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Peste porcine africaine : les chasseurs, dernier rempart de l’élevage breton ?

Un spectre hante l’élevage breton : la peste porcine africaine. Si elle est sans danger pour l’homme (même en cas d’absorption de la viande d’un animal malade), elle s’avère très meurtrière pour les troupeaux et a été surnommée « l’Ebola des cochons » (1). Point de situation, vue de Bretagne.

L’épidémie continue d’avancer

Introduite en Géorgie en 2007 par des aliments contaminés, l’épizootie actuelle s’est étendue depuis  à toute l’Europe de l’Est.

En août 2018, elle a fait son apparition en Chine, qui abrite la moitié du milliard de cochons peuplant la planète. La Chine est particulièrement vulnérable, car l’épidémie animale semble proliférer plus vite dans les petites porcheries traditionnelles, encore répandues dans ce pays, que dans les grandes porcheries modernes fermées sur l’extérieur. « C’est la plus grande épizootie jamais arrivée sur la planète », dit même Dirk Pfeiffer de l’Université de Hong-Kong (1)

En Bretagne, l’inquiétude…

A l’autre bout de l’Eurasie, la Bretagne, l’autre pays du cochon : 14 millions de porcs y vivent sur une année, dans 5000 porcheries. Il y a environ 4 cochons pour un Breton ! (2)

L’inquiétude augmente chez les éleveurs de l’ancien Duché. Pour l’instant, la crise en Chine dope les exportations et les prix. Mais si un cas était avéré en un seul point de France, toute la production française risquerait de se trouver sous embargo sanitaire avec impossibilité d’exporter.

Même attente anxieuse chez les scientifiques, le laboratoire de l’Anses de Ploufragan, près de Saint-Brieuc, étant le site de référence national pour le suivi de l’épidémie.

Les yeux des éleveurs bretons tournés vers le front belge

Or l’épidémie a fait récemment un pas de plus vers la péninsule armoricaine. Elle a en effet été repérée pour la première fois en Belgique en septembre 2018 (3). Comment expliquer une telle mobilité ?

Le coupable semble être le cousin sauvage du cochon (4). Indompté, le sanglier véhicule la maladie de proche en proche. Omnivore, il fourre son groin un peu partout, jusque dans les champs, y déposant le virus tenace de la peste porcine africaine.

Le défi est d’autant plus redoutable que depuis plusieurs décennies, l’animal préféré d’Obélix prolifère dans toute l’Europe. En France on estime sa population à 1 million d’individus (contre moins de 100 000 dans les années 60) (5). 700 000 sangliers ont été tués par les chasseurs en 2017-2018, sans parvenir à enrayer la dynamique.

Nombre de cas de peste porcine africaine selon la FAO (en 2018 et 2019) https://france3-regions.francetvinfo.fr/occitanie/sites/regions_france3/files/styles/asset_list_medium/public/assets/images/2019/08/12/ppa-4377952.jpg?itok=xhZ1Y_JP

Régulation douce ou manière forte contre le sanglier ?

Le sanglier suscite l’admiration des écolos comme des chasseurs, mais elle ne s’exprime pas de la même façon …

Saisissant les opportunités, le sanglier a accaparé les campagnes désertées par le petit gibier. Furtif, il planque dans la forêt et ne sort à terrain découvert que quand la nuit le permet. Vorace, il varie son menu selon ses trouvailles et cible les denrées les plus denses en nutriments et en calories. Intelligent (mais jusqu’à un certain point), il a été surnommé «l’Ingénieur » par les naturalistes, parce qu’il exploite à fond et modifie son milieu, pour le meilleur ou pour le pire. Bref, de toutes les créatures qui évoluent sous nos latitudes tempérées, c’est vraisemblablement celle qui s’apparente le plus à l’homme.

Pour gérer ce phénomène qui ravage régulièrement les cultures et transporte maintenant les maladies, les écologistes préconisent une gestion douce, à long terme :  empêcher l’accès en libre-service au maïs, restaurer des équilibres naturels, laisser faire les prédateurs (le loup).

Les chasseurs quant à eux estiment que l’homme est aussi un prédateur légitime, amené à participer à la régulation des écosystèmes.

Guerre de position et espoir d’un vaccin

L’urgence de la situation donne pour l’instant raison aux chasseurs, appelés en renfort en janvier dernier par Didier Guillaume, le ministre de l’agriculture, pour seconder l’armée dans des opérations anti-sanglier.

