes se sentent insultés. » Avant lui un autre député avait suggéré en 2017 que les femmes violées épousent leur agresseur ; il a également déclaré que les fillettes de 12 ans étaient aptes au mariage. Un de ses collègues a, la même année, déploré que les femmes puissent se refuser sexuellement à leur mari et qu’il faille leur accord pour leur époux prenne une seconde femme. À chaque fois, ces propos prononcés à la chambre ont provoqué de violentes réactions, des parlementaires du même parti ont notamment déclaré avoir honte de leurs collègues.

La Malaisie : une mosaïque ethnique, des tensions raciales

La Malaisie est une mosaïque ethnique : 50,2 % des habitants sont malais 25% sont de lointaine origine chinoise 10% d’ascendance indienne et 11% des Orang Asli des Autochtones de Bornéo. L’origine ethnique (malaise, tamoule, chinoise, eurasienne,…) est indiquée sur les cartes d’identité. L’événement fondateur de la Malaisie est la guerre coloniale victorieuse menée par les Britanniques contre l’insurrection communiste entre 1950 et 1959. Les insurgés ont surtout recruté dans l’ethnie chinoise et la Grande Bretagne a dû déployer 50 000 hommes et procéder à de nombreux bombardements de la jungle pour en venir à bout. Que la minorité Han ait pu vouloir conquérir le pouvoir a traumatisé la majorité malaise.

En 1969, de graves émeutes raciales ont éclaté faisant de nombreuses victimes Chinoises ou Indiennes. L’état d’urgence a été proclamé et la démocratie suspendue jusqu’en 1971. Le clivage économique était grand entre une majorité malaise pauvre et une minorité chinoise qui détenait toutes les clés du commerce. Pour diminuer la frustration des Autochtones vis-à-vis des immigrants asiatiques, le gouvernement de Kuala Lumpur s’est donné pour objectif d’élever de 3% à 30% la part des actions détenues par les Bumiputera (fils du sol, c’est-à-dire Malais et Aborigènes de Bornéo), de limiter à 40% celle des autres citoyens de la Malaisie et de réduire celle des étrangers à 30%. En outre, il a mis en place une politique de discrimination positive pour les fils du sol, en leur réservant 60% des places à l’université et en leur garantissant l’accès prioritaire à l’administration.

Le bilan de ces mesures est mitigé : si la discrimination positive a rempli ses objectifs et a été reconduite, la part d’actions des Bumiputera n’a grimpé qu’à 20% au lieu des 30% escomptés, celle des autres malaisiens a augmenté à 55 % tandis que la part des étrangers a régressé à 25%.

Le Premier Ministre Mahathir a, pendant son premier mandat 1981-2003, accentué la politique de discrimination ethnique et religieuse (qu’on peut qualifier de « raciste ») et le côté antidémocratique du régime, mais ces tendances ont atteint leur point culminant sous le mandat de M. Razak. La victoire de M. Mathandir en 2018 est surprenante vu le contrôle de la société exercé par le gouvernement et ne s’explique que par la popularité de M. Mathathir qui a gardé une excellente image chez ses concitoyens. Si comme promis son ancien dauphin M. Anwar accède au pouvoir en 2020, celui-ci, s’il tient ses engagements, libéralisera le régime et luttera contre la corruption (qui est la plaie de la Malaisie). En 2007, M. Anwar avait signé A common word between Us and You une lettre ouverte de notables musulmans adressée à des notables chrétiens appelant au dialogue, à la paix et à la compréhension entre les diverses communautés.

Christian de Moliner

Crédit photo : DR
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