C’est une véritable ligne Maginot sanitaire qui a ainsi été organisée dans les départements touchant  la Belgique, des Ardennes à la Meurthe-et-Moselle en passant par la Meuse. Les sangliers qui y gitent sont abattus systématiquement pour créer un vide arrêtant la progression de l’épidémie. Une clôture de 112 km a même été érigée pour contrer l’arrivée de sangliers belges. Sur les aires d’autoroutes, des affiches mettent en garde contre le rejet de nourriture en dehors des poubelles (elle pourrait véhiculer la maladie et être consommée par les sangliers). (6)

En Bretagne, les quotas de chasse aux sangliers ont été supprimés en début d’année. Plus de limite aux prises. Les chasseurs savent très bien où chercher leur plus coriace adversaire : « On les trouve cantonnés le long de la RN12 (Plounévez-Moëdec, Malaunay, près de l’aéroport de Trémuson) », indiquent Yvon Méhauté et Romain Pardoën, responsables  de la fédération de chasse des Côtes d’Armor (7). « Beaucoup dans le Nord-Est, le long de la RN176 (entre Taden et Plouer-sur-Rance). Il y en a dans la vallée du Gouët, de La Méaugon à Plérin, au Bois Boissel à Saint-Brieuc et en de nombreux endroits le long du littoral (Pordic, Tréveneuc, Binic…). […]. On en a vu au port du Légué, ou devant le Mac Do de Plérin… » Ces gros malins se réfugient aussi dans les terrains du Conservatoire du littoral et échappent ainsi aux battues. Mais plus pour longtemps : une convention vient d’être signée entre les chasseurs et le Conservatoire.

La mobilisation des scientifiques est enfin déclarée. Une course contre la montre internationale est ainsi engagée entre l’épidémie et les scientifiques, à la recherche d’un vaccin qui n’est pas attendu avant plusieurs années. Lui seul sauverait durablement les éleveurs, leurs cochons et les sangliers par la même occasion.

La Ligne Guillaume, dispositif défensif anti-sanglier à l’est de la France
https://www.francebleu.fr/infos/agriculture-peche/contre-la-peste-porcine-les-premieres-battues-une-cloture-et-un-ministre-a-margut-1548402438

Enora

  1. Guardian, juin 2019
  2. Chiffres 2016 pour la Bretagne administrative. Source :  Chambres d’agriculture de Bretagne – Synagri
  3. Bizarrement, l’Allemagne n’a pas signalé de cas. Il y a donc un trou entre la Pologne, qui est particulièrement touchée, et la Belgique.
  4. Le sanglier a peut-être le dos un peu large. Les responsabilités humaines sont aussi engagées. En Chine, le transport de porcs vivants, destinés à l’abattoir, sur de très longues distances, serait la cause principale de l’extension rapide de la maladie dans ce pays. En ce qui concerne l’Europe, la circulation intense, entre continents et à l’intérieur du continent, n’est pas à négliger. La mondialisation fait communiquer des bassins épidémiologiques jusque-là séparés. Un article de Loïc Chauveau, dans Science et Avenir de février 2019, donne des arguments en faveur du sanglier, mais nous n’avons pu le consulter. https://www.sciencesetavenir.fr/animaux/animaux-d-elevage/les-sangliers-accuses-de-diffuser-la-peste-porcine-africaine_131303
  5. Les statistiques du sanglier sont très floues. Les seules statistiques officielles semblent concerner les prises de chasse. Une étude de 2018 d’un lobby de propriétaires terriens basé à Bruxelles, l’European Landowner’s Organisation, qui compile la littérature scientifique, ne donne aucun chiffre. Une synthèse de 2012 de la même organisation évoque une densité de 1.6 sanglier par km2 en métropole, ce qui porterait la population à 900 000 sangliers français. La comparaison des densités entre pays suggère une corrélation négative entre densité de sangliers et densité de chasseurs. Dit plus clairement, plus il y a de chasseurs, moins il y a de sangliers. Les deux études : https://www.europeanlandowners.org/files/pdf/2012/Etude%20explosion%20demogaphique%20sanglier%20ELO%2002%2007%202012%20FINAL-2.pdf et https://www.europeanlandowners.org/images/Wild_Boar_Report_2018/122193_WILD_BOAR_FR.pdf
  6. Mêmes opérations anti-sanglier, encore plus massives, en Pologne. Au Danemark, le gouvernement a également coupé la péninsule du Jutland du reste du continent par une clôture anti-sanglier, pour protéger les 28 millions de cochons du royaume.

Il y a quand même une part de poudre aux yeux médiatique dans les décisions du ministre français. Après avoir publiquement mobilisé les fédérations de chasseurs, ces derniers semblent avoir été évincés ici et là des opérations, au profit des « pros » envoyés par Paris. C’est ce que déplorent les chasseurs des environs de Verdun, dans un article du 20 février de L’Est républicain. https://www.estrepublicain.fr/edition-de-verdun/2019/02/20/peste-porcine-une-battue-avec-l-appui-d-un-helicoptere-pour-chasser-le-sanglier

  1. Ouest France, février 2019. Les sangliers bretons semblent nettement moins
    nombreux que la moyenne française. Dans les Côtes d’Armor, si on applique la densité moyenne de 1.6 sanglier par km2, on s’attendrait à avoir autour de 10 000 sangliers. Or le tableau de chasse 2017-2018 de la fédération des Cotes d’Armor ne mentionne que 1548 sangliers tués. Cela suggérerait une densité de sangliers 5 fois moindre que la moyenne française, soit autour de 2000 sangliers habitant les Côtes d’Armor.

Crédit photo : DR
[cc] Breizh-info.com, 2019, dépêches libres de copie et de diffusion sous réserve de mention et de lien vers la source d’origine

